L’affaire des Roms et ses conséquences edit
De la résolution du Parlement européen aux explications orageuses entre Sarkozy et Barroso, en passant par les déclarations musclées de la Commissaire Viviane Reding, il semble bien que l’Union européenne ne sorte pas indemne de la politique de sécurité des autorités françaises vis-à-vis des Roms. Outre le spectacle de la désunion, la principale victime collatérale pourrait ne pas être la réputation de la France, ni la Roumanie et la Bulgarie, pays souvent montrés du doigt, mais la périphérie européenne de l’UE.
Alors que le problème concernait au départ la politique intérieure française, l’internationalisation de la crise a d’abord pris le chemin des relations franco-roumaines, deux États traditionnellement alliés. Désireuses d’entrer dans l’espace Schengen en mars 2011 et de ne pas trop mettre le partenaire français dans l’embarras, les autorités roumaines ont pris soin de ne pas aller trop loin dans les démonstrations d’acrimonie, se disant toutefois « vigilantes » quant à la résurgence de la xénophobie dans un contexte de crise économique. Le président Basescu a même tenté d’atténuer la portée de la crise, en appelant de ses vœux à un plan européen pour la minorité Rom qu’il avait suggéré dès 2008, non sans arrière-pensées sonnantes et trébuchantes évidemment. Le même homme avait pourtant confisqué le téléphone d’une journaliste qui cherchait à l’interviewer en mai 2007 en la traitant de « sale gitane », propos qui avait trouvé un écho dans la presse. Les visites officielles roumaines en France et françaises en Roumanie ont permis de ne pas exposer davantage les divisions entre les deux États et d’esquisser une sortie de crise. Les autorités françaises ont montré à cette occasion une arrogance rare, accumulant nombre de maladresses. La situation actuelle n’est pas sans rappeler l’incartade de Jacques Chirac en 2003 à propos de pays qui auraient « mieux fait de se taire », dont on garde un souvenir amer à Bucarest comme à Sofia. Par exemple, la menace de ne pas faire entrer Bucarest dans l’espace Schengen à cause du sort fait à la minorité Rom, évoquée un temps ouvertement par le secrétaire d’État aux affaires européennes Pierre Lellouche, est parfaitement irréaliste dans la mesure les critères d’entrée sont avant tout de nature technique et non politique. Face aux mêmes menaces, le gouvernement bulgare de centre-droit est resté discret, au contraire d’un président de gauche déplorant le décalage de la politique française « avec les valeurs européennes ».
Certes, on pourra toujours objecter que la situation socio-économique des Roms n’est guère brillante en Roumanie, et que là se situe une partie du problème. L’héritage des discriminations passées reste vivace, mais on ne peut réduire leur situation actuelle au fait qu’ils ont été asservis sur le territoire actuel de la Roumanie jusqu’en 1856, date de l’abolition du servage qui ouvrit alors une vague d’émigration des Roms vers l’Europe de l’Ouest et les États-Unis. La discrimination n’est pas seulement économique, mais aussi éducative, sanitaire et sociale, et elle est le fait d’institutions d’État (police, services sociaux) comme des journalistes ou de responsables politiques qui associent les Roms à des malfrats. Certes, le montant des aides fournit un prétexte commode pour tous ceux qui accusent la Roumanie de ne rien faire pour ses minorités. Si l’on entend ici ou là le chiffre de 20 milliards d’euros d’aides européennes, on néglige généralement de préciser le fait que les sommes dépensées ne concernent pas exclusivement les Roms, mais bien l’ensemble des transformations politiques, sociales et économiques que connaît ce pays. En outre, il convient d’ajouter qu’il n’est pas aisé de mettre sur pied un programme qui ne cible que les Roms, dans un pays où les zones rurales (où se trouvent la majorité de cette population) ont été particulièrement touchées par la crise. Les habitants non-Roms des zones défavorisées ne risquent-ils pas de s’en sentir exclus, ce qui renforcerait encore l’animosité envers la minorité Rom ? À l’inverse, il faut se souvenir que certaines communautés villageoises Roms sont prospères, comme celle de Buzecu renommée pour ses palais baroques. C’est donc la redynamisation de toute une économie rurale qu’il faut viser (les Roms n’étant pas les seuls candidats au départ), avec une meilleure reconnaissance politique des problèmes spécifiquement Rom. En effet, les Roms ont souffert en Roumanie d’une faible inclusion dans le système politique, moindre en tout cas que dans la sphère de la société civile. Sans une volonté plus forte des Roms de s’investir en politique, de faire valoir leurs revendications auprès des acteurs politiques traditionnels et de mener une campagne visant à améliorer l’image de leur communauté auprès de l’opinion publique, les progrès risquent d’être mesurés.
Par ailleurs, et ce fait échappe trop souvent aux observateurs, la crise actuelle n’est pas sans conséquences au-delà des frontières européennes. Quoi qu’il arrive, la Roumanie et la Bulgarie finiront par intégrer l’espace Schengen, et la famille européenne trouvera des ressources pour se ressouder le moment venu. Mais ce sont les pays des Balkans ou d’Europe orientale qui feront les frais de la crise actuelle, à un moment où ils essaient de négocier davantage de liberté de circulation pour leurs ressortissants. On oublie un peu vite que l’accès à l’espace Schengen constitue l’un des principaux attraits de l’UE pour les populations, qualifiées comme non-qualifiées : menacer d’y toucher, c’est affaiblir le levier dont dispose l’UE dans ses négociations. C’est pourquoi, dans le cadre de sa politique de voisinage, la Commission a souhaité introduire depuis 2007 des « partenariats de mobilité » négociés pays par pays, dont la finalité consiste à permettre un meilleur accès à l’espace européen pour l’immigration légale en échange d’un contrôle renforcé à la frontière pour contrer les trafics.
Pour ne prendre que le cas de l'Ukraine (45 millions d’habitants), ce pays a demandé avec insistance aux institutions européennes un régime d'exemption de visa au cours des dernières années, et il loin d’être sûr que l’obligation de faire des visas pour les ressortissants ukrainiens s’arrête en 2012 comme espéré. La situation actuelle peut sembler injuste aux citoyens ukrainiens, puisque les ressortissants de l’UE peuvent quant à eux accéder librement au territoire ukrainien sans réciprocité, et illogique puisque l’UE ne peut accroître son influence sans favoriser les contacts interpersonnels, particulièrement auprès de diverses catégories clés de la population. En réalité, l’espace post-soviétique offre aujourd’hui davantage de facilités pour la mobilité des citoyens ukrainiens que l’espace Schengen, et la polémique autour des Roms n’a rien fait pour arranger cet état de fait. Malheureusement, la critique d'aujourd'hui à l’encontre de la Roumanie et la Bulgarie ne peut que renforcer les stéréotypes négatifs et les préjugés chez les anciens membres vis-à-vis de toute future vague d'élargissement, amenant à progresser sur la question des visas uniquement de manière très lente, d’autant que les États-membres prennent souvent les décisions cruciales dans ce domaine.
La liberté de circulation au sein de l’UE a également été accompagnée, dans une grande partie des anciens membres, par une hausse de sentiments anti-immigrés. Or, ce problème se posera à tout nouvel élargissement, dans les Balkans, en Turquie et sans doute au-delà ; une politique à courte vue en France peut donc écorner l’image d’un pays généreux et défenseur des droits de l’homme, mais également porter un coup à la réalisation d’un espace de circulation équilibré à l’échelle européenne.
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