Les enjeux du vote catholique edit
L’irruption du débat sur le vote des catholiques est l’un des aspects les plus surprenants de ces élections présidentielles hors du commun. Il faut y voir dans une large mesure la conséquence de l’intense polémique déclenchée par l’examen et le vote de la loi sur le mariage pour tous qui a réveillé d’anciennes divisions au sein d’une communauté réduite mais encore influente.
A première vue, l’appel aux voix des catholiques a été une initiative de François Fillon. Celui-ci a estimé qu’il pourrait récolter à la primaire les voix des catholiques pratiquants qui représentent environ 15% du corps électoral. C’était la première fois sous la Ve République que le candidat d’un des principaux partis affichait son allégeance à l’Eglise et par conséquent ses réserves sur un certain nombre de sujets de société, notamment le droit à l’avortement, le mariage homosexuel et la gestation pour autrui (GPA). Il convient de noter que les autres candidats LR à la primaire de la droite se gardèrent bien de le suivre sur cette voie.
Toutefois, l’initiative de Fillon ne peut se comprendre que si on se reporte au début du quinquennat de François Hollande, en 2012-2013, quand, conformément à une promesse du nouveau président, un projet de loi autorisant le mariage de personnes de même sexe fut soumis au Parlement. A la surprise générale, ce texte qui était passé sans difficultés majeures en Belgique, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, suscita en France une violente réaction. De vastes manifestations contre le « mariage pour tous » eurent lieu à Paris et dans les principales villes de province. Elles étaient organisées par des militants catholiques laïcs mais bénéficièrent du soutien discret d’une partie des communautés musulmanes et juives et de la bienveillance des évêques. Au cours des premiers mois de 2013, le gouvernement dût à la fois affronter un débat long et orageux dans les assemblées et assurer le maintien de l’ordre dans la rue face aux foules mobilisées par la « Manif pour tous ».
Ce qui suscita le mécontentement de cette fraction la plus conservatrice du peuple catholique qui, au fil des années est devenue majoritaire dans cette communauté, ce n’était pas seulement la remise en cause de la notion traditionnelle du mariage. Les organisations telles que Sens commun, crées dans la foulée de ces actions revendiquaient aussi leur opposition à de futures réformes qui leur semblaient être la conséquence inéluctable de la future loi : le droit à l’adoption plénière par les couples gay et lesbien et, surtout, l’autorisation de la gestation pour autrui, la GPA. Elles affirmaient ainsi leur totale fidélité aux orientations du Vatican.
La promulgation de la loi en mai 2013 mit fin aux grandes manifestations ce qui donna l’illusion à beaucoup d’observateurs que la question était réglée. En fait, il n’en était rien. Il apparait aujourd’hui que le conflit autour du « mariage pour tous » a servi de catalyseur à l’émergence durable d’un mouvement regroupant de nombreux jeunes et mettant l’accent sur la défense des valeurs traditionnelles de l’Eglise catholique.
C’est ce courant, très vivace quatre ans après la Manif pour tous et très présent sur les réseaux sociaux que Fillon a su exploiter. Quand il perdit l’appui d’une partie des Républicains à la suite des révélations sur l’emploi de sa famille, l’organisation Sens commun qui avait conclu un accord de partenariat avec les Républicains prit le relais. Elle assura la logistique de ses meetings jusqu’à la fin de la campagne. De ce fait, l’électorat catholique rallia dans une large mesure le candidat des Républicains. Un sondage IFOP publié par le Pèlerin indique qu’au premier tour de la présidentielle, 46% des catholiques pratiquants votèrent pour Fillon, contre 19% pour Macron et 12% pour Marine Le Pen. Pour les pratiquants réguliers le pourcentage d’électeurs de Fillon atteignit 55%.
L’élimination de Fillon à l’issue du premier tour a plongé dans un profond embarras l’électorat catholique et la hiérarchie de l’Eglise. Le 24 avril, la Conférence des évêques de France (CEF) publia un communiqué ambigu dans lequel elle se référait à la fois à la nécessité d’accueillir les migrants, un signe en direction de Macron et à son souci de respecter les règles de la filiation, une référence implicite au Front National puisque celui-ci dans le duel avec En Marche semblait reprendre les réserves de Fillon sur l’adoption plénière et la procréation assistée pour les couples de femmes.
Cette attitude prudente contrastait avec la prise de position de la CEF contre le Front national en 2002, à l’occasion de l’affrontement entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Elle isolait aussi la CEF par rapport aux autres religions, musulmane, juive et protestante qui affirmèrent publiquement leur hostilité à Marine Le Pen.
Entre les deux tours de la présidentielle de 2017, les catholiques se sont profondément divisés dans un débat qui laissera certainement des traces durables. La majorité de la hiérarchie et les organisations liées à la Manif pour tous telles que Sens commun ont refusé de faire un choix entre les deux candidats, tout en laissant entendre que les valeurs familiales étaient mieux garanties par le Front National et notamment par Marion Maréchal Le Pen, la dirigeante dont ils se sentent les plus proches et qui a réclamé l’abrogation de la loi sur le mariage pour tous. Elles ont été confortées par une surprenante déclaration du Pape François. Celui-ci, dans l’avion qui le ramenait du Caire s’est abstenu, en réponse à des questions de journalistes français, de condamner le FN, qualifié de « droite forte » sans tenir compte du fait que la xénophobie virulente du parti de Marine Le Pen était totalement opposée à sa propre doctrine.
En revanche une demi-douzaine d’évêques sur une centaine, ont publiquement appelé à s’opposer au Front National. Ils ont été relayés par des journaux catholiques, la Croix et la Vie et diverses tribunes dans la presse, notamment une retentissante intervention dans le Monde du journaliste et éditeur Jean François Bouthors, intitulée : « Evêques, sortez le loup frontiste de la bergerie catholique ».
On ne dispose pas encore d’étude sur la ventilation au second tour de l’électorat catholique mais il est probable qu’il s’est réparti en parts à peu près égales entre le vote pour Macron, pour Marine Le Pen et le vote blanc préconisé par plusieurs responsables de Sens commun.
Plusieurs leçons peuvent être tirées de ces événements qui ont profondément marqué une communauté certes minoritaire mais qui compte encore dans la société française.
Tout d’abord, on assiste à un changement durable des mentalités qui rappelle certaines évolutions constatées aux Etats Unis : le poids croissant de la défense des valeurs dans le débat politique suscité par les échéances électorales successives. Entre le soutien à la doctrine sociale de l’Eglise et le combat pour la famille hétérosexuelle et contre la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et la GPA, les militants de Sens commun et de la Manif pour tous ont choisi. Pour eux ces valeurs prônées par l’Eglise sont beaucoup plus importantes que l’aide aux migrants ou aux catégories les plus défavorisées. Il semble qu’en refusant de s’attaquer au Front National, la CEF et même le souverain pontife leur ont donné implicitement raison.
Cette mutation révèle sans doute aussi des changements profonds dans la sociologie de la communauté catholique. Avec la disparition des organisations de jeunesse si puissantes après 1945, celle-ci a perdu ses bases populaires et est devenue essentiellement le reflet d’une fraction des classes moyennes moins sensible aux contraintes économiques.
Enfin ce réflexe identitaire et cet attachement à une certaine vision de la famille constituent aussi une réaction face à l’essor du culte musulman qui devient majoritaire dans certaines zones urbaines.
Il faut se faire une raison. Après une longue éclipse, le fait religieux est redevenu une composante importante du débat politique même s’il ne concerne qu’une minorité de la population.
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