Les médias numériques face à leur public edit
Le rapport annuel du Reuters Institute sur les médias numériques est toujours attendu avec intérêt par les professionnels car il offre une vision mondiale de l’évolution de ces nouveaux supports. L’édition 2021 trace les tendances les plus significatives sur la confiance dans ces médias, le niveau des abonnements payants, le rôle des plateformes et des divers supports d’information. La présentation des données par pays permet de comparer sur tous ces points la situation de la France à celle des États-Unis et de ses voisins européens.
La confiance progresse… sur fond de méfiance
Quel fut l’impact de la pandémie sur l’appréciation des médias par le public ? Globalement, le résultat est plutôt satisfaisant puisque cette confiance progresse de 6% par rapport à 2020. Toutefois, la situation varie fortement selon les pays. En Allemagne, le niveau reste élevé avec 53% d’opinions favorables. Il n’en va pas de même aux États-Unis (29%) et en France. Celle-ci, avec 30% seulement, persiste dans une méfiance qui la distingue de nos voisins européens.
Quant aux plateformes, le faible niveau de confiance qui leur est accordé dans la plupart des pays concernés n’est pas surprenant mais leur audience est toujours aussi importante, surtout chez les jeunes. Ceux-ci y sont d’autant plus attachés qu’ils se plaignent de ne pas être traités avec suffisamment d’attention par les médias traditionnels, accusés aussi de négliger les minorités.
L’un des effets de la pandémie a été la multiplication des fake news. Une large majorité (environ 54%), s’en plaint et incrimine les réseaux sociaux, tout particulièrement Facebook qui distance largement les autres sites comme diffuseur d’informations toxiques. C’est ainsi que 28% des usagers se plaignent de Facebook contre seulement 6% pour YouTube, son principal concurrent.
Le rapport va au-delà des appréciations forcément subjectives d’un public qui affirme à 74% sa préférence pour les médias non partisans. Il dresse un tableau très précis des modes de consommation de l’information et de leur évolution.
Les abonnements à la traîne
Un élément majeur de l’économie des médias numériques est le niveau des abonnements, seul palliatif à l’effondrement des recettes publicitaires et à la baisse continuelle de la diffusion du papier. Le rapport Reuters analyse donc de manière détaillée ces données. Il constate que les abonnements progressent très lentement, de 5% globalement. Les variations entre pays sont importantes. Les pays scandinaves sont les champions : par exemple, en Suède 30% des abonnés aux médias ont adopté la version numérique. Aux États-Unis, ils sont 21% à avoir fait ce choix avec une proportion croissante qui souscrit à plusieurs abonnements, une évolution prometteuse si elle se poursuit. Le contraste est saisissant avec les pays d’Europe de l’Ouest. Avec 10% pour la France, 9% pour l’Allemagne et 8% pour le Royaume-Uni, on est loin de l’Europe du Nord et l’écart ne semble pas se resserrer.
Quelques médias nationaux, la plupart du temps des titres historiques qui ont aussi une version papier, dominent le marché de l’abonnement et l’emportent largement sur la presse locale. Aux États-Unis, 45% des abonnements vont à trois titres, le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal. Au Royaume-Uni, le Times et le Guardian cumulent 35% à eux deux contre 3% pour une presse locale qui traverse une crise majeure. En France, il en va de même avec le Monde, Le Figaro et le pure player Mediapart qui à eux trois rassemblent près de 700.000 abonnés.
Plus généralement, les enquêtes par pays montrent le poids de quelques grands médias de référence, tels que la BBC au Royaume-Uni. La pandémie a contribué à conforter ce rôle à un moment où le public était à la recherche d’informations fiables pour mieux apprécier l’évolution et les menaces du Covid. En Allemagne, en France et dans les pays scandinaves ce comportement a clairement favorisé les télévisions publiques, qui, les années précédentes, étaient déjà appréciées pour leur fiabilité.
L’apport majeur du travail du Reuters Institute est cependant l’état des lieux qu’il livre chaque année sur les rôles respectifs des différents supports numériques d’information (médias, plateformes, et désormais messageries), examinés globalement et pays par pays.
Plateformes et messageries: concurrentes ou complémentaires
La tendance générale est à l’accentuation de la concurrence entre plateformes et messageries avec de fortes variations en fonction des tranches d’âge et des zones géographiques.
Dans l’hémisphère nord, en Europe et aux États-Unis, les plateformes, essentiellement Facebook et YouTube constituent un important moyen d’information qui reste cependant minoritaire par rapport aux autres canaux en ligne : 41% de consultation de Facebook en Europe, 35% en Amérique du Nord. Les moins de 25 ans s’appuient surtout sur Instagram et Tik Tok ce qui montre une autre approche de la consommation des nouvelles, une approche plus ludique et fondée surtout sur l’image.
Dans les pays du Sud où les médias traditionnels sont faibles et souvent peu crédibles, ce sont les messageries qui progressent le plus même si Facebook est largement consulté. En Amérique latine, 59% des usagers consultent Facebook et 40% WhatsApp. En Afrique, ce sont respectivement 60 et 61%.
La France affiche des résultats proches de ceux de ses voisins européens. Entre 2013 et 2021 la consultation des réseaux sociaux est passée de 18 à 38% des usages alors que celle de la presse écrite baissait de manière spectaculaire, passant de 46 à 14%. Les trois principaux supports d’information numérique sont Facebook (39%), YouTube (24%) et WhatsApp, en forte progression avec 15%.
Le bilan dressé par le Reuters Institute révèle ainsi une accélération des changements de mode de consommation de l’information.
Ainsi la presse écrite devient un moyen d’information très minoritaire et disparait presque dans les pays du Sud. Néanmoins, les journaux peinent à faire fructifier leurs services numériques et à remplacer le papier par Internet, en raison de la réticence des usagers à payer des abonnements. L’information gratuite domine encore sur Internet ce qui fait planer une grande incertitude sur la situation économique des médias traditionnels.
En dépit de la confiance accordée à quelques grands médias de référence et notamment aux chaines de télévision de service public, les usagers consacrent beaucoup de temps à la consultation de réseaux privés. La crédibilité de Facebook est en baisse et ce support est dédaigné par les moins de 35 ans mais sa filiale de messagerie WhatsApp ne cesse de progresser car tous les sondages montrent que les internautes accordent une grande confiance dans les nouvelles diffusées par les proches. Partout dans le monde on fait face à une situation paradoxale où le public souhaite avoir accès à une information fiable alors qu’il multiplie les échanges informels et non validés via les boucles des messageries.
Les prochaines années permettront-elles de surmonter ces contradictions et de stabiliser l’économie des médias ? C’est l’enjeu majeur du débat sur une information fiable et de qualité qui devra trouver des sources pérennes de financement.
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