L’information numérique: métamorphose ou disparition? edit
Le quotidien La Croix procède chaque année à une vaste enquête avec le cabinet Kantar sur l’usage et la confiance dans les médias. Les résultats publiés le 25 novembre dernier illustrent une évolution très préoccupante que confirment d’autres travaux menés en Europe et aux États-Unis : l’univers numérique de plus en plus vaste et divers laisse une place réduite à l’information que le public, désorienté et saturé, tend à délaisser, quitte à se contenter de messages biaisés et toxiques échappant à toute forme de modération et éparpillés dans les plateformes les plus diverses.
La lassitude de l’information
Cet état des choses se traduit par un sentiment de lassitude face à une information répétitive et angoissante. Au total, 51% des Français ressentent de la fatigue ou du rejet par rapport à l’information. Il faut noter que cette lassitude est plus marquée chez les moins de 35 ans : 60% que chez les plus de 65 ans, 38 %. Cet écart important entre jeunes et vieux est d’ailleurs une caractéristique majeure de l’enquête. Dans une étude plus vaste puisqu’elle concerne 45 pays le Reuters report aboutit aux mêmes conclusions en soulignant que la guerre en Ukraine est un facteur majeur de refus de l’information considérée comme trop inquiétante pour être consultée.
On pourrait pense que le rejet de l’information répétitive alimentant à longueur de journée des alertes sur les smartphones inciterait les usagers à consulter sur internet les sites des médias traditionnels qui ont l’avantage d’offrir une information structurée et des analyses de fond. En réalité il n’en est rien. Si 27% des usagers consultent les sites de la presse régionale et 22% la presse nationale, 43% font appel aux réseaux sociaux. Là encore, ce sont surtout les jeunes, 56% contre seulement 29% pour les plus de 65 ans. Il est logique qu’on constate le même écart dans la confiance dans les réseaux sociaux : 42% pour les moins de 35 ans, 8% pour les plus de 65 ans. Toutefois, 63% des jeunes reconnaissent que les réseaux sociaux diffusent de fausses informations ce qui ne semble pas les gêner puisqu’ils sont majoritairement hostiles à toute forme de régulation.
L’enquête éclaire enfin un autre phénomène qui prend de l’importance dans le monde de l’information numérique : le rôle croissant des influenceurs, qui rassemblent sur Instagram ou Tik Tok des audiences considérables en assurant la promotion commerciale de produits les plus divers mais leurs messages ont parfois un contenu politique et certains se consacrent uniquement au commentaire de l’actualité à partir d’informations et d’images glanés un peu partout dans l’immense domaine numérique. D’après l’enquête Kantar, 24% des moins de 35 ans s’informent auprès des influenceurs.
Enfin, l’enquête se penche sur une démarche de plus en plus fréquente, le partage de l’information qui passe par les réseaux sociaux mais de plus en plus par des messageries comme WhatsApp ou Telegram. Là encore les moins de 35 ans approuvent cette démarche à hauteur de 59%.
La dilution et la pollution de l’information
Cet ensemble de résultats illustre bien les évolutions de l’information numérique qui en dix ans a subi un double phénomène de dilution et de pollution ce qui explique dans une large mesure cette forme d’épuisement que décrit bien un récent rapport de la Fondation Jean Jaurès.
La dilution est la conséquence de la multiplication des plateformes et des sites liés à l’information souvent à des fins complotistes comme QAnon ou 4Chan aux États-Unis. De ce fait les principales plateformes comme Facebook, Instagram ou You Tube qui sont relativement surveillées par des milliers de modérateurs sont concurrencées par ces nouveaux acteurs. Le plus important d’entre eux est Tik Tok la plateforme d’origine chinoise qui a un milliard d’abonnés surtout des jeunes mais qui ne surveille guère ses contenus. Il faut aussi tenir compte de l’évolution de Twitter. Depuis son rachat en 2022 par Elon Musk, il a pratiquement abandonné toute forme de contrôle éthique ce qui a permis l’irruption d’une vague de messages xénophobes et antisémites multipliés par deux en un an.
Un exemple des conséquences de cette dilution a été fourni en 2022 quand les services secrets américains ont découvert qu’un jeune informaticien de la garde nationale avait eu accès à des documents militaires ultra secrets et les avait diffusés pendant un an sur Internet sans que personne s’en aperçoive. La cause de ce ratage spectaculaire est que ces documents étaient publiés sur un site de jeux vidéo hébergé par une plateforme, Discord, qui n’était pas surveillée. Il a fallu que ces informations apparaissent sur des messageries russes de Telegram pour que le FBI soit alerté et arrête le jeune homme.
La pollution s’est elle aussi généralisée sur des milliers de sites et des dizaines de plateformes. Tous les observateurs d’internet s’accordent sur le fait que les conflits en Ukraine et plus récemment à Gaza ont déclenché un flot gigantesque de fausses nouvelles de manœuvres d’intoxication et de photos et vidéos truquées grâce à l’intelligence artificielle ce qui rend beaucoup plus malaisée la recherche de la vérité ou simplement d’informations fiables, les médias traditionnels peinant à faire le tri. Ces multiples dérapages ne font pas fuir le public car les algorithmes l’attire irrésistiblement vers les informations les plus sensationnelles ou celles qui confortent leurs préjugés illustrés par les précédentes consultations de sites. Il est évident que ces opérations sont en partie menées par des unités russes et chinoises qui ont constitué des équipes extrêmement efficaces en matière de cyberguerre.
Apparemment si on prend en compte les résultats de l’enquête de Kantar, le public n’est pas dupe. 73% des personnes interrogées considèrent que la diffusion croissante d’informations liées à l’actualité par des personnes qui ne sont pas des médias ou des journalistes participe à la diffusion de fausses informations et aux théories du complot, ce pourcentage allant de 63% pour les moins de 35 ans à 84 pour les plus de 65 ans. Ce constat, comme on l’a vu ne freine en rien la consommation de ces pseudo nouvelles.
Cette situation qui menace de destruction les circuits normaux de l’information dans les pays démocratiques a mobilisé les pouvoirs publics en Europe et aux États-Unis sans déboucher pour le moment sur des résultats significatifs.
Aux États-Unis le Congrès a mis à l’étude un projet de loi de réglementation des réseaux sociaux mais il fait l’objet de l’opposition déterminée des Gafam dont le pouvoir de lobbying est proportionnel à leurs immenses ressources financières.
L’Europe est allée plus loin en mettant en application le 25 août dernier le Digital Service Act qui place sous surveillance la vingtaine de plateformes qui ont plus de 45 millions d’usagers dans l’Union européenne. Toutefois, la limite de cette démarche est que la fonction de contrôle est assurée dans chaque pays par une autorité indépendante, en France, l’Arcom. Cela signifie que tout dépend de la bonne volonté de chacun des Etats membres. Le premier test de cette volonté s’est révélé très décevant. Il s’agit de la campagne électorale en vue du scrutin du 30 septembre en Slovaquie. Les réseaux sociaux et notamment Facebook ont été inondés de messages alimentés par la Russie en faveur du parti de Robert Fico. Cela a certainement aidé Fico à gagner les élections et il ne faut pas compter sur lui maintenant qu’il est revenu au pouvoir pour sanctionner les réseaux sociaux en application du DSA.
En définitive, pour sauver une information de qualité nécessaire dans une démocratie, il faut surtout compter sur les efforts des médias numériques pour apporter aux usagers et notamment aux jeunes les enquêtes et les analyses qui correspondent à leurs demandes. C’est un défi mais aussi un enjeu essentiel pour l’Europe.
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