Révolution numérique et médecine 5P edit
La massivité et la disponibilité des données s’imposent comme un fait d’évidence. Ces données sont le support de la médecine de demain. Il en ressort une médecine que l’on peut dire « 5P » : préventive, prédictive, participative, personnalisée, pertinente. Historiquement, l’expression « 4 P » provient du marketing. Au milieu du 20e siècle, les experts en marketing ont popularisé une approche de leur activité en 4 P pour quatre variables : produit, prix, place, promotion. Avec la révolution numérique, l’appellation 4 P a été employée pour désigner une nouvelle forme d’action publique, réformant et refondant les politiques publiques traditionnelles. Cette nouvelle action publique répond à quatre principes majeurs, les « 4P » : personnalisée, prédictive, préventive et participative. Des algorithmes se trouvent au cœur des politiques publiques, mais l’essentiel relève de la nouvelle place de l’usager. Celui-ci participe et coopère en permanence. L’action publique s’individualise et se fait prédictive et préventive en proposant des solutions adaptées, en fonction de connaissances permises par les données. Ces « 4 P » se retrouvent pleinement en santé. Il est judicieux d’y ajouter un cinquième P, celui de la pertinence. Le service de santé est évalué sur de multiples critères mais principalement, aux moins aux yeux du patient, au regard de la pertinence des traitements proposés et suivis.
Prédictive et préventive, la santé le devient car grâce aux données, souvent générées par les patients eux mêmes. La médecine sera mieux capable de prédire les risques de développer telle ou telle maladie. Et l’on pourra beaucoup mieux segmenter les populations, les traitements et les programmes de prévention. Grâce aux données de santé, la médecine sera capable de faire précéder la prévention de la prédiction, c’est-à-dire de cibler réellement les populations qui auront besoin de telle ou telle mesure de prévention.
Les politiques de prévention seront rendues beaucoup plus efficaces économiquement, par une médecine plus personnalisée, c’est-à-dire plus adaptée, plus individualisée. La prédictibilité éclaire d’un jour nouveau la question de la prévention et celle de la personnalisation. Le big data va également autoriser une médecine bien plus participative. C’est tout le thème de l’implication des patients eux-mêmes dans le suivi du traitement de leur pathologie. Cette médecine participative sera davantage pertinente car, à partir des données de santé, pourront être développés des diagnostics bien plus précis que le seul cerveau du médecin en face de son patient. Concrètement, lorsque l’on peut mutualiser l’ensemble des données disponibles à travers le monde, pour évaluer chaque cas précis, on peut prendre des décisions bien plus appropriées, bien plus pertinentes. Le big data nourrit ainsi, pour les professionnels de santé, des algorithmes de décision clinique de plus en plus sophistiqués. Les praticiens s’appuient sur le référencement de l’ensemble de la littérature scientifique de la médecine fondée sur des preuves (evidence based medicine). Les capacités sont immenses ; les perspectives considérables.
Ces changements vers la prévention et la personnalisation devraient continuer à s’accélérer à mesure de la croissance du volume et de la disponibilité accrue des données. Des systèmes d’information à la fois plus automatisés et plus individualisés assureront une offre de soins à la fois globale (dans le temps) et individualisée (adapté aux personnalités et pathologies singulières).
La prédictibilité pose toutefois un problème technique et un problème éthique. Problème technique, déjà repéré depuis une vingtaine d’années, en ce que la médecine prédictive rend plus malaisée, voire rend impossible, l’assurance solidaire. En effet, si l’on peut prédire les pathologies individuelles, il devient difficile de les assurer collectivement. La plus grande disponibilité de l’information affecte la solidarité, c’est-à-dire le partage du risque. Demain, des individus que les tests génétiques auront diagnostiqué en bonne santé pour le restant de leur vie pourraient, en l’absence de réglementation, chercher à se désaffilier de l’assurance maladie obligatoire. Le problème d’assurabilité se double d’un problème éthique. La médecine prédictive pose un problème moral et déontologique qui n’est pas résolu. Il est compliqué de savoir si l’on doit dire à des gens, des adultes plus ou moins bien portants, des adultes-parents ou des enfants, comment ils sont programmés pour mourir. La question de la place de la médecine prédictive est une question qui dépasse le cadre strictement scientifique et rentre dans le cadre moral. Une médecine partiellement prédictive a incontestablement de l’intérêt. Encore faut-il en définir les limites.
Le deuxième sujet de la révolution numérique porte sur les outils digitaux, la e-santé. Pour les professionnels de santé, la télémédecine, qui n’est pas neuve, va massivement se développer par l’échange facilité des données et des dossiers. Pour tous les individus, le Smartphone va devenir l’auxiliaire personnel de la santé. Notons, à cet égard, que l’accès au téléphone portable, dans le monde, étant largement plus étendu que l’accès à l’eau potable, cette pénétration des technologies individuelles de santé ne concerne pas que les pays riches mais toute la planète.
Il faut, dans un premier temps, relativiser l’intérêt potentiel de ces appareils connectés. Certes, tout un chacun pensera gérer sa santé à partir de capteurs et récepteurs personnels. Mais dans ce domaine de la santé, comme dans tout le domaine du numérique, on doit se méfier d’une dimension assez consumériste, presque ludique. L’implication de patients isolés et peu formés pourra ne pas être d’une utilité remarquable. Il ne suffit pas de charger sur un Smarphone une application comptant et enregistrant le nombre de pas effectués dans la journée pour que tout ceci soit très pertinent. À qui envoyer les données ? Comment les exploiter ? Sans organisation rigoureuse, dans des réseaux solides, de telles applications peuvent ne pas présenter un grand intérêt.
De nombreux flux de données ne seront pas très exploitables. Cependant, il existe une approche beaucoup plus organisée, intégrée dans des parcours de soins, des données de santé générées par les patients. Il en va ainsi, par exemple, de programmes expérimentaux, qui tournent déjà depuis plusieurs années, pour le suivi des malades insuffisants rénaux chroniques. Des patients se trouvent en situation d’insuffisance rénale, juste avant le stade de dialyse. Ils vont inéluctablement devoir un jour se brancher sur une machine plusieurs fois par semaine. C’est très invasif pour les patients, très coûteux pour l’assurance maladie. Or, a été très clairement démontrée l’utilité de la mise à disposition des patients d’une tablette sur laquelle ils enregistrent, une fois par semaine, des données physiologiques simples, comme leur poids, leur régime alimentaire, ou les oedèmes qui se manifestent. Dès lors que ces renseignements sont envoyés à un centre expert, qui permet leur analyse par un néphrologue, l’adaptation du régime ou des médicaments devient possible au fil de l’eau. On recule, de cette manière, de sept ans le passage en dialyse. Les conséquences sont extrêmement favorables pour le patient et en termes de coûts.
Encore sur le plan technologique, au-delà de nos appareils individuels, le big data nourrit de données le big bang du secteur de la santé. La collecte et l’analyse de gros ensembles de données constituent une opportunité dans la mesure où l’abondance, bien gérée, de données fournira des diagnostics toujours plus précis et ajustés, et en même temps meilleur marché, car limitant les interventions. Le big data, en santé, vient ainsi alimenter le big brother, à contrôler, qui aide à diagnostiquer et à traiter. On peut s’en défier, mais il y a là d’abord de la nécessité. Pour des diagnostics et des thérapies fiables, il faut fournir les ordinateurs et les praticiens en expériences et données. Les capacités de traitement, informatique, progressant exponentiellement, elles accompagnent les progrès des traitements médicaux.
S’il y a opportunité il y a défi, car l’approfondissement de la révolution numérique emporte des conséquences pour l’ensemble du système de santé. Aux cinq « P » positifs, attachés à la révolution numérique, il ne faudrait pas ajouter le « P » de perdition. Si le numérique, associé aux biotechnologies, peut certainement améliorer les diagnostics et les traitements, il peut mettre en péril le système de santé. Face à toutes ces évolutions technologiques et scientifiques, certains estiment que l’on se trouve, en santé, dans la situation qu’ont pu connaître les « majors » dans la musique. Ces grandes compagnies n’ont pas vu les révolutions à l’œuvre, ou ne se sont pas adaptées pour les digérer. Dans les années 1980, ces entreprises considéraient que leur travail consistait à dénicher des talents et à presser des CD. Elles n’ont pas vu arriver Internet, Youtube, Napster, etc. Ces entreprises ont disparu, balayées par le progrès technologique.
Dans le monde de la santé, les relations sont compliquées avec les champions du numérique comme les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). Certains géants du numérique investissent spectaculairement dans le transhumanisme et les nouvelles technologies qui pourraient incarner cette volonté d’améliorer l’espèce humaine. Mais l’essentiel n’est pas là. La numérisation générale de l’économie et des modes de vie a un impact sur notre santé et nos données de santé. Nos habitudes de consommation, nos recherches sur Internet, nos courriers électroniques, nos échanges sur les réseaux sociaux révèlent aux entreprises du numérique beaucoup sur notre hygiène de santé et éventuellement nos affections. Sans aucun accès à nos données médicales, ces entreprises peuvent dire ou prédire, de façon approximative bien sûr, si nous avons des antécédents médicaux, adoptons des comportements à risque, prenons des drogues, buvons ou fumons. Les informations glanées sur la toile, bien traitées, deviennent des données de santé. C’est dire si la maîtrise de cet ensemble de données est un enjeu capital. À cet égard, la discussion, on pourrait dire le combat, ne fait que commencer au sujet de la maîtrise et du partage de l’information.
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