Prime Sarkozy : un coup d’épée dans l’eau, deux niches fiscales en plus edit
La fameuse prime Sarkozy ne changera rien pour les salariés et les entreprises – pour preuve la bourse de Paris n’a pas réagi à cette nouvelle. Elle revient juste à faire subventionner par le contribuable les salaires variables et primes diverses qui existent déjà, au moyen de deux nouvelles niches fiscales. Mais c’est surtout très dommage pour la crédibilité budgétaire du gouvernement français, alors même que Bercy a envoyé lundi dernier à Bruxelles le programme de stabilité de la France pour la période 2011-2014.
Depuis 2008, le président de la République veut absolument faire bouger la répartition capital / travail de la valeur ajoutée. Or, il n’y a pas de problème avec la répartition salaires – profits en France dans le secteur privé (hors secteur financier). Le rapport Cotis de 2009 l’avait déjà dit : les salaires sont à leur niveau historique (environ 2/3 de la valeur ajoutée). J’avais en 2009 fortement critiqué la proposition présidentielle de « partage des profits en trois tiers », dans un rapport du CAE . Un « partage des profits en trois tiers » tel que proposé par le président Sarkozy aurait abouti à un effondrement de l’investissement, puis de la croissance. Et tout récemment, que s’est-il passé ? La part des profits dans la valeur ajoutée a baissé depuis l’élection présidentielle de 2007 ! 38,4% au deuxième trimestre de 2007, 36,3% en moyenne en 2010 et 36,0% pour le quatrième trimestre 2010, le dernier connu (données de l’Insee du 25 mars 2011).
La mesure annoncée le 21 avril est moins farfelue que la fameuse « règle des trois tiers ». Le gouvernement vient d’annoncer qu’il va « imposer aux entreprises de plus de 50 salariés le versement, chaque année, d’une prime obligatoire à leurs employés si elles augmentent leurs dividendes ». Outre les difficultés d’application et de contrôles fins, que va-t-il se passer ? Les entreprises vont habiller en « prime Sarkozy » les divers éléments rémunérations variables (participation, intéressement, primes et gratifications diverses) qu’elles distribuent déjà à leurs salariés. Lors de la récente grève chez Carrefour, nous apprîmes que même les caissières payées au SMIC ont des éléments de rémunération variable.
Avec cette « prime Sarkozy », il y a création de deux niches fiscales supplémentaires. D’abord, madame Lagarde a annoncé que : « le régime de la prime sera le même que celui de la participation », à savoir exonération de charges sociales dans la limite d’un plafond à définir, mais CSG et CRDS (taxe à 8%). Ensuite, on parle même de baisse de l’impôt des sociétés pour les entreprises « obligées » de payer la « prime Sarkozy ».
Et c’est reparti ! La folle machine française à créer des niches fiscales s’emballe de nouveau. Ici, ces deux niches vont revenir à faire subventionner la « prime Sarkozy » par l’ensemble de contribuables ou par l’endettement. Au total, le gouvernement crée une prime qui ne change rien, sauf que l’on va donner encore plus d’avantages en termes de fiscalité et de charges sociales aux entreprises et à leurs salariés. C’est donc une redistribution de tout le monde vers ceux qui ont déjà un travail et vers leurs actionnaires !
Le plus grave et le plus inquiétant dans la création de cette prime est qu’elle a été annoncée le jour même où le gouvernement français transmettait à la Commission européenne son nouveau Programme de stabilité 2011-2014, où il dit avec solennité : « La stratégie d’ajustement structurel décrite dans ce programme repose à la fois sur un effort important de maîtrise de la dépense publique et sur une poursuite de la réduction du coût des dépenses fiscales et des niches sociales, conformément aux engagements de la LPFP » (page 7, l’accentuation est de Bercy). Ainsi, le jour même où Bercy s’engage au nom de la France à réduire les niches fiscales et sociales, le président annonce la création de deux grosses niches fiscales, tout cela pour un gain économique nul ! Inutile de dire que la crédibilité budgétaire de la France sort de cet épisode réduite et écornée.
La conclusion ici est claire : en France, tant la droite que la gauche (cf. le récent programme du PS) sont incapables de se plier à la contrainte budgétaire. Il est urgent d’introduire une règle budgétaire contraignante, sinon, à ce rythme, nous finirons dans quelques années avec la Grèce et le Portugal.
Comme cette mesure ne changera rien d’ici avril 2012, il est probable que les électeurs en tiendront rigueur au candidat Sarkozy. Cette idée est donc une mauvaise idée économique, budgétaire et politique.
Taux de profit des entreprises non financières depuis 1949. Source INSEE, comptes trimestriels
Manifestement, les concepteurs de la mesure présidentielle ignorent les données de l’Insee : la crise actuelle a rogné sur les profits, ce qui est normal car les profits assument le risque. Ce que nous disent aussi ces chiffres est qu’avec le retour de la croissance, le niveau des profits va augmenter pour revenir à son niveau d’avant-crise, en particulier parce qu’il faut reconstruire du capital détruit par la crise. Et c’est une bonne chose pour l’économie – à moins de souhaiter la fin de l’investissement en France – mais une mauvaise pour les discours politiques simplistes.
Et s’il existe une entreprise où personne ne touche de rémunération variable, la prochaine augmentation de salaire sera repeinte avec le label « prime Sarkozy sur les dividendes ». Donc toutes ces embardées médiatiques ne serviront à rien dans la pratique. Sauf que le système crée une niche fiscale de plus.
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