Vers une réforme complète des retraites edit
Le système français des retraites n’a su se réformer qu’a minima depuis plusieurs décennies. Il reste marqué par des déficits récurrents et l’orientation à la baisse des pensions, comme continue à le souligner le Conseil d’orientation des retraites.
De plus, il souffre d’un manque avéré d’équité (notamment entre générations, entre hommes et femmes et entre secteurs public et privé) et n’est plus adapté à l’évolution des carrières, dont la complexité et la volatilité croissantes exigeront un mode de calcul profondément modifié.
Les objectifs que l’on doit appliquer à une vraie réforme des retraites sont donc justice et flexibilité tout autant que simple équilibre financier. Comme nous le verrons, ces critères induisent certaines classes de modèles et en excluent d’autres, y compris le système baroque actuel, même considérablement simplifié.
Le besoin de flexibilité
Toute réforme d’ampleur des retraites doit prendre en compte les changements importants survenus depuis l’après-guerre dans l’étagement des phases de la vie tout comme dans les structures familiales. L’idée d’une retraite « définitive » est de plus en plus éclipsée, surtout chez les jeunes générations, par le besoin de liberté de choisir comment occuper son temps tout au long de sa vie.
D’une part, le schéma de vie éducation – travail – retraite, où chacun des blocs est bien délimité, est remis en question : la période d’éducation devient plus longue et par ailleurs la formation continue, ainsi que l’évolution vers de nouvelles formations, ont vocation à s’étaler de plus en plus loin dans le temps. Les carrières deviennent de plus en plus hachées, éventuellement réparties entre plusieurs régimes de retraite et parfois sur plusieurs pays, traversées par des périodes plus ou moins longues d’inactivité ou d’activité non rémunérées.
D’autre part les structures familiales n’ont plus beaucoup de ressemblance avec celles de 1945 où le divorce était rare, où les femmes prenaient rarement une activité salariée et survivaient le plus souvent à leur mari. Un système de retraite moderne doit prendre en compte le désir des actifs de contribuer pour eux-mêmes mais aussi pour leurs conjoints, dans les proportions et les durées de leur choix.
Il est clair que le système actuel ne peut assurer une telle flexibilité et doit être entièrement revu. Des règles du type Moyenne des meilleures années n’ont plus beaucoup de sens pour des parcours professionnels irréguliers : bien plus pertinent serait un principe actuariel reflétant la capitalisation de la pension à un certain taux de rendement qui est fixé pour l’ensemble du système de retraite.
Le compte de retraite personnel proposé ici est ainsi proche du concept de compte notionnel. Comment choisir le taux de rendement ? À l’équilibre, la masse des cotisations finance la masse des prestations, et donc le taux de rendement des prestations est égal au taux de croissance des cotisations. C’est ce qui a conduit des pays comme la Pologne et la Lettonie à choisir des systèmes où le rendement des retraites est indexé sur l’assiette des cotisations. De manière assez proche, l’Italie a choisi comme indice de revalorisation le taux de croissance du PIB. En revanche dans le système suédois, comme le calcul du rendement est basé sur la croissance du revenu moyen, des ajustements automatiques sont nécessaires pour assurer l’équilibre financier du système.
Dans le cadre de ce compte personnel, tout actif doit pouvoir être renseigné à tout moment sur la valeur présente de sa pension future. Un transfert partiel ex-post (portant sur le plan déjà accumulé) d’un conjoint à l’autre doit aussi être possible sur une base actuarielle prenant en compte le différentiel d’espérance de vie - il ne serait donc pas pertinent d’attendre d’être sur son lit de mort pour effectuer un transfert !
La notion d’âge légal perd de sa pertinence. On doit pouvoir opérer des prélèvements de son compte de façon flexible à différents moments de sa vie, dans certaines limites. Mais pour éviter les effets d’aubaines, il faudra distinguer beaucoup plus nettement qu’aujourd’hui les composantes contributives et redistributives des retraites. En effet la redistribution exprime la solidarité du pays et relève du budget général des pouvoirs publics : si les revenus de l’aide sociale étaient plus élevés durant la retraite qu’auparavant, il y aurait un arbitrage évident à partir à la retraite de façon anticipée. Une solution contre cet aléa moral serait de faire converger les minima sociaux à tous les âges de la vie, ou, de manière plus radicale et cohérente, de remplacer l’ensemble de l’aide sociale par un impôt négatif.
Fondamentalement, la partie contributive des retraites suit la même logique qu’une assurance vie. On pourra aussi réfléchir à une certaine flexibilité du niveau-même des contributions, avec des contraintes similaires là encore à celles qui régissent l’assurance vie.
Des calculs prévisionnels doivent permettre d’établir régulièrement et en toute transparence un bilan personnalisé pour chaque individu, calculant la valeur présente du compte individuel et présentant plusieurs simulations de retraite (jusqu’à l'âge théorique du décès) en reflétant différentes hypothèses macroéconomiques mais aussi différents scénarios de contributions, y compris des périodes de non-activité. Le compte doit pouvoir être transférable vers un autre pays sur la base d’accords bilatéraux.
Définir l’équité
La complexité du système actuel des retraites est un frein à un pilotage global de moindre coût pour la société mais aussi à l’introduction de règles plus équitables. Là encore le choix s’impose d’une refonte en profondeur.
On est très vite confronté à un problème méthodologique lorsque l’on appréhende l’équité d’un système de retraite : en effet, pourquoi se limiter aux retraites au vu de l’ensemble des relations établies entre les pouvoirs publics et les ménages ? Pourquoi ne pas faire jouer au système de retraite un rôle de correcteur des disparités apparues tout au long de la vie dans l’imposition directe ou indirecte, dans l’aide et l’assurance sociale, mais aussi dans un certain nombre d’externalités qui affectent différemment les individus ? La pénibilité au travail peut être vue comme une externalité, mais il y en a d’autres, traduisant ce que l’on pourrait appeler les pénibilités de la vie, le fait notamment que le service public ne bénéficie pas de façon égale à tous les ménages : tous n’ont pas le même accès aux écoles de qualité, à des transports efficaces, à la culture. Et il existe des externalités qui ne sont pas dues directement à l’action des pouvoirs publics, comme les changements climatiques et la pollution, mais qui font peser une charge financière pas toujours équitable sur certains individus.
On a connu un exemple simplifié de cette approche au lendemain de la guerre, où les générations qui avaient beaucoup perdu méritaient une compensation financée par le reste de la société. Et donc fondamentalement l’équité d’un système de retraites ne peut se limiter à minimiser les différences de taux de rendement interne entre générations, entre différentes catégories professionnelles (salariés vs. indépendants, cadres vs. non-cadres) et entre les secteurs public et privé. Toute réforme des retraites sérieuse ne peut faire l’économie au moins d’une réforme de la fiscalité et du droit du travail.
À des années lumières du morcellement des systèmes de retraites actuels, les pouvoirs publics devront se doter d’observatoires globaux du taux de rendement interne, si l’on peut dire, de l’ensemble de la relation entre le citoyen et la société (société au sens de pouvoirs publics + externalités), non pas forcément pour l’égaliser (ce qui ne pourrait de toute façon guère se faire de manière précise), mais pour élaborer des politiques plus efficaces en connaissance de cause et en pleine transparence vis à vis des ménages.
Investissements des systèmes de retraite
Le taux de rendement interne des retraites se situe d’après le COR[1] autour de 2 à 2,2% en euros constants (hors inflation). Même si cette performance n’a pas à rougir face au rendement actuel des produits d’assurance vie, il est tout de même frappant de constater que les systèmes de retraite par capitalisation offrent en général des rendements bien supérieurs : ainsi sur la période 2001 – 2018, on a pu observer des rendements de presque 10% obtenus en investissant de manière « passive » dans des indices diversifiés. Certes, il existe déjà en France des fonds de pension : la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) permet ainsi depuis 2005 aux fonctionnaires de disposer d’une retraite par capitalisation, mais son poids reste modeste[2]. D’autres dispositifs par capitalisation existent pour le régime général : le plan d’épargne retraite populaire (PERP) ou encore le plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO), mais leurs encours sont également faibles. Il est dommage que les ménages français se privent de participer davantage aux résultats des entreprises, d’autant plus que ceux-ci passent de plus en plus aux actionnaires et de moins en moins aux employés[3].
Ces raisons ont poussé certains pays à créer une retraite par capitalisation, qui ne se substitue pas aux minima sociaux et aux systèmes par répartition que nous avons évoqués, mais qui les complète. La Suède a ainsi mis au point une « Premium pension » qui fournit de l’ordre de 10% du montant des retraites. Les Pays-Bas ont lancé le système « Collective Defined Contribution » (CDC), dont existent des versions proches au Danemark et au Canada. De type « Defined Contribution »[4], c’est-à-dire à niveau de contribution fixe ne garantissant pas un niveau futur de retraite, le CDC a l’avantage de mutualiser les risques à la fois d’un point de vue intergénérationnel et entre membres d’une même génération : le retraité est protégé contre le risque de survivre aux sommes investies dans sa retraite, et dans le même temps contre le risque de mauvaise performance du marché au moment choisi pour prendre sa retraite, qui conduit (comme dans le système américain) à investir assez tôt dans des actifs plus sûrs et donc moins rentables. Le CDC requiert un lissage de la performance du fond de pension entre les générations permettant d’amortir les chocs des marchés financiers.
Quel que soit le véhicule d’investissement choisi, il est important d’instituer des règles claires qui protègent l’individu préparant sa retraite de choix trop risqués ou trop coûteux. Le législateur français ou européen dans le cadre de l’Union des marchés de capitaux devra veiller à la transparence des produits financiers (pour une compréhension facile des frais et commissions), à leur standardisation (pour permettre une comparaison aisée de leur performance) et à la disponibilité d’options appropriées au risque tolérable par l’investisseur à une période donnée de sa vie. En particulier, des options par défaut devront être élaborées pour qu’en fonction de l’âge et des circonstances particulières de l’investisseur, des choix automatiques puissent être effectués dans les cas où il ne se sent pas compétent pour faire ces choix lui-même, en privilégiant des indices diversifiés et à frais minimaux.
Il faudra aussi encourager le développement des produits de transformation de l’épargne personnelle en pension (exemples : l’assurance vie, le viager) et généraliser les outils en ligne pour permettre à tous les ménages de simuler leur pension future en incluant toutes leurs sources de revenus et pas seulement leur retraite. De tels outils seraient idéalement développés par le secteur privé mais réglementés par les pouvoirs publics.
Conclusion
La France, comme d’autres économies avancées avant elle, doit simplifier un système de retraite devenu très lourd à gérer, inégalitaire et opaque (y compris pour les organismes en charge de le gérer), et tendre vers un système public unique de retraite.
L’équité devra conduire à envisager des comptes à logique actuarielle et à déterminer les modalités et les paramètres du nouveau système à partir d’un examen de l’ensemble des politiques de la fiscalité, des aides sociales et du travail.
Enfin, on ne peut pas manquer de lancer une réflexion poussée sur le besoin des nouvelles générations de plus de flexibilité et de meilleure performance des retraites, notamment en élargissant la gamme des produits d’épargne-retraite, en France et dans l’Union européenne. Ces produits pourront à terme représenter un formidable moteur de financement de l’économie.
[1] Les données fournies ne concernent cependant que les non-cadres.
[2] Existe aussi depuis 1967 un régime facultatif par capitalisation pour fonctionnaires : PREFON.
[3] Cf. mon ouvrage Le Gouvernement des citoyens (PUF, 2017), page 64, figure 3.
[4] Comme pour la retraite par capitalisation américaine (401k).
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