Faillites et chômage: il est facile d’oublier les chiffres edit
On n’est pas près d’oublier les visites de Macron et Le Pen à Whirlpool à Amiens, ni les bonbonnes de gaz prêtes à exploser chez GM&S dans la Creuse, tout ça au cœur de la campagne électorale. Ces événements illustrent la volonté de certains syndicats à exploiter un moment de vulnérabilité politique et la tentation des politiques à jouer le jeu pour marquer des points ou par crainte d’apparaître détachés des soucis des Français.
Ces incendies qui s’allument périodiquement un peu partout donnent l’impression d’un pays qui va de désastre en désastre. En fait, il s’agit de coups de pub qui déforment la réalité. Les deux figures qui suivent montrent que ces événements ne représentent que l’écume de l’activité économique. La première figure indique le nombre d’entreprises qui sont nouvellement crées, en pourcentage des entreprises existantes – en termes démographiques, les naissances et les décès. En 2014, dernière date où les données sont disponible, ce sont environ 6% des entreprises qui ont fermé la porte, alors que 10% ont été créées. Certes, ces chiffres doivent être maniés avec précaution, car il y a entreprise et entreprise, quelques grosses sociétés comme une myriade d’entreprises individuelles. Cependant, avec environ 3 millions d’entreprises, c’est environ 188 000 qui ont disparues en 2014, soit en moyenne presque 16 000 par mois. La vie des affaires est ainsi faite, des entreprises meurent et d’autres naissent, sans faire de bruit. C’est un processus naturel, darwinien même, puisque les meilleures survivent et se développent alors que celles qui ne tiennent pas la route face à la compétition ferment. Se polariser sur un ou deux cas, parce des « grandes gueules » arrivent à ameuter les médias, a quelque chose de surréaliste.
Il en va de même pour l’emploi. La seconde figure montre, pour les entreprises du secteur privé de 10 salariés ou plus, le pourcentage d’employés qui ont trouvé du travail et ceux qui ont quitté, essentiellement soit parce qu’ils sont licenciés (4% du total en 2014), soit parce que leur CDD est arrivé à son terme (79% du total), soit parce qu’ils démissionnent (8%) ou partent à la retraite (2%). Ce qui est spectaculaire c’est que cette rotation continue affecte la moitié ou plus des salariés, et ce dans les deux sens. Certaines années, il y a plus de sorties – ce qui pousse le chômage à la hausse – d’autres c’est l’inverse, mais la différence est très faible. L’écrasante majorité des gens qui perdent un emploi en retrouvent un autre. Bien sûr, le rôle des CDD est prépondérant. Si on exclut cette catégorie, la rotation affecte seulement quelque 15% des employés. Ceci confirme le diagnostic bien connu selon lequel l’emploi est dual en France, avec d’un côté des employés très protégés et, de l’autre, ceux qui ont des petits boulots en CDD et transitent plusieurs fois par an d’un emploi bref à un autre emploi bref. Casser cette dualité devrait être un objectif majeur de justice sociale. C’est, de fait, un engagement d’Emmanuel Macron.
Mais au delà de ce problème de dualité, on observe qu’en 2014, hors CDD, ce sont environ 2,5 millions et demi de personnes qui ont changé d’emploi (en ignorant les petites entreprises). Naissances et morts des entreprises, changement d’emplois, ce sont les signes d’une économie dynamique car raisonnablement fluide. En gros, la France s’adapte relativement bien aux mutations continues.
Le drame, c’est le chômage de masse. Plusieurs raisons contribuent à cette disgrâce nationale, y compris une fluidité insuffisante de la démographie des entreprises – la France est au 29e rang mondial dans le classement de la Banque Mondiale sur la facilité à créer une entreprise, plombée par une 100e place pour l’enregistrement d’un bien immobilier – et les difficultés à embaucher et licencier. Le chômage baissera durablement enfin lorsque cette fluidité sera améliorée, témoignage d’une encore plus grande vitalité et d’une capacité d’adaptation accrue.
Derrière ces chiffres, se cachent bien sûr des drames personnels. Perdre un emploi, une entreprise qui ferme, ce sont toujours des traumatismes. Dire que c’est inévitable est vrai, mais un peu court. C’est là la responsabilité de la protection sociale : permettre aux chômeurs de rebondir rapidement, grâce à des allocations et à une formation de qualité, est ou devrait être l’autre versant du dynamisme économique.
Néanmoins, il est essentiel que réaliser que ce qu’on a vu chez Whirlpool et CG&S n’est qu’une toute petite partie du bouillonnement continu qui constitue l’évolution normale des affaires. Les médias et les responsables politiques qui montent en épingle ce genre d’ajustement démontrent un surprenant manque de compréhension et une ignorance des chiffres, ils s’attaquent implicitement à un rouage essentiel de l’économie. Vouloir empêcher Whirlpool et CG&S, c’est chercher à fossiliser la situation actuelle, en s’imaginant peut-être que tout peut continuer toujours comme hier. Même l’archétype du conservatisme, le Prince Salina du roman Le Guépard de Lampedusa, avait compris qu’ « il faut que tout change pour que rien ne change ».
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