La fusion PSA-Fiat, pari industriel ou managérial? edit
Avec PSA-Fiat et Renault-Nissan la France alignerait, selon Bruno Le Maire, deux champions mondiaux sur quatre. Pour un pays qui connaît une désindustrialisation accélérée, une délocalisation continue de sa production automobile et un solde déficitaire de son commerce extérieur automobile, c’est un résultat qui ne manque pas d’interroger. Le génie français consisterait-il en un art du redressement des groupes en difficulté partout sauf en France ?
La fusion PSA-Fiat, si elle franchit tous les obstacles, donnera naissance au numéro quatre mondial du secteur automobile, derrière Volkswagen, Renault-Nissan-Mitsubishi et Toyota, avec 8,7 millions de véhicules vendus sous les marques Peugeot, Citroën, DS, Opel, Vauxhall, Fiat, Alfa Romeo, Maserati, Lancia, Chrysler, Jeep et Dodge RAM. Le chiffre d’affaires combiné de la nouvelle entité atteindra 184 milliards d’euros, la fusion sera paritaire alors que les valorisations sont différentes (le groupe dirigé par Carlos Tavares pesait 21,3 milliards d’euros, contre 14,8 milliards pour le groupe dirigé par John Elkmann), Carlos Tavares en sera le directeur général et John Elkann assurera la présidence du conseil d’administration.
Quatre arguments ont été avancés par les nouveaux partenaires pour justifier cette fusion.
La transition vers le véhicule autonome, connecté, électrique et partagé exigerait des grands volumes de production pour amortir les investissements colossaux à réaliser. Une nouvelle norme s’établirait à 10 million de véhicules produits.
La mondialisation et la régionalisation des chaînes de valeur exigeraient la présence sur les trois grands marchés d’Europe, des États-Unis et d’Asie, or PSA et FCA sont sous-dimensionnés en Chine et PSA est absent du marché américain.
PSA et FCA sont complémentaires en termes de gamme et d’empreinte géographique. Les marques premium de FCA seraient très utiles pour capter des acheteurs que n’atteint pas PSA.
Enfin l’accord atteint très tôt entre PSA et FCA en matière de gestion opérationnelle et de gouvernance serait une garantie contre les errements des fusions passées.
Ces arguments soulèvent des objections redoutables.
La première porte sur les vertus de la « grande taille ». Est-ce que la fusion PSA-Fiat sera un succès industriel ? Telle est maintenant la question essentielle pour le futur. N’est-il pas illusoire de penser que cette fusion débouchera nécessairement sur un succès industriel grâce à la grande taille acquise et que cette fusion améliorera forcément la compétitivité du nouvel ensemble par rapport aux entités séparées, grâce aux économies d’échelle ? Des exemples passés de fusion dans le secteur automobile montrent que le succès n’est jamais garanti.
Un des échecs les plus célèbres de fusion ayant échoué dans l’automobile est celui de l’acquisition de Chrysler par Daimler-Benz. Le conflit de culture managériale entre les deux entreprises, une allemande et l’autre américaine, avait conduit à une perte de valeur considérable. Chrysler a été absorbée en 1998 par Daimler-Benz, au prix de 36 milliards de dollars et a été revendu, neuf ans plus tard, à un fonds de capital-investissement. Celui-ci rachetait alors 80% de Chrysler pour la somme de 7,4 milliards de dollars.
La deuxième objection porte sur les synergies en matière de coût et donc sur les restructurations à mener pour réaliser les économies d’échelle promises. L’objectif est de déboucher sur une seule entité et une structure industrielle unique. Avec cette fusion, PSA et Fiat-Chrysler doivent gérer le regroupement de leurs usines à travers le monde. Il n’y a aucun problème aux États-Unis où seul Fiat-Chrysler est présent et en Afrique ou au Moyen-Orient où PSA est pratiquement seul présent. Il n’en est pas de même en Europe où des doublons et des surcapacités importantes existent. L’Europe représente pour PSA 90% de ses ventes. En Europe, Fiat compte neuf usines d’assemblage de véhicules et en Italie, Fiat possède cinq sites d'une capacité de production de 1,5 million de véhicules automobiles par an. Le taux d’utilisation des usines européennes de Fiat serait de l’ordre de 60%, nettement inférieur à PSA. Seule l’usine italienne de Pomigliano, qui produit la seule Fiat Panda, affiche des niveaux élevés mais celle de Mirafiori, positionnée sur des produits plus haut de gamme, aurait un taux d’utilisation des capacités de 20% seulement.
Fiat connait aussi un problème de produits. En Europe, Fiat vit surtout des ventes de la Fiat 500 et de la Panda mais sa part de marché est en fort déclin et les deux véhicules, cœur de gamme de Fiat, la Fiat 500 comme la Panda, semblent condamnés à moyen terme car leur faible rentabilité n'est pas compatible avec les coûts générés pour respecter le durcissement de la réglementation sur les émissions de CO2. Le constructeur a déjà annoncé qu’il envisage d’arrêter leur production.
Enfin, Fiat est un des plus gros employeurs privés en Italie, avec environ 60000 salariés. Les syndicats italiens ont salué la fusion mais ils estiment que la priorité doit être de relancer la production en Italie pour préserver les emplois…
En France, PSA employait 53 000 personnes en 2018 dans sa division automobile, sans compter Faurecia. Suite à la stratégie de rationalisation de l’outil industriel entamée depuis plusieurs années par PSA, le taux d’utilisation moyen des usines serait environ de 80% en Europe cette année pour le groupe.
Comme en Italie, syndicats et gouvernements montrent un fort intérêt pour les conséquences possibles de la fusion. En Italie, le ministre italien de l'Économie déclarait que « le gouvernement suit les développements avec respect, c'est une logique de marché, mais il est également conscient que nous parlons d'une industrie très importante pour notre pays ». En France, le cabinet de Bruno Le Maire se dit « vigilant sur la préservation de l’empreinte industrielle en France, la localisation des centres de décision et la confirmation de l’engagement du nouveau groupe sur la création d’une filière industrielle européenne de batteries électriques ». PSA et Fiat ont donc tenté de rassurer en indiquant que les synergies annuelles prévues, de l’ordre de 3,7 milliards d’euros, se feraient « sans fermeture d’usine ».
On peut s’interroger sur la réalité de ces promesses pour certains sites italiens qui ont un faible taux d’utilisation. Pour rendre Opel compétitif, Carlos Tavares n'a pas hésité à affronter les syndicats d’Opel dans plusieurs usines pour améliorer leur rentabilité : gel des salaires, suppressions de postes. Depuis 2017, les mesures de départ volontaire, chômage partiel ou externalisation de certaines activités auraient conduit à 6000 suppressions de postes chez Opel.
Il y a fort à parier que la même recette sera choisie pour atteindre les synergies prévues dans le cadre de la fusion PSA-Fiat. Il n’est donc pas étonnant que pour la Deutsche Bank, les actionnaires de PSA prendraient tous les risques avec la fusion car la mise en œuvre de la restructuration et la gestion de la complexité de la nouvelle entité repose sur leurs seules épaules.
La troisième objection tient aux atouts respectifs des deux partenaires pour faire face à la nouvelle révolution automobile et à leurs atouts respectifs en matière de technologies et de R&D.
L’industrie automobile doit se réinventer, ce qui nécessitera un effort considérable d’investissements pour financer la transition vers le véhicule électrique et la voiture autonome. Carlos Tavares a ainsi évalué les besoins d'investissement de son groupe pour les « mobilités nouvelles » à plus de cinq milliards d'euros sur une décennie. Or, dans ces domaines (technologies et R&D), la fusion de PSA avec Fiat n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour PSA. Dans les véhicules électriques, Fiat accuse un très sérieux retard mais plus globalement, en matière de R&D, PSA, seul, avait déjà un niveau de dépenses en R&D inférieur à la moyenne européenne. Fiat est bon dernier européen en R&D et n’a rien à apporter à la nouvelle entité, bien au contraire. La moyenne européenne des dépenses en R&D sur le chiffre d’affaires dans l’automobile est de 11%. Pour Peugeot, le pourcentage avoisine un peu plus de 8% mais Fiat-Chrysler consacre seulement 6% de son CA à la R&D.
Un dernier élément est à considérer pour apprécier l’opportunité de cette fusion, celui de la gouvernance du nouvel ensemble. Sur le papier les choses paraissent claires, Tavares sera le patron opérationnel du nouveau groupe en charge de l’intégration, de la rationalisation et de la réorientation stratégique et Elkann sera le patron d’un conseil d’administration puissant réunissant des actionnaires motivés. Mais si notre lecture est la bonne, qu’est-ce qui justifie de donner une telle prime aux actionnaires de Fiat ? Si l’on considère que la prime payée par les actionnaires de Peugeot à ceux de Fiat se justifie par l’accès au marché américain alors comment justifier une fusion paritaire ?
En conclusion, la Bourse n’achète ni les synergies, ni la prime accordée aux actionnaires de Fiat Lors de l’annonce de l’opération, à la Bourse de Milan, Fiat Chrysler bondissait de 8% tandis qu'à Paris, PSA baissait de plus de 12%. La Deutsche Bank vient aussi de dégrader sa recommandation d’Acheter à Conserver sur le titre PSA et réduit son objectif de cours de 28 à 26 euros. Pour la Deutsche Bank, Fiat est le principal bénéficiaire de la fusion et cette banque estime que l’action de PSA devrait être chahutée par le projet de fusion. Mais les marchés se sont souvent trompés en la matière. La balance des avantages et des inconvénients de cette fusion conduit à penser que le tandem Elkann-Tavares fait un double pari industriel et managérial. Industriel en ce sens qu’ils croient qu’ils réussiront la mutation technologique à partir d’un groupe de 10 millions de véhicules. Managérial en pensant que la restructuration Opel est reproductible rapidement et à plus grande échelle.
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