Médicament: quels sont les problèmes de la filière française? edit
L’arrêt du vaccin Pasteur et le retard pris par Sanofi dans la course aux vaccins Covid ont suscité de nombreuses réactions dans le monde politique et médiatique. Certains ont même parlé de « fiasco ». Ce mot est sans doute excessif. Mais parler de « recul » de notre industrie et de notre recherche pharmaceutique correspond, je le crains, à la réalité. L’occasion est donc propice à rappeler quelques données sur le contexte scientifique et industriel du médicament en France.
Remarquons tout d’abord que la crise de la Covid-19 a démontré l'extraordinaire capacité des chercheurs, travaillant en réseau à l’échelle internationale, à avancer très rapidement. On n’a jamais été aussi vite, ni pour décrypter le génome d’un virus (quelques semaines), ni pour mettre un vaccin sur le marché (moins d'une année) ! Le vaccin ARNm (ARN Messager) est une double révolution scientifique et technologique : d'une part, il a été montré pour la première fois qu'il était possible d'utiliser un ARNm pour vacciner ; d'autre part, ce type de vaccin utilise des nanoparticules lipidiques pour protéger cette biomolécule trop rapidement métabolisée et pour la délivrer intacte aux cellules immuno-compétentes.
Contrairement à ce qui a été parfois avancé, la France est loin d’être absente de ce champ de recherche, auquel j’ai moi-même contribué depuis de longues années. La France compte des équipes de recherche de grande qualité qui travaillent depuis longtemps sur l’encapsulation d’ARN interférents ou d’ARN messagers pour vectoriser (acheminer vers leur cible) ces molécules fragiles et tenter de traiter de nombreuses pathologies. L’approche du vaccin ARNm nanoencapsulé ouvre, par ailleurs, des perspectives incroyables pour la découverte d'autres vaccins en infectiologie mais aussi, très probablement, en oncologie.
On peut simplement regretter que, pendant que d’autres s’attachaient à développer de telles approches très innovantes, on ait dépensé tant d’énergie en France pour polémiquer sur l'hydroxychloroquine, une très vieille molécule dont il est maintenant bien démontré qu'elle n'a aucune activité thérapeutique anti-Covid. A ce sujet, je voudrais souligner que les essais cliniques menés dans notre pays, en vue d’évaluer l’efficacité de médicaments anti-Covid, ont été bien trop nombreux. Beaucoup ont été entachés de biais méthodologiques, car non randomisés ou dépourvu de groupes placébo, la dispersion des essais ayant par ailleurs souvent conduit à un trop petit nombre de patients. Les Académies nationales de Médecine et de Pharmacie ainsi que l’Académie des Sciences ont d’ailleurs rappelé que, sous prétexte d’urgence, la transgression des règles méthodologiques et le manque de rigueur scientifique ne peuvent conduire qu’à de la confusion. On l’a vu avec l’hydroxychloroquine mais aussi avec d’autres candidats médicaments. La médiatisation excessive réservée à l’hydroxychloroquine a, par ailleurs, entrainé une indisponibilité temporaire de cette molécule dans les pharmacies, alors qu’elle est indispensable au traitement de certains patients atteints de maladies auto-immunes graves, comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde.
Pour revenir aux vaccins anti-Covid, il faut savoir qu'une telle découverte ne tombe pas du ciel. Elle résulte essentiellement d'un continuum vertueux entre l’effort de recherche fondamentale, mené sur le moyen et le long terme, et les applications. Dans le monde, le modèle dominant est aujourd’hui celui de l’articulation entre des startups souvent très proches du monde universitaire et les grandes industries de la pharmacie. De fait, à chaque fois, les gagnants de la course au vaccin ont été des petites startups crées par des chercheurs universitaires et qui ont bénéficié de l'environnement de la recherche universitaire. Ainsi, BioNTech a émergé dans le contexte des campus des universités de Munich et de Munster, Moderna a été créée par un chercheur de Harvard et même le vaccin dit "Astra Zeneca" (qui n'est pas un vaccin ARN mais un adénovirus), a été découvert par une équipe de l'université d'Oxford. Il est intéressant de noter que Moderna est une société qui a beaucoup travaillé par le passé sur la technologie de nanoparticules lipidiques encapsulant des ARNm modifiés pour booster des réponses immunitaires en cancérologie. Cette société a également développé un nanomédicament à base de nanoparticules et d'un petit ARN interférant pour le traitement de l'amiloïdose à transthyrétine, le Patisiran(R). L’agilité de ces entreprises émergentes à se repositionner sur la vaccination contre SARS-COV-2 a donc été le résultat de la recherche fondamentale et de technologies développées antérieurement. La découverte de la PCR est aussi issue d'une recherche fondamentale dont personne n'imaginait à l'époque qu'elle déboucherait sur les applications que nous connaissons aujourd'hui.
Le cocktail de la réussite est donc simple : recherche fondamentale bénéficiant de financements publics importants + environnement économique et réglementaire favorable à l'entreprenariat.
Une recherche de haut niveau mais affaiblie
S’agissant du premier volet, notre recherche reste active et de haut niveau. Mais il faut malheureusement reconnaître que la France a vu les moyens attribués à cette recherche fondamentale être rognés année après année : les dotations directes aux laboratoires sont misérables par rapport aux autres pays développés (en particulier l’Allemagne, le Royaume-Unis, les USA, la Chine et le Japon) et les taux de réussite aux appels d'offre de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche) sont ridiculement bas malgré une bureaucratie qu'il n'est pas nécessaire de détailler ici. Rappelons aussi que les crédits publics en R&D (recherche et développement) pour la santé sont plus de deux fois inférieurs à ceux de l’Allemagne et qu’ils ont diminué de 28 % entre 2011 et 2018 quand ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume-Uni sur la même période[1]. Enfin, la France n’apparaît qu’en 16e position pour l’indice global d’innovation dans le domaine santé-médecine en 2019 (avis bi-académique : académies nationales de médecine et de pharmacie). Le salaire des chercheurs est, par ailleurs, bien plus faible que celui des autres pays de l’OCDE (63% de la moyenne de ces pays). La qualité de nos chercheurs et l'excellence de leur formation est, en revanche, indiscutable ! Ils s'exportent d’ailleurs remarquablement bien et notre système universitaire garde des atouts incontestables au niveau de la formation. En témoignent les récents Prix Nobel de Chimie (Emmanuelle Charpentier) et d’Economie (Jean Tirole et Esther Duflo). Exporter nos chercheurs n’est pas, en soi, pas une mauvaise chose, mais il est nécessaire de garder un certain équilibre et d’être aussi capable, à titre de réciprocité, d’attirer chez nous les meilleurs talents venant de l’étranger. L’attractivité ne concerne pas uniquement le salaire mais aussi l’environnement que l’on pourra offrir au nouvel arrivant en termes de moyens humains (thésards et chercheurs post-doctoraux) et matériels (équipement, budget de fonctionnement etc.).
Je sais bien que la loi sur la Programmation Pluriannuelle de la Recherche essaye de redonner un peu de moyens à la recherche publique. L’effort est significatif. Mais, s’agissant de la biologie et de la santé, il reste très insuffisant et ne permet malheureusement pas de rattraper le niveau de financement de nos principaux concurrents car la montée en puissance des nouveaux moyens financiers alloués est bien trop lente et diluée dans le temps. Quand j’ai commencé ma carrière, jeune chercheur venant de Belgique, j’ai été ébloui par la science française, notamment au CNRS. Malheureusement, je dois dire qu’au fil des décennies, les moyens n’ont cessé de s’éroder et la bureaucratie de fleurir.
Les startups dans la vallée de la mort
S’agissant du deuxième volet, celui qui concerne les startups, il faut reconnaître qu’un gros effort a été fait pour encourager leur création, notamment depuis la loi sur l’innovation de Claude Allègre. Et la France ne manque pas de jeunes pousses. Malheureusement, par comparaison avec les autres pays développés (Allemagne, USA, Pays-Bas, UK, Israël, etc.), ces entreprises émergentes ne sont pas suffisamment pérennes. En effet, lorsqu’une startup a fait la preuve, au niveau préclinique, de l’activité thérapeutique d’un nouveau médicament, il faut ensuite faire une étude de transposition d’échelle pour préparer un lot clinique et mener une étude toxicologique règlementaire sur deux espèces animales, avant même de pouvoir commencer un premier essai clinique de phase 1. C’est à ce niveau que les moyens manquent cruellement. Or, le modèle économique actuel est tel que les grandes entreprises pharmaceutiques ne rachètent ou ne collaborent avec des start-ups que lorsque celles-ci ont atteint un essai clinique de phase 2 réussi. A ce niveau, les risques d’attrition sont moindres. Mais entre les deux (preuve de concept et clinique en phase 2), il y a la fameuse « vallée de la mort » qui voit nombre de nos jeunes pousses disparaître par manque de capital-risque disponible.
Il est important de préciser que, dans le domaine du médicament, les investissements sont très importants pour un risque très élevé (seule 1 molécule sur 10.000 a une chance d’être mise sur le marché) et un retour sur investissement tardif (souvent plus de 10 ans). Or, au niveau national, les investisseurs (les banques, essentiellement) n’aiment pas prendre des risques. Et les « capitaux risqueurs » étrangers sont découragés par un environnement fiscal peu favorable et surtout caractérisé par trop d’instabilité. De plus, l’enrichissement d’un investisseur qui a réussi est trop souvent mal perçu par les médias et l’opinion publique.
Au sous-financement chronique de la recherche publique dans le domaine de la Biologie-Santé et au contexte peu favorable pour l’entreprenariat, s’ajoute enfin un manque de coordination qui découle en grande partie d’un émiettement des structures publiques. Celui-ci n’a fait que s’accroître depuis plus d’une vingtaine d’années, chaque nouvelle maladie conduisant à créer en réaction une agence autonome spécialisée. Au cours de l’épidémie de la Covid-19, le nombre d’essais cliniques menés dans le désordre a été un puissant révélateur de cette dispersion des moyens et de la complexité du fonctionnement et du financement de la recherche en France.
Les faiblesses de l’industrie
Que dire, enfin, de notre industrie pharmaceutique ? Il est difficile de nier que celle-ci, qui a été longtemps l’un des grands fleurons industriels de notre pays, est en net recul. Nous ne perdons pas seulement notre souveraineté, mais nous assistons aussi à un déclassement : la part de marché de la France qui était à plus de 5% il y a quinze ans dans le domaine du médicament est descendue à 3,5% aujourd'hui ! Pour le vaccin, on peut regretter que Sanofi, notre champion national, se soit positionné, contrairement aux start-ups citées précédemment, sur une technologie vaccinale beaucoup plus traditionnelle. Mais peut-on dire que Sanofi est encore une société française, alors que le centre de gravité de la recherche se déplace de plus en plus de Paris à Boston ? Fin janvier, l'Institut Pasteur a, quant à lui, arrêté le développement de son vaccin à base du virus de la rougeole pour manque d’efficacité. Il faut, toutefois, relativiser cet échec, tout d’abord parce que l’Institut Pasteur n’est pas un industriel, mais plutôt un centre de recherche avec certaines missions complémentaires de service public, et en recherche, la chance est un paramètre important : on ne réussit pas à tous les coups. Malgré ces réserves, on est quand même bien obligé de reconnaitre que notre pays peut mieux faire...
Un mot, pour finir, concernant les ruptures d’approvisionnement en médicaments essentiels et notre dépendance (et celle de l’Europe) vis-à-vis de l’Asie. Ce problème a suscité, à juste titre, une vague d’émotion dans l’opinion publique. En réalité, la chaîne de production des médicaments, partagée entre celle de la synthèse des principes actifs et de la galénique (la formulation pharmaceutique), est devenue, au fil des années, de plus en plus complexe et donc fragile.
L’Académie nationale de Pharmacie s’était penchée sur ce problème récurrent dès 2011 avec plusieurs recommandations et un rapport très complet publié en 2018. Il faut être clair : à l’exception des patients et des praticiens concernés, personne ne s’était intéressé à ce sujet et aucune suite n’a été donnée à ce rapport, ni au niveau national, ni au niveau européen. Mais la crise du Covid a clairement mis en lumière le problème des ruptures d’approvisionnement en médicaments essentiels, puisque nous avons manqué notamment de curare, de midazolam ou de propofol, autant de relaxants musculaires, hypnotiques ou anesthésiques indispensables en réanimation. Mais d’autres médicaments essentiels viennent aussi régulièrement à manquer, et parmi eux certains anticancéreux, antibiotiques et plusieurs injectables. Plus que la mise en forme galénique des médicaments, ce sont surtout les principes actifs qui constituent le maillon faible. 80% de ceux-ci sont, en effet, fabriqués en Asie et c’est la multiplicité des maillons de la chaîne de production qui pose souvent problème. En effet, la synthèse des matières premières se fait généralement en plusieurs étapes chimiques, souvent réalisées au sein d’entreprises différentes. Il suffit qu’une étape soit défaillante (accident industriel, crise sanitaire, fermeture d’une usine, etc.) pour provoquer une rupture d’approvisionnement. Et pour complexifier encore le problème, certaines de ces synthèses se font parfois au même endroit pour les différents génériques d’une même molécule, ce qui entraine une pression de la demande à l’échelle mondiale.
Le paradoxe est que la plupart des médicaments qui connaissent de telles ruptures d’approvisionnement sont des petites molécules, anciennes et très bon marché. L’une des causes de la délocalisation en Asie résulte de la baisse du prix de ces médicaments anciens, souvent génériqués[2]. Il est évident que les normes environnementales et sociales imposées aux entreprises ont également accéléré la délocalisation de la production hors de l’Europe. Les causes étant multifactorielles, les solutions sont complexes. Elles passent d’abord par l’identification d’une liste des médicaments essentiels pour lesquels nous devons absolument récupérer notre indépendance sanitaire. Il sera aussi indispensable d’avoir une cartographie de toutes les sociétés impliquées dans l’une des étapes de fabrication de ces médicaments et d’évaluer des fragilités éventuelles. Ensuite, il est nécessaire d’organiser leur production au niveau européen car il est illusoire de penser que la France pourra, à elle seule, relocaliser toute la production de ces médicaments essentiels. Il faudra aussi éviter les distorsions de concurrence et veiller à privilégier les productions réalisées dans des conditions environnementales obéissant à des normes européennes raisonnables. La recherche y occupera une place centrale car il conviendra de trouver des solutions chimiques innovantes pour produire mieux, en moins d’étapes et probablement avec moins de solvants organiques. Bref, il faut refaire confiance à la chimie et encourager la recherche dans ce domaine ! Mais il reste impérieux d’offrir aussi à nos entreprises du médicament un environnement économique plus favorable en acceptant des prix plus élevés ou en revoyant, comme compte le faire le gouvernement, les taxes de production qui fragilisent depuis trop longtemps nos entreprises.
[1] OCDE, Government Budget Allocations for R and D.
[2] Voir sur ce point l’excellent article du Monde, «Recherche médicaments désespérément», 3-4 mai 2020, qui rappelle par exemple qu’en 2008 un kilo de paracétamol chinois était vendu 2 à 3 euros aux labos pharmaceutiques (contre 4 pour l’usine de Rhodia à Roussillon en Isère, dernier site européen, fermé en 2008).
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