Politique du logement et fécondité edit
Le constat relève de l’évidence : ce sont les jeunes ménages qui pâtissent du manque de logement et de surface. Plus précisément, ils souffrent de difficultés d’accès à ces logements et à ces surfaces. Avec le renchérissement du prix des logements à l’achat, avec la saturation du parc locatif social, avec un marché locatif privé grippé, les jeunes sont à la peine pour se loger. C’est un problème pour les étudiants, pour les jeunes actifs et pour les nouveaux couples à la recherche de typologies d’habitat adaptées à leurs projets de vie.
Les conditions de logement peuvent ainsi freiner la natalité quand les couples ne peuvent se constituer sous le même toit ou bien quand ils ne peuvent accéder à un habitat plus grand lorsque les enfants paraissent.
Thématique récurrente, la « crise du logement », multiforme, affecte les jeunes, plus encore que les autres catégories d’âge. Un nombre conséquent de jeunes adultes sont contraints de continuer à vivre pendant une période prolongée au domicile de leurs parents, voire d’y revenir après une première expérience autonome. À une décohabitation plus tardive – même si les chiffres ne donnent pas l’image d’une transformation radicale en la matière – s’ajoutent des taux d’effort plus élevés. Les jeunes ménages affectent une part plus importante de leurs revenus au logement, par rapport à leurs aînés (ce qui est, somme toute, logique) mais aussi par rapport aux générations précédentes (ce qui est plus problématique).
Sans surprise, les jeunes, c’est-à-dire les 18-34 ans, sont ceux qui se disent les plus préoccupés par le logement. Ils sont, en 2022, selon le baromètre d’opinion du ministère des Affaires sociales, deux tiers dans ce cas, contre la moitié des plus âgés. Rien de stupéfiant à cela, car la préoccupation pour le logement est naturellement plus élevée pour ceux qui sont à la recherche d’une demeure autonome des parents ou en quête d’une résidence pour accueillir un couple fraîchement formé ou encore une famille agrandie avec l’arrivée d’un enfant.
Œuf et poule, fécondité et logement
En matière de politiques publiques, l’effort en direction du logement, mesuré par rapport au PIB, a significativement diminué depuis 2010. Cet effort correspond à l’ensemble des avantages financiers (versements et réductions de dépenses) accordés aux consommateurs ou producteurs de services de logement. Ces dépenses publiques aident les premiers à se loger et les seconds à investir dans la construction de logements neufs et dans l’amélioration de la qualité des logements existants. Financées par l’État, par les collectivités territoriales et par les entreprises (c’est le fameux « 1% logement »), ces aides représentent, en 2022, 41,5 milliards d’euros.
Il est particulièrement tentant de rapprocher l’évolution de ces dépenses publiques avec celle de la fécondité. Les tendances vont dans la même direction. Quand l’effort public pour le logement augmentait dans la deuxième partie de la décennie 2000, il en allait de même pour la fécondité. Symétriquement, la baisse relative de l’effort public pour le logement, depuis 2010, accompagne la diminution de la fécondité. De là à en tirer un effet « logement » sur la fécondité et, surtout, une causalité entre dépenses publiques de logement et fécondité, il y a un grand pas à ne pas franchir trop allégrement. La corrélation, repérable sur cette période, n’est pas valable pour les décennies précédentes. Elle a un caractère plutôt fallacieux, même si le logement joue, évidemment, un rôle dans le sujet de la fécondité.
Les deux courbes, celle de l’effort public pour le logement et celle de la natalité, devraient présenter un décalage logique, s’il existait une relation mécanique. Davantage d’investissements publics dans le logement ne déclencherait pas immédiatement une élévation de la fécondité. Produire des logements et faire des enfants prennent du temps. En outre, des influences réciproques et des causalités circulaires impossibles à démêler se repèrent : une hausse des naissances invite à faire plus de logements, faire plus de logements favorise la fécondité. Produire moins de logements décourage potentiellement la fécondité, faire moins d’enfants nécessite, collectivement, moins de logements. L’image classique de l’œuf et de la poule caractérise, à cet égard, la natalité.
La baisse des efforts en matière de politique du logement (avec une part des dépenses rapportées au PIB qui fléchit depuis le début des années 2010) et les tensions évidentes sur le marché du logement ont, indubitablement, un impact sur les capacités à se loger. Que les tensions proviennent d’une intervention jugée trop limitée (diminution de l’effort public) ou trop étendue (avec contrôle des loyers et normes environnementales trop imposantes), les faits sont là : les difficultés pour se loger. Plus précisément, il devient plus difficile de se loger adéquatement pour de potentiels futurs parents et pour de jeunes parents voulant davantage d’enfants. Quand les jeunes sont contraints de demeurer chez leurs parents, il leur est matériellement et socialement plus difficile d’établir un couple et de se projeter avec un ou des enfants.
Faire des enfants au domicile de ses parents?
En comparaison internationale, les faibles niveaux de fécondité de certains pays du sud de l’Europe sont souvent rapportés aux difficultés des jeunes pour décohabiter. Cette problématique, classiquement signalée dans le cas de l’Espagne et dans celui du Portugal, se pose aussi désormais en France. Une offre de logement inadéquate bloque des parcours de vie et des projets d’enfants.
Le regard international a tout de même, en l’espèce, ses limites. Car les traditions familiales, pouvant aller jusqu’à l’accueil bienvenu de jeunes couples sous le toit parental, ne transparaissent pas dans les chiffres. Dans l’Union européenne, deux pays à même niveau de fécondité conjoncturelle en 2022, la Suède et la Croatie (chacun à 1,53 enfant par femme) se trouvent à l’opposé en ce qui concerne l’âge moyen de départ du foyer parental. Les pays où la fécondité est la plus faible sont tout de même des pays à âge de départ tardif du cocon familial. C’est le cas de Malte, de l’Espagne, de l’Italie, de la Grèce, du Portugal (avec un âge de départ à 30 ans dans les cinq cas). Dans l’autre sens, la relative précocité du départ du foyer des parents ne semble pas avoir d’impact sur le niveau de fécondité.
La France, certes, avec un âge moyen de départ à 24 ans, présente le plus haut niveau de fécondité, mais à comparer avec les cas allemand ou chypriote, à même âge d’envol du nid familial, mais à niveaux de fécondité bien plus bas. Pour ne rien dire de la Suède, de la Finlande et du Danemark où âge de départ et fécondité sont faibles.
Très prosaïquement, il est certainement plus compliqué, pour de futurs parents, de faire des enfants au domicile de certains de leurs ascendants. Reste que les différences de pratiques et d’âge de décohabitation familiale reposent sur des traditions culturelles qui relèvent de modèles anthropologiques très anciens : l'établissement de jeunes couples à l'écart des parents est un trait saillant d’un modèle nordique, en contraste avec un modèle méditerranéen fait de familles complexes[1].
Un nouvel enfant, c’est cinq kilomètres en plus par rapport au centre-ville
En dehors de ces approches statistiques et anthropologiques fouillées, une sorte d’axiome se repère dans des propos d’experts et d’opérateurs de la politique du logement. Un nouvel enfant ce serait la nécessité, tout de suite ou à venir, d’une pièce en plus. Ce serait, surtout, pour couvrir ce besoin, cinq kilomètres de distance en plus par rapport au centre-ville d’une métropole. Sans être parfaitement étayé, l’ordre de grandeur donne une idée du sujet : la présence des enfants commande des logements plus grands, eux-mêmes situés plus loin que dans les centres-villes lorsqu’ils sont coûteux. Mais plus qu’une question de coût, s’affirme, en l’espèce, une question de modes de vie. La préférence ne va pas vers les appartements des villes centres, en particulier dans les grandes métropoles, mais vers les pavillons[2]. Ceux-ci, plutôt dans des zones périurbaines, gagnent les faveurs des Français, notamment quand ils ont de jeunes enfants.
La fécondité a, de la sorte, à voir non pas uniquement avec la politique du logement, au sens de solvabilisation des ménages et de soutien à la construction et à la rénovation, mais aussi, plus globalement, avec l’aménagement du territoire. À une époque où les classes moyennes peinent à se loger dans le centre des villes, les territoires se spécialisent. Le périurbain accueille de jeunes ménages, avec de petits enfants, tandis que les centres-villes des métropoles vieillissent, tout en voyant coexister de jeunes ménages aisés et de jeunes ménages défavorisés[3]. Plus kaléidoscopique selon les territoires, la tendance n’en est pas moins forte.
En un mot, logement et aménagement du territoire comptent assurément parmi les variables à considérer pour la fécondité. Comme toutes les autres dimensions de ce dossier compliqué (pourquoi fait-on des enfants ?), ces éléments ne sont pas totalement déterminants, surtout considérés isolément. Une observation tout de même : entraver l’idéal pavillonnaire français, c’est aussi brider, un peu, la natalité.
Quelles propositions?
En matière de réponse, personne ne dispose vraiment de baguette magique sur le registre immobilier. Il est toutefois important de considérer que les évolutions de la fécondité peuvent se rapporter aux évolutions des conditions de logement. Des efforts sur cette variable, efforts dirigés vers les jeunes ménages, en particulier ceux des classes moyennes, ne sauraient qu’être favorables aux naissances. Mais sans impact extraordinaire à attendre.
Du côté de l’intervention publique, il est sage de se remémorer que politique du logement et politique familiale ont longtemps été très liées, avant de devenir plus distantes. Dans l’univers HLM, c’est très longtemps le « logement familial » qui a été prioritaire. Comme son nom l’indique, il concernait d’abord les familles, quand les isolés étaient eux renvoyés vers de l’hébergement en foyer. Aujourd’hui, le logement social rencontre des difficultés, notamment en raison de l’addition de priorités différentes qui se surajoutent. Du côté des prestations logement, il est bon de rappeler que la première à avoir été créée, en 1948, est l’allocation de logement familiale (ALF). À l’origine il s’agissait d’ailleurs, juridiquement, d’une prestation familiale.
Ces considérations historiques à l’esprit, l’actualité repère une accumulation de cibles prioritaires au sujet du logement. Dans l’attribution des logements sociaux, outre les niveaux de revenus des demandeurs, des cotations prennent en considération la présence d’enfants, en concurrence avec d’autres éléments tels le fait d’être reconnu administrativement comme prioritaire, le type d’activité exercée, etc. Être parent ou potentiellement parent sont des éléments parmi d’autres. Notons qu’à Paris, en 2024, le fait de se séparer rapporte plus de points, pour accéder aux HLM, qu’être un jeune couple[4]. Faciliter l’accès des mères célibataires au logement social relève certainement de la bonne politique, mais tout est maintenant affaire de compétition de priorités.
Quoi qu’il en soit, ce qui fait le soutien à la fécondité, c’est le soutien aux jeunes ménages, par les différentes interventions publiques nationales d’aménagement, mais aussi, voire surtout, aux échelles locales. Donc s’il faut faire quelque chose en matière de politique du logement, c’est en direction des jeunes ménages nouvellement constitués et, avant cela, en faveur des jeunes qui veulent se mettre en ménage. Qu’il s’agisse d’attribution de logements sociaux, de production d’habitations adaptées aux familles appelées à s’agrandir ou de réalisation d’aménagements et d’équipements qui sont plus favorables à ces catégories (avec, par exemple, des aires de jeux ou des crèches), les élus locaux ont des marges de manœuvre. Promoteurs et grands bailleurs ont aussi, en matière de peuplement, des stratégies possibles en direction des jeunes parents et des futurs parents.
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[1]. Olivier Galland, « Devenir adulte en Europe : un regard anthropologique », in Claire Bidart (dir.), Devenir adulte aujourd'hui. Perspectives internationales, Paris, L'Harmattan, 2006, pp. 23-35.
[2]. Voir Julien Damon, « Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées », SociologieS, mis en ligne le 21 février 2017.
[3]. Pour des développements plus précis et plus imagés sur la géographie des modes de vie, voir Jérôme Fourquet, Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux. Économie, paysages, nouveaux modes de vie, Paris, Seuil, 2021.
[4]. Voir la cotation parisienne des demandes de logements sociaux sur le site de la mairie.