Clémentine Autain ou l’arrogante ignorance de notre histoire edit
La récente libre opinion de Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, dans le journal Le Monde mérite d’être lue non pas pour la nouveauté ou la pertinence de ses arguments mais parce qu’elle contient toutes les apories et tous les dangers de la pensée institutionnelle de l’extrême-gauche. Discutons certains d’entre eux.
« Ce régime sous lequel nous vivons est une anomalie. »
Considérer comme une anomalie le régime institutionnel qui, avec celui de la IIIe République, est le plus long de notre histoire (65 années) depuis la fin de la monarchie absolue est pour le moins étonnant. Une anomalie par rapport à quelle normalité ?
« Quand de Gaulle arrive au pouvoir en 1958, c’est au nom du retour à la stabilité du régime et pour “sauver l’empire colonial” contre les “barbares” qu’il rédige une nouvelle Constitution. »
De Gaulle est revenu au pouvoir dans une situation dramatique où le régime de la IVe République ne pouvait pas régler le problème algérien et où son personnel politique, dans sa grande majorité, a accepté de faire appel à lui pour le résoudre. Il avait mis comme condition à son retour une modification profonde du régime républicain dans le sens d’un renforcement du pouvoir exécutif, pouvoir que le régime de souveraineté parlementaire de la IVe avait affaibli dangereusement. De Gaulle en arrivant au pouvoir savait qu’il ne pourrait pas « sauver l’empire colonial » et il a fini par accepter l’indépendance complète de l’Algérie.
En 1958, le référendum « ne fut rien d’autre qu’un plébiscite. »
Certes, la dimension plébiscitaire de ce référendum était évidente mais il s’agissait d’abord d’adopter les nouvelles institutions : l’accord de la plupart des partis politiques et de la très large majorité obtenue à ce référendum ont donné à celles-ci une véritable légitimité. Le régime de souveraineté parlementaire de la IVe République était rejeté par les Français et critiqué par la classe politique elle-même qui avait souffert de ses défauts même si elle n’avait pu le transformer.
« Des pouvoirs exorbitants sont alors conférés au président, au détriment du législatif et de la démocratie directe. »
S’il est vrai que la Constitution de la Ve République a donné au président de larges pouvoirs il faut rappeler que son texte est le fruit d’un compromis entre les partisans du régime parlementaire, désormais ralliés au parlementarisme rationalisé, et de Gaulle ; un compromis qui conservait le caractère parlementaire du régime puisque « le gouvernement [et pas le président] détermine et conduit la politique de la nation » et que « le Premier ministre dirige l’action du gouvernement ». La Ve est de ce fait un régime parlementaire. Les périodes de cohabitation ont donné le pouvoir effectif à des gouvernements opposés au président en place. Quant à la démocratie directe, c’est de Gaulle qui en a introduit le premier élément dans la Constitution avec l’instauration du référendum.
« En consacrant l’hyper-présidentialisme, [Macron] nous éloigne du nécessaire partage du pouvoir. Aucun régime démocratique ne connaît un tel système, donnant tant de pouvoir à un seul homme. »
L’observation de la récente séquence sur la réforme des retraites n’a pas donné l’impression d’un hyper président ayant tous les pouvoirs. Malgré de longs débats et de nombreuses modifications du projet de loi le président a dû utiliser les armes du parlementarisme rationalisé, notamment le 49.3, pour faire passer ce projet largement amendé. Répétons qu’à quelques voix près son gouvernement a failli alors être renversé. Il ne l’a pas été parce qu’il n’y avait pas dans l’Assemblée une majorité de députés pour le faire, et non parce que Macron disposait de tous les pouvoirs.
« Ailleurs, quand il n’y a pas de majorité, la décision ne revient pas à une minorité : on cherche des coalitions. »
Ici, Clémentine Autain a raison. Mais elle s’arrête en chemin sans se poser la question de savoir pourquoi en France, à la différence de la plupart de nos voisins européens, il est si difficile de nouer des coalitions gouvernementales. La réponse est dans l’absence chez nous d’une véritable culture parlementaire. Prenons le cas de l’Allemagne dirigée actuellement par une coalition entre les sociaux-démocrates, les écologistes et les libéraux. Une telle combinaison paraît-elle possible et même souhaitable à la députée LFI ? Elle nous dit que le système partisan est aujourd’hui « tripolarisé ». C’est en partie vrai encore qu’il ne faille pas oublier LR. Les partis au pouvoir n’ayant aujourd’hui qu’une majorité relative doivent tenter de nouer une coalition avec l’un au moins des deux autres pôles ou avec LR. Ni la Nupes ni le RN ne semblent disposés à aller dans ce sens. Quant à LR, le président et la Première ministre lui ont proposé une telle alliance qu’ils ont refusée. Si de nouvelles élections avaient lieu, il est probable que la situation ne serait pas très différente. En France, le clivage gauche/droite ne peut plus comme naguère produire des alliances pouvant conquérir une majorité absolue au Parlement. Alors que faire ? Il faut bien gouverner cependant ! D’où la nécessité de sauvegarder les outils du parlementarisme rationalisé.
« Le président Macron pousse à son paroxysme la mécanique de la Ve République. Au lieu de respecter l’esprit de nos institutions, il s’obstine à en appliquer la lettre. Et pour cause : Emmanuel Macron n’a plus aucune autorité, car celle-ci implique une légitimité. »
D’habitude c’est plutôt la vision gaullienne qui est qualifiée d’esprit des institutions et la vision parlementariste qui s’appuie sur leur lettre. Le 49.3 a été défendu en 1958 par les parlementaristes pour établir un régime parlementaire efficace. Clémentine Autain, en assimilant le 49.3 au pouvoir présidentiel, oublie qu’en cas de cohabitation une majorité parlementaire relative pourrait éventuellement imposer sa volonté au président en l’utilisant. Le 49.3 est d’abord une arme gouvernementale dans un système parlementaire.
Si le gouvernement a utilisé le 49.3, ce n’est pas parce que Macron n’a plus de légitimité. Il a été réélu il y a un an avec 58% des suffrages et plus de 20 millions de voix. C’est parce qu’il ne dispose plus d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Dire qu’il n’a plus d’autorité contredit par ailleurs l’affirmation de son hyper-pouvoir.
« Le président s’appuie sur la légalité pour mieux balayer toute forme de légitimité. »
Opposer la légitimité du peuple à la légalité des représentants dans un régime démocratique où les élections sont libres et concurrentielles ouvre la voie à l’anarchie et à la destruction de tout pouvoir démocratique reposant sur une majorité électorale.
« Aujourd’hui, comment accepter qu’une loi majeure pour le quotidien des Français, obligeant à travailler deux années supplémentaires, puisse être promulguée, alors que le peuple n’y consent pas ? »
Quel est ce peuple contre lequel gouverne le pouvoir actuel ? Le « peuple » ne consent pas à la loi directement, sauf par référendum dont l’utilisation est soumise à des conditions constitutionnelles. Certes, une majorité de Français est opposée à la réforme des retraites. Mais le régime représentatif n’interdit ni légalement, ni légitimement à ce pouvoir de tenter de faire adopter une réforme qu’à tort ou à raison il estime nécessaire puisqu’il a la charge de gouverner. Un gouvernement doit pouvoir prendre des mesures impopulaires. C’est même la raison pour laquelle il dispose dans notre Constitution des pouvoirs que lui offre le parlementarisme rationalisé. De toutes manières les électeurs peuvent toujours changer la majorité aux élections suivantes. Mais la nouvelle majorité reviendra-t-elle sur la loi ? L’histoire politique de la Ve suggère que non.
« En Ve République, un président a le droit d’imposer sa loi contre la majorité. »
De quelle majorité s’agit-il ici ? Le président ne peut imposer l’adoption d’un projet de loi contre la majorité des députés. C’est, dans un régime parlementaire, la seule majorité qui compte. En outre, en période de cohabitation le président ne peut pas imposer « sa loi ».
« La Ve République a désormais sa place dans la rubrique nécrologique. En validant le texte de loi sur les retraites, les si mal nommés sages ont porté le dernier coup à un régime à bout de souffle. Il faut en changer, engager le processus constituant pour une VIe République. Seul le passage à une VIe République peut résoudre la crise actuelle. »
La Ve République, contrairement aux républiques précédentes, a introduit avec la création du Conseil constitutionnel et sa possible saisine par les parlementaires un pouvoir de contrôle de la constitutionnalité des lois. C’est une très heureuse innovation. On voit que de par le monde des gouvernements aux tendances antidémocratiques cherchent à limiter ce type de pouvoir juridictionnel. On le voit notamment en Pologne, en Hongrie et désormais en Israël. On ne s’attendait pas à ce que la gauche en France se joigne à ce mouvement. Quant à changer de Constitution, s’il s’agit de limiter à la fois les pouvoirs du président et ceux du gouvernement c’est revenir à la IVe République et rendre à nouveau le pays ingouvernable. C’est aussi ignorer les leçons de notre histoire et faire courir au pays les plus graves dangers. En outre, penser qu’un grand pays peut être gouverné par la démocratie directe est une utopie funeste.
C’est, selon Clémentine Autain, la Macronie qui doit être « jugée responsable du massacre de la République ». Sans commentaire !
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