Comment faire avancer l’Europe? edit
En septembre dernier, j’avais publié sur Telos un article au sujet des propositions d’Emmanuel Macron sur l’Europe. J’y exprimais admiration et doutes. Les doutes s’avèrent aujourd’hui justifiés, hélas. On en saura plus après le sommet du mois de juin mais, sauf divine surprise, les grandes ambitions du discours de la Sorbonne risquent fort de se retrouver bloquées.
La stratégie de Macron est bien connue. En montrant sa détermination à respecter les contraintes budgétaires et en conduisant des réformes courageuses, il comptait s’attirer la sympathie de ses partenaires, à commencer par l’Allemagne. Mission accomplie. À partir de là, il allait injecter son dynamisme et son enthousiasme pro-Européen pour secouer le ronronnement doucereux qui domine depuis longtemps. D’ailleurs la chancelière Merkel n’a pas tardé à manifester son admiration pour son jeune collègue. Le tandem franco-allemand, qui a toujours fait avancer l’Europe pouvait donc repartir. Il suffisait d’attendre le résultat des élections allemandes. Miracle, la Grande Coalition a rédigé un contrat de gouvernement inhabituellement pro-européen et le nouveau ministre des Finances, Olaf Scholz, est un social-démocrate, donc a priori plus ouvert que son prédécesseur, le très rigide Wolfgang Schaueble.
Mais la realpolitik a repris le dessus. Oubliées les envolées lyriques, les fondamentaux sont revenus en force. Un instant inquiets, les très pragmatiques Européens du Nord ont fait savoir par la voix des Néerlandais qu’ils ne voulaient pas s’engager dans des initiatives dont ils ne voient pas l’intérêt mais dont ils perçoivent les dangers. Un ministre des Finances de la zone euro, doté d’un budget conséquent ? C’est la voie ouverte à la gabegie, à des transferts politiques et à une machinerie technocratique. Des allocations de chômage partiellement européennes ? Cela reviendra inéluctablement à ce que les pays qui ont vaincu le chômage subventionnent ceux qui n’ont pas suffisamment réformé leurs marchés du travail. Une harmonisation fiscale ? Impensable tant les différences sont aigües d’un pays à l’autre. Scholz est d’accord avec ces objections, tout comme la majorité des Allemands. S’il faut faire un geste à l’égard du sympathique président français, ce sera purement symbolique.
Macron pouvait espérer compter sur les Européens du sud pour forcer la main aux Européens du nord. Mais, sur biens des points, les Espagnols sont plus proches de ces derniers et l’Italie est en pleine crise politique. Avec une spectaculaire montée en puissance des euro-septiques, ce sera déjà très bien si elle ne menace pas de quitter la zone euro.
S’il veut faire avancer l’Europe, Macron ferait bien de se recentrer sur les problèmes que connaît l’Europe et proposer des mesures directement adaptées, efficaces à défaut d’être enthousiasmantes. Il devra accepter que l’heure est plus aux ajustements tristement techniques, voire technocratiques, qu’aux avancées qui font rêver. Il pourrait se rappeler l’échec de Giscard d’Estaing qui avait proposé en 2005 une glorieuse – mais relativement vide de contenu – constitution européenne que la France a rejetée par référendum. Quatre problèmes doivent être traités.
Premièrement, l’union bancaire, adoptée dans l’urgence durant la crise de la zone euro, est mal ficelée. L’intendance n’a pas suivi. On a créé une autorité unique pour traiter les banques en perdition mais cette autorité n’est pas vraiment unique, elle doit composer avec des autorités nationales plus préoccupées de protéger leurs banques qu’à les restructurer en profondeur, on l’a vu en Italie l’an dernier. Surtout, remettre à flot des banques en faillite coûte cher. De plus, les dépôts bancaires sont partout garantis à hauteur de 100 000 euros. Cela fait beaucoup d’argent encore. Dans les deux cas, un gouvernement peut ne pas en avoir les moyens. C’est pour cela que l’Irlande, l’Espagne et Chypre se sont retrouvées en crise. La solution est la création de deux fonds communs, un pour traiter les banques en crise et un autre pour garantir les dépôts bancaires. La logique est imparable mais fait face à une autre logique. Les pays du Nord considèrent que ces fonds seront utilisés pour nettoyer les systèmes bancaires des pays du Sud, qui n’ont pas été nettoyés. Ils n’ont pas forcément tort. Trouver la solution qui mette tout le monde d’accord est difficile mais pas impossible. Ce sera forcément technique et donc incompréhensible à la plupart des citoyens. Mais c’est indispensable si l’on veut éviter que la survie de l’euro ne soit à nouveau menacée lors de la prochaine crise bancaire, dans un an ou dans vingt ans.
Le deuxième problème à traiter est celui de la discipline budgétaire. Les crises grecque et portugaise ont confirmé que la vie en union monétaire n’est possible que si, bon an, mal an, chaque gouvernement équilibre ses comptes. C’était ce que devait assurer le Pacte de Stabilité. Il a échoué piteusement. On l’a déjà réformé plusieurs fois mais, tel qu’il est conçu, il ne peut toujours pas fonctionner. Il faut repartir à zéro, et il existe des solutions. Personne ne veut s’y attaquer, surtout en ce moment où la reprise économique améliore automatiquement les budgets. Mais aucune reprise n’est éternelle et les taux d’intérêt aujourd’hui quasi nuls auxquels les gouvernements empruntent vont remonter. Si l’on ne revoit pas les règles budgétaires, des nouvelles crises sont assurées. Encore une fois, c’est forcément un sujet très technique, mais incontournable. Le Pacte de Stabilité est une de ces vaches sacrées que Macron abhorre, il pourrait y consacrer ses talents réformateurs.
Troisièmement, partout en Europe, l’immigration est une question politique majeure. Si l’on veut préserver la mobilité des personnes dans l’Union, la solution ne peut pas être nationale. Macron a proposé un corps de garde-frontières européens. C’est une première mesure et elle n’est pas trop controversée au niveau des principes, mais tout est à imaginer dans les détails. De plus, aucune frontière n’est étanche, du moins en démocratie. Il faudra bien se mettre d’accord sur une politique commune d’immigration légale et sur la manière dont sont accueillis les immigrants illégaux. C’est horriblement compliqué et politiquement explosif. Mais il faut bien comprendre que stocker les immigrants en Italie, si proche des côtes africaines, est une raison majeure de la dangereuse crise politique qui s’y est installée.
Quatrièmement, enfin, la crise migratoire a fait surgir des désaccords profonds entre l’Est et l’Ouest du continent. Ces désaccords sont vastes, entre des pays qui ont fait depuis longtemps l’apprentissage de la démocratie et de l’État de droit et ceux qui ne l’ont jamais vraiment connu, ou brièvement. Macron a proposé une Europe à plusieurs vitesses. Ce n’est pas vraiment une idée nouvelle. Elle pose un vrai problème au processus d’intégration européenne qui s’est toujours voulu unitaire. Mais le « unanimement tous ensemble » a déjà souffert d’importantes exceptions, l’union monétaire et Schengen, deux clubs ouverts à ceux qui ont choisi, pour l’instant, de n’en pas faire partie. Les pays de l’Est sont très opposés à ce qu’ils décrivent comme une Europe à deux classes, mais ils ne devraient pas pouvoir bloquer des avancées nécessaires qui recueillent l’assentiment des autres pays. Macron pourrait ouvrir ce chantier, en leur proposant d’autres accords partiels, par exemple en matière de défense, un domaine dans lequel l’Allemagne est très en retrait. L’Allemagne, elle aussi pourrait leur proposer un accord séparé sur les travailleurs postés que la France a opposé. Les combinaisons qui ne remettent pas en question le marché unique sont infinies.
Emmanuel Macron a dépensé une partie de son capital politique européen à avancer des propositions qui, il devait le savoir, ne sont pas acceptables à nos partenaires. Ce serait désespérant que ce capital ne soit pas mis à profit pour faire avancer la construction européenne, ou pour n’aboutir qu’à des gestes spectaculaires – on parle de créer un Fonds monétaire européen – mais sans grand contenu réel. Il fut un temps ou « faire avancer l’Europe » consistait à lancer des actions audacieuses comme le marché unique, l’euro ou l’espace de Schengen. Ce n’est pas dans l’air du temps et le volontarisme retrouvé de la France ne suffit pas en cette période d’eurosepticisme. Après des décennies d’avancées importantes mais parfois imparfaites, l’urgence est à la consolidation d’une architecture qui tremble. Emmanuel Macron serait bien inspiré d’appliquer à l’Europe ce qu’il fait en France : des réformes essentielles conduites à petite dose.
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