Croissance et réforme edit
Les clignotants économiques de la France sont tous au vert. Les dernières statistiques indiquent que la croissance a été meilleure en 2017 que l’on ne le prévoyait encore récemment. Le chômage diminue. Les salaires commencent à repartir à la hausse. Le moral des dirigeants d’entreprise est au beau fixe, et ils investissent d’autant plus qu’ils commencent à faire face à des limites de leurs capacités de production. Les particuliers aussi retrouvent le sourire et réduisent leur épargne pour consommer plus. Cela fait longtemps que l’on n’a rien vu de tel. Vive Macron ? Pas si vite. L’héritage de ce pauvre Hollande ? Pas plus. Ce retour est dû à la reprise mondiale, qui a largement atteint l’ensemble de l’Europe, aidée par la politique monétaire de la BCE.
Une fois de plus, Emmanuel Macron bénéficie d’une chance inouïe. Ses deux prédécesseurs ont vainement attendu ce fameux point d’inflexion et, lui, il arrive juste au bon moment. Mais ce n’est pas que de la malchance pour les uns et de la chance pour l’autre. Sarkozy et Hollande ont tous les deux fait le choix de l’austérité au plus mauvais moment, alors que la reprise était inexistante ou faible. Macron a pris le même risque en faisant descendre le déficit, mais un tout petit peu et au moment où le vent de la reprise soufflait déjà assez nettement pour passer au-dessus. La chance se mérite.
Sauf surprise, jamais exclue, le ciel reste dégagé pour les années à venir. La question est ce que va en faire le gouvernement. Une phase de croissance peut aisément être gaspillée. En principe, c’est le moment de faire un grand nettoyage. À commencer par le déficit budgétaire. Si le budget n’est pas en excédent en période de croissance, il ne l’est jamais. Ce n’est pas ce que le gouvernement a annoncé dans la Loi de programmation des finances publiques pour 2018 à 2022. À cet horizon, il prévoit tout juste le quasi équilibre (un déficit de 0,2% du PIB). La modestie de cet effort se lit dans les détails. Le gouvernement prévoit une baisse très limitée de la pression fiscale et une baisse tout aussi limitée des dépenses publiques qui devraient rester au-dessus de la barre de la moitié du PIB. Dans ces conditions, il faudrait que la croissance se prolonge au-delà de 2022 pour arriver enfin au surplus. C’est possible, mais pas certain, sauf à croire que la chance va continuer. La prudence serait de faire plus.
L’autre grand nettoyage concerne les réformes de structure. Parce qu’elles sont impopulaires, elles sont souvent conduites lorsque la situation est inquiétante. L’Allemagne a fait les siennes dans les années quatre-vingt dix, après que l’influent hebdomadaire The Economist l’ait qualifiée de « grand malade de l’Europe ». D’autres pays, comme le Grèce et le Portugal, l’ont fait en pleine crise, sous la pression intense des autres pays européens dont les prêts leur maintenaient la tête au-dessus de l’eau. Mais la bonne stratégie, c’est de réformer quand la croissance est solide, et ce pour deux raisons. D’abord, parce que le premier effet des réformes est contractionniste. Il vaut mieux ralentir (un peu) la croissance qu’aggraver une récession. Ensuite, parce que lorsque la situation est favorable, l’opinion publique est optimiste et donc prête à prendre le risque de transformations dont les effets sont toujours perçus comme incertains.
Si Emmanuel Macron a engagé un considérable programme de réformes précisément en début de cycle montant, ce n’est pas pour cette raison. Il s’agit pour lui de tirer parti de la proximité de son élection pour dérouler ces promesses électorales, disposant ainsi d’une vraie légitimité face à la douteuse mais efficace légitimité de la rue. Cela dit, le moment choisi peut avoir un impact intéressant. À plusieurs reprises, le président a indiqué qu’il fallait être patient, les résultats apparaîtront « dans deux ans ». En général, parce qu’elles modifient la manière dont les particuliers et les entreprises agissent, les réformes structurelles produisent leurs effets très lentement, sur cinq à dix ans suivant le cas. Dans deux ans, nous verrons donc surtout les effets de la croissance revenue, mais le gouvernement aura beau jeu d’en revendiquer la paternité. Ce n’est pas anodin. Si les réformes sont toujours controversées, leurs résultats ultérieurs seront appréciés. En contractant ainsi le temps de la preuve, Macron pourra affirmer que les bons résultats sont la preuve que les réformes marchent, à un moment où sa légitimité démocratique commencera à s’émousser. Tout aussi important, les premiers effets, les vrais, apparaîtront au terme du quinquennat. Non seulement cela augmentera ses chances de réélection, mais il pourra alors construire un programme de réformes plus ambitieux pour un éventuel second mandat, et le réaliser plus aisément.
Je fais partie de ceux qui trouvent que les réformes sont bien pensées mais quelque peu étriquées. La stratégie de Macron risque de me donner tort. La caractéristique de ces réformes est de s’attaquer aux vaches sacrées qui ont causé le déclin économique de la France et ont ainsi provoqué l’effondrement de la confiance envers des partis politiques apparemment paralysés par leur manque d’audace, souvent présenté comme du réalisme et comme respectueux de nos traditions. En procédant par petites touches, Macron semble réussir sur le plan des principes et des symboles. Par exemple, la réforme du code du travail était une ligne rouge. Elle a été franchie, un tout petit peu, mais ce n’est plus une ligne rouge. Il est probable qu’en 2022 le taux de chômage sera descendu bien en-dessous de l’infranchissable limite de 8%, du jamais vu depuis 1983. Que le chômage baisse durant une période de croissance soutenue est bien normal, mais qu’il franchisse durablement sa limite inférieure – appelée le chômage structurel – n’est possible que si le marché du travail est réformé.
Une fois cette première vague achevée, ayant ainsi modifié les termes du débat, une fois réélu Macron devrait pouvoir augmenter la dose et ainsi transformer profondément un pays réputé irréformable. D’ici là, nous entendrons la petite musique des conservateurs de toutes les couleurs politiques, qui dénoncent trop de réformes qu’ils aiment qualifier de « violentes », habitués qu’ils sont à défendre leurs vaches sacrées. Après plusieurs décennies d’immobilisme, et de déclin que l’on a tendance à oublier maintenant que tout bouge, leur dépit est ce qu’il y a de plus encourageant.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)
Cet article est publié sous licence Creative Commons 3.0 (BY-NC-ND). Vous pouvez le reproduire en précisant la source (Telos), avec un lien sur cette page.