Dégagisme, saison 2 edit
Le dégagisme de 2017 est descendu dans les communes. Ceux qui sont allés voter dimanche, après le covid, le confinement, les déclarations de Macron, les discussions sur « l’après », ont été nombreux à choisir de renverser la table. Comme toujours, on peut penser qu’il y a eu plus de participation chez ceux qui avaient quelque chose à affirmer dans ce scrutin, et que les électeurs des partis ou des personnalités installés ont eu moins envie d’aller voter. Mais ce qui domine est la diversité des situations : ici on remet en selle les socialistes (Montpellier), là on les chasse (Poitiers) ; ici on finit par donner raison à un maire (Paris), là on le sanctionne (Lyon).
Ce second tour a bien été municipal, avec une tendance nationale écologiste, dans la roue de laquelle se sont mis ici des socialistes, là des mélenchonistes, ailleurs des « divers » divers. Naturellement, il s’est fait sur la base des résultats du premier tour, qui ont conditionné les alliances nouées ou pas dans l’intervalle, c’est-à-dire en fait dans les toutes dernières semaines, après la sortie du confinement. Ces alliances ont été déterminées, donc, par les rapports de force du premier tour, mais aussi par l’ambiance générale résultant de la crise covid, du confinement, des polémiques sur l’action du gouvernement, des annonces du président de la République.
Il est remarquable de constater, d’une part, des comportements électoraux cohérents ou cohésifs dans les électorats anciennement structurés – socialiste, conservateur, écologiste, extrême droite, extrême gauche – et, d’autre part, l’arrivée à la direction de grandes villes et communautés urbaines d’un personnel jusque-là inconnu ou cantonné dans les minorités des conseils municipaux ou communautaires. Les forces disruptives de 2017 sont absentes : les macronistes, certes, mais aussi bien les lepénistes (le cas unique de Perpignan venant plutôt souligner que contredire cet effacement) et les mélenchonistes. Les dégagistes patentés ne profitent pas de ce dégagement.
Ce découplage entre implantation locale et tendances nationales tient à plusieurs causes. Les élections législatives de 2017 en ont été à la fois la traduction et un facteur puissamment démultiplicateur, avec l’arrivée au Palais-Bourbon d’une majorité de députés à l’expérience limitée ou nulle dans les assemblées ou les exécutifs municipaux ou régionaux. Souvent inconnus des électeurs, ils n’ont pas réussi ou pas cherché à s’enraciner dans leurs territoires, ou n’en ont pas eu le temps. L’ébranlement qui leur a réussi a ouvert la voie à d’autres. Les Gilets jaunes ont amplifié ce mouvement de déconsidération pour les élus en place, à tous les niveaux et jusqu’au plus élevé. Le Grand Débat a mis en scène, pour les télévisions, le brouillage des frontières entre mandants et mandataires. Les filières partisanes de formation et de sélection des candidats ont été démonétisées au profit d’initiatives extérieures, se prévalant d’une virginité « citoyenne » qui, certes, ne refuse pas l‘expertise de militants chevronnés – ou qui récompense leur savoir-faire.
L’espace territorial, qui est aussi bien celui des grandes villes et des quartiers que celui des villes plus petites et des zones rurales, s’est dégagé dans la crise des Gilets jaunes, représentatif de la seconde catégorie, et dans le confinement imposé par la pandémie, particulièrement dans la première catégorie. Ces phénomènes ont contribué – on le voit avec le scrutin de dimanche – à la recomposition du champ politique local engagée de multiples manières depuis la décentralisation Raffarin (2003), la loi NOTRe (2015), ces modifications se combinant avec les évolutions économiques et sociales auxquelles elles cherchent, pour une part, à adapter les institutions.
Une explication du décalage entre politique nationale et politique locale se trouve dans la conscience que chacun prend du caractère décisif du niveau européen. La crise sanitaire l’a montré à la fois par les carences de la coopération au sein de l’Union et par les initiatives prises pour y remédier. Mais les Français ont compris de longue date que c’est dans le système européen, ou en relation avec lui, que se bâtit leur avenir et celui de leurs enfants. Les forces et les personnalités auxquelles vont leurs suffrages à l’élection présidentielle et aux législatives qui en résultent sont donc celles qui présentent des choix clairs en matière européenne.
Les unes s’inscrivent dans la construction communautaire, avec des variantes plus ou moins intégratrices, plus ou moins sociales, plus ou moins dérégulatrices et libre-échangistes, plus ou moins écologistes. Les autres, nationalistes revendiquées ou souverainistes, sont hostiles à l’Union dans son principe, ou bien la refusent au nom du combat contre le capitalisme.
Le second tour de l’élection présidentielle de 2017 avait logiquement opposé les deux termes du choix principal, pour assumer et réformer l’Union européenne ou pour s’opposer à elle. Et ce n’est certes pas par mauvaise humeur que Jean-Luc Mélenchon n’avait pas voulu, alors, prendre parti, mais bien parce que son entreprise politique est fondée sur l’ambiguïté, démontrée par son refus même.
Les alliances nouées localement entre socialistes (ou divers gauche) et écologistes privent potentiellement Emmanuel Macron de son « en même temps », déjà mal en point depuis deux ans. Il risque, en effet, de ne pouvoir intéresser à sa réélection ni les électeurs soucieux avant tout de justice sociale, ni ceux que préoccupent prioritairement l’état de la planète. La victoire d’Édouard Philippe au Havre place en outre le président de la République dans une situation impossible. Reconduire un Premier ministre aussi bien placé dans les sondages d’opinion et aussi bien élu dans sa ville, n’est-ce pas lui donner les clés du camion ? Mais comment et par qui le remplacer ?
Sans abuser de comparaisons historiques futiles, il est tentant, en cette période de commémoration gaullienne, de rapprocher la situation d’Emmanuel Macron de celle du général après l’élection de décembre 1965. De Gaulle l’avait emporté sans gloire, les Français n’ayant pas trop le choix, mais la vérité était qu’il avait fait son temps. Le vrai patron au gouvernement était le Premier ministre, Georges Pompidou, réunissant autour de lui la majorité politique au Parlement et dans la société, tandis que le président continuait à se vouloir l’élu du pays au-dessus des frontières des partis. Le match se joua en trois sets et fut gagné comme on sait.
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