Du code du travail à la gouvernance des entreprises. Un compromis possible? edit
Les projets actuels sur la réforme du code du travail renvoient à une question toujours posée mais non forcément résolue : la réforme, certes, mais selon quelle méthode ? La question ne perd rien de son acuité lorsque l’on prend connaissance du calendrier du gouvernement pour aborder les réformes à venir durant les 18 prochains mois. L’été 2017 doit donner lieu à des ordonnances sur l’autonomie accrue des accords d’entreprise face à la loi, le plafonnement des indemnités prud’homales et l’unification des institutions représentatives des personnels. Suivront la réforme de l’assurance-chômage et de la formation prévue pour la fin de l’année et celle des régimes de retraites en 2018. Au cours de ces diverses séquences, on risque de revoir un scénario bien établi à savoir la multiplication des sources et des causes de conflits. Ou encore l’opposition résolue de certains syndicats, l’éventualité de « mobilisations de rue » faisant plier le Parlement ou l’Exécutif et la recherche de compromis parfois précaires comme l’ont montré les réformes des retraites dans les années 2000.
Le risque est d’autant plus réel qu’il se renouvellera de façon répétée durant les mois à venir car il sera porté par des réformes séparées dans le temps, des réformes qui relèvent de la méthode du « saucissonnage » qui a pu faire la preuve d’une certaine efficacité dans le passé, mais aujourd’hui ? Certes, en France, il n’est pas (ou plus) possible de songer à une réforme globale comme celle lancée en Allemagne en 2003 par Gerhard Schröeder – « l’Agenda 2010 » qui libéralisait profondément le marché du travail tout en transformant de façon drastique le système des retraites, l’indemnisation du chômage et des assurances-maladie. Néanmoins, pourquoi toujours aborder les problèmes au « cas pas cas » en accumulant les risques de conflits et en tissant des compromis qui auront d’autant moins d’effets sur l’opinion ou dans les faits qu’ils seront toujours partiels ? N’est-ce pas Emmanuel Macron lui-même qui écrivait que « la solution ne saurait émerger de la construction de compromis bancals » (Révolution, mai 2017, p. 15) ? Aussi, pourquoi ne pas proposer aux partenaires sociaux, un compromis plus ambitieux qui pourrait être résumé par le « deal » suivant : d’un côté, le maintien des réformes envisagées quitte à ce qu’elles fassent l’objet d’aménagements périphériques, de l’autre l’institution d’une nouvelle gouvernance de l’entreprise dans laquelle la participation des représentants des salariés aux décisions sociales et économiques serait renforcée, efficiente et beaucoup plus manifeste ?
Irréaliste, utopique ? Assurément pas. Un tel compromis apparaît aujourd’hui d’autant plus pertinent qu’il répond à la question suivante : peut-on susciter des réformes qui donnent à l’accord d’entreprise une autonomie accrue face à la loi et un rôle important quant à l’emploi et à la compétitivité économique sans songer un seul instant à la redéfinition du rôle des partenaires sociaux face à des décisions qui relèvent de la productivité et non plus des seules pratiques traditionnelles de redistribution ? Pertinent du point de vue des réformes actuelles relatives aux liens entre l’accord d’entreprise et la compétitivité, ce projet de compromis l’est aussi sur le terrain historique car « il ne tombe pas du ciel ». Il s’inscrit dans un long cheminement quasi discontinu qui va du début du XXe siècle à nos jours. Au départ, c’est Jaurès qui loin d’un Proudhon ou d’un Marx, fut l’un des premiers à recommander la participation des travailleurs aux décisions de l’entreprise. Si l’idée se heurte au refus du patronat et de la CGTU ou à la frilosité des partis de gauche et des syndicats non communistes (CGT-Jouhaux, CFTC), elle prendra forme après la Seconde Guerre mondiale. A la Libération, des mesures prises en ce sens s’appliquent dans les nouvelles entreprises nationalisées comme les Houillères, EDF, Air France ou de grandes banques. Plus tard, les lois Auroux prônent la « démocratisation du secteur public » et prévoient l’attribution d’un tiers des sièges des Conseils d’administration, aux représentants des salariés. Depuis, l’implantation des administrateurs salariés a connu de nouveaux développements avec le vote en juin 2015 de « la loi pour le dialogue social et l’emploi » qui concerne les entreprises en général de 1000 salariés et plus.
Dès les années 1960, le débat dépasse le clivage « droite-gauche » ou ceux qui existent entre les partenaires sociaux - ce qui pourrait motiver le gouvernement actuel soucieux de dépasser de tels clivages. C’est sous des régimes de droite que sont publiés les rapports de François Bloch-Lainé (1963) et de Pierre Sudreau (1975) qui souhaitent une extension au secteur privé des mesures appliquées dans le secteur nationalisé quant à la participation des salariés et de leurs représentants aux décisions économiques et sociales. Plus tard, le Centre des jeunes dirigeants (devenu CJDE) s’inspire de telles propositions pour édifier les siennes à propos du pouvoir dans l’entreprise. Le mouvement prend un nouvel essor après la crise de 2008 qui met en cause les stratégies à court terme qui opèrent au sein du capitalisme financier dominant – le « pouvoir des actionnaires » sur l’entrepreneur. Alors, une partie du patronat de l’AFEP à Jean-Louis Beffa, Antoine Frérot, Louis Gallois, Louis Schweitzer, etc., se prononce en faveur d’une reconnaissance accrue du rôle des représentants des personnels face à la décision économique.
Au total, la question repose aujourd’hui, sur un certain consensus qui implique des parties d’horizons très divers. Dès lors, pourquoi pas ne pas songer à une présence encore plus forte des syndicats dans les instances de décision économique de l’entreprise, une présence encore plus forte comparée aux préconisations de la législation actuelle ? Voire, car il faut enfin nommer les choses, l’instauration d’une sorte de « cogestion à la française » ? Certes, en l’occurrence, « la chose » ne peut aller de soi et ceci malgré les évolutions récentes. Sur le terrain social, politique et idéologique, beaucoup à gauche considèrent toujours la participation des syndicats aux décisions économiques de l’entreprise comme « le péché par excellence » à savoir « la collaboration de classes ». A droite et parmi les employeurs, nombreux sont ceux qui se défient d’une telle participation alors qu’ils ne cessent d’encenser le modèle et le syndicalisme allemands et la responsabilité de ce dernier à l’égard de la compétitivité de l’entreprise. Sur un terrain plus immédiat, le rôle accru des représentants des salariés quant à la décision économique impliquent la mise en œuvre de nouvelles pratiques comme (pour n’en citer que quelques-unes) : l’élection et la formation des syndicalistes concernés ; la recherche de nouvelles formes d’expertise et d’expertise partagée ; la définition des registres du pouvoir relevant des parties en présence - employeurs et syndicats ; les modalités de coexistence entre les divers rôles et attributions au sein des instances concernées ; le respect de la confidentialité de certains débats, etc. Ainsi, la réforme n’ira donc pas de soi. Comme toutes les réformes ambitieuses, et pour cause. Si elle était mise en œuvre, il s’agirait tout simplement d’une réforme qui proposerait aux syndicats de prendre part à un vrai compromis qui donnerait au contexte social français, un statut et un contenu radicalement neufs en rupture profonde par rapport à tout ce qui constitua et constitue toujours ce contexte.
Alors, quels compromis, quelles réformes pour reprendre la question posée dès l’introduction ? Des réformes prises « une à une » ou un compromis qui constituerait une sorte « d’échange politique » visant non seulement l’emploi et la productivité économique mais la gouvernance de l’entreprise, elle-même. C’est ce que certains nommaient à la fin des années 1960 des réformes de structure, qu’ils opposaient à des réformes de conjoncture, voire cosmétiques. Alors, chiche ?
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