La gauche et Mélenchon: et après? edit
Le refus de Jean-Luc Mélenchon de participer à la marche contre l’antisémitisme et les raisons que lui et certains de ses partisans ont données pour le justifier ont révélé de manière éclatante ce qui le séparait irrémédiablement de la gauche démocratique. Il a qualifié cette marche de « rendez-vous des amis du soutien inconditionnel au massacre ». Le député LFI David Guiraud a évoqué de son côté une marche « dite contre l’antisémitisme, organisée par une certaine Yaël Braun-Pivet ». Les leaders et médias de gauche qui ne sont pas affiliés à LFI ont enfin réalisé, à cette occasion, que Jean-Luc Mélenchon n’était plus fréquentable. Le journal Le Monde a adopté cette position depuis quelques semaines déjà. La fin de la NUPES a accéléré la décomposition de la gauche et, du coup, provoqué la prise de conscience de ceux qui, depuis longtemps, ne voulaient pas voir la réalité en face. La gauche démocratique ne peut plus refuser de voir que Mélenchon et ses partisans rejettent les valeurs morales fondamentales qui sont les siennes : l’humanisme et l’universalisme. Qu’elle peut transiger sur beaucoup de choses (trop ?) mais pas sur celles-là sans se perdre définitivement.
Cette prise de conscience devrait, pour être productive, inciter la gauche démocratique à s’interroger sur les erreurs qu’elle a commises depuis 2017 et qui ont largement contribué à sa situation actuelle d’extrême faiblesse électorale mais, plus grave encore, d’extrême incertitude sur ce que sont ses valeurs fondamentales. La relecture de l’éditorial du Monde daté du 30 avril 2017, entre les deux tours de l’élection présidentielle, est très instructive de ce point de vue.
Au premier tour de cette élection, Jean-Luc Mélenchon venait d’obtenir près de 20% tandis que le candidat commun du PS et des écologistes, Benoît Hamon, n’avait totalisé que 6%. S’adressant à Jean-Luc Mélenchon, l’éditorialiste écrit qu’ayant fait « une campagne remarquable », il a atteint son objectif de « s’imposer, demain, comme l’architecte en chef de la reconstruction de la gauche ». Malheureusement, le dirigeant de La France insoumise « se refuse, au nom de l’unité de son mouvement, à appeler à voter pour Emmanuel Macron », position qui, « compte tenu de la responsabilité qui est désormais la sienne est périlleuse pour le pays et pour M. Mélenchon lui-même ». Je me permettais alors de faire remarquer à l’éditorialiste que lorsqu’il estimait irrecevable de la part de Jean-Luc Mélenchon de mettre sur le même plan « un adversaire politique et un ennemi irréductible », celui-ci ne percevait peut-être pas de la même manière que lui la différence entre les deux candidats, et qu’il ne partageait peut-être pas les valeurs au nom desquelles l’éditorialiste le sommait de choisir (voir mon article de Telos du 2 mai 2017, « La supplique du journal Le Monde à Jean-Luc Mélenchon »).
Dès cette époque, ceux qui connaissaient les idées de Jean-Luc Mélenchon (qu’il n’a jamais cachées, voir ses nombreux écrits) et son parcours politique savaient pourtant ce que signifierait immanquablement pour lui « être l’architecte en chef de la reconstruction de la gauche ». Cette gauche ne pourrait être qu’irréductiblement opposée à la social-démocratie qu’il avait toujours combattue, au sein même du Parti socialiste. Détestant le pluralisme, Mélenchon a toujours préféré les régimes dictatoriaux aux régimes démocratiques. Il n’a jamais fait l’inventaire raisonné des échecs de l’URSS, de la Chine de Mao ou plus proche de nous, du Cuba de Castro ou du Venezuela de Chavez qui a conduit à un pays riche à être, aujourd’hui, exsangue… Reconstruire la gauche signifiait pour lui constituer un « bloc historique populaire », dépassant les notions de droite et de gauche, et s’appuyant sur les mobilisations sociales et culturelles. Il s’agissait de conquérir les institutions pour les subvertir en utilisant l’intervention populaire pour peser sur les élus et les révoquer si besoin est. Bref, une gauche, qui assumait et revendiquait le populisme (voir l’article Alain Bergounioux, « La vertu, le bruit et la fureur », Telos, 15 avril 2017). Il est resté fidèle à ces idées.
Il faut donc se demander pourquoi la gauche démocratique, sachant cela, a néanmoins compté sur lui à l’époque pour reconstruire la gauche française. Certes, en 2017, dramatiquement réduite et traumatisée par son échec, effrayée par la perspective de perdre ses sièges aux législatives et assommée par l’écart en voix considérable entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, anéantie enfin par les divisions irrémédiables au sein du PS lui-même, elle a été poussée à se réfugier sous l’ombrelle de Jean-Luc Mélenchon. Cinq ans plus tard, la situation ayant encore empiré, elle a pu voir dans une Nupes dominée par LFI une bouée de sauvetage. Quel que soit le poids de ces raisons, il me semble nécessaire d’aller plus profond pour comprendre pourquoi l’alliance avec Mélenchon a paru alors aller presque de soi à la gauche démocratique tandis qu’Emmanuel Macron lui apparaissait d’emblée, et tout aussi naturellement, comme un adversaire.
Pour le comprendre, il faut remonter au Congrès de Tours du Parti socialiste, en 1920, quand, après que les deux tiers des délégués ont voté pour l’adhésion à la Troisième Internationale (léniniste) et la transformation de la SFIO en parti communiste, Léon Blum, refusant cette adhésion, a déclaré dans la péroraison de son fameux discours : « Malgré tout, restons des frères, des frères qu’aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu’un foyer pourra encore réunir. » Depuis lors, les socialistes ont toujours rêvé « d’effacer Tours ». Le parti refondé à Épinay en 1971 a reçu cet espoir en héritage. Sans une réunification des gauches, le PS serait toujours incomplet et fragile. Ainsi, en 1977, Jean-Pierre Chevènement déclarait : « La loi n’a pas fini de jouer qui veut que plus un parti est social-démocrate plus il rend stalinien son parti communiste tandis qu’inversement plus stalinien est le parti communiste, plus il renforce la social-démocratie chez les socialistes. » Ce rêve a empêché le Parti socialiste de s’assumer comme parti social-démocrate et donc de revendiquer pleinement son autonomie par rapport à l’extrême-gauche. François Mitterrand a pu en faire un parti de gouvernement mais sans avoir transformé son identité. Du coup, chaque fois que l’alliance à gauche s’est révélée impossible, le Parti socialiste s’est retrouvé isolé. Nous en sommes là une fois encore.
Le refus de Jean-Luc Mélenchon de participer à la marche contre l’antisémitisme alors que Marine Le Pen y participait vient bouleverser de fond en comble le paysage politique français. Le vieux clivage gauche/droite, déjà mis à mal par l’apparition d’un centre de gouvernement, sort détruit de cet épisode. Du coup, sous peine de disparaître, la gauche démocratique se voit obligée de se réinterroger sur ce qu’elle entend par « être de gauche » et donc de donner une réponse à la question suivante : Mélenchon est-il de gauche ? Si cette réponse est non, alors, il lui faudra se poser à frais nouveau la question suivante : « avec qui gouverner ? », si toutefois elle souhaite redevenir un jour un parti de gouvernement. Bref, il faudra qu’elle devienne enfin social-démocrate.
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