Mélenchon et le drame du Venezuela edit
La réaffirmation par Jean-Luc Mélenchon de son soutien indéfectible au régime chaviste et sa reconnaissance claironnante de la légitimité de Maduro après sa réélection récente ne sont pas seulement stupéfiants compte tenu de la manière dont s’est déroulée cette élection, ce qu’ont été ses résultats et l’état d’un pays en voie d’effondrement économique, ils sont aussi intrigants. Tandis que n’importe quelle personne un peu curieuse et de bonne foi peut se procurer facilement toutes les données nécessaires pour analyser la situation politique et économique du Venezuela, pourquoi Mélenchon s’enferre-t-il ainsi en défendant une position indéfendable ?
La première raison qui vient à l’esprit est qu’il ne veut pas se déjuger après avoir depuis de nombreuses années cité le régime chaviste en exemple à suivre, notamment pour la France. Mais cette raison ne suffit pas entièrement à expliquer pourquoi il se porte à ce point en première ligne et avec une telle combativité pour voler au secours des chavistes d’aujourd’hui. L’on est alors conduit à envisager une autre hypothèse : son accord profond avec le régime chaviste et le type de « démocratie » que celui-ci impose à son pays. Disons-le nettement, Mélenchon défend, point par point, sans se cacher, un régime dictatorial aux antipodes des démocraties pluralistes. Remarquons d’ailleurs qu’il est en bonne compagnie puisque les rares pays qui ont adressé leurs félicitations ou apporté leur soutien à Maduro après sa réélection sont des pays non démocratiques comme la Russie et la Turquie, alors qu’en revanche, s’agissant de l’Amérique latine, les pays du groupe de Lima, notamment le Brésil, l’Argentine, le Chili, le Mexique et le Pérou, ont refusé de reconnaître la légitimité d’une élection qui, selon eux, « n’a pas respecté les standards internationaux d’un processus électoral libre, juste et transparent ». Cette large condamnation est ainsi interprétée par Mélenchon : « Il y a un certain nombre de pays, autour des larbins des USA, qui ont décidé que cette élection ne leur convenait pas. »
Quels sont les arguments du leader de la France insoumise pour estimer que le pouvoir de Maduro est légitime ? D’abord le fait qu’il y ait eu une élection. Maduro a été élu et si les électeurs ont en grande majorité refusé de voter, tant pis pour eux. Il conteste ainsi la stratégie de l'opposition de boycotter le scrutin : « Si vous ne venez à aucune élection et que vous protestez avant et après, alors ce n'est plus démocratique. Il faut accepter d'aller aux élections. » Le seul fait que, selon lui, cette élection provoque un débat la rend légitime : « Déjà, on peut discuter d'une élection au Venezuela, on ne pourrait pas avoir ce débat en Arabie saoudite, hein », a-t-il ironisé. Ensuite, il nie que l’opposition ait boycotté l’élection puisqu’il y avait deux autres candidats. « Il n'est pas vrai » de dire, ajoute-t-il, « que la communauté internationale dont vous allez nous donner le nom et le numéro de téléphone pour qu'on puisse éventuellement discuter avec » ne reconnaît pas le scrutin. Enfin, le gouvernement vénézuélien a décidé de sortir de la crise par le haut avec « une Constituante » et d’anticiper l’élection. « Donc on règle les problèmes par les élections », a-t-il conclu. Bref, un comportement démocratique exemplaire de la part du pouvoir chaviste.
Reprenons cette argumentation point par point.
Il suffit qu’il y ait une élection pour que le régime soit démocratique ? Non. Comme le proclament les pays du groupe de Lima encore faut-il que cette élection soit « libre, juste et transparente ». Ce ne fut pas le cas de celle-ci. Ni les électeurs ni les candidats ne furent libres. Mélenchon estime que la présence de trois candidats garantissait le caractère démocratique de la consultation. Or, les principaux chefs de l'opposition, Henrique Capriles et Leopoldo Lopez, ont été empêchés par le pouvoir de se présenter. Lopez, condamné à l’emprisonnement en 2014 et libéré l'année dernière, est désormais assigné à résidence. Antonio Ledezma, ex-maire de Caracas, autre candidat potentiel, a été jeté à son tour en prison en 2015, et placé en résidence surveillée en 2017. Il en a profité finalement pour s’enfuir en Espagne. Quant aux deux candidats que le pouvoir a autorisé à se présenter contre le président sortant Maduro, il s’agit de Javier Bertucci, un évangéliste, et de Henri Falcon, ancien chaviste. Dans ces conditions, le choix des électeurs n’était pas libre et on comprend que la majorité d’entre eux aient boycotté le scrutin. Maduro a été élu par un tiers des électeurs inscrits.
Une élection juste et transparente ? Non. Dans un pays où la famine menace, où les citoyens les plus pauvres dépendent du gouvernement pour se nourrir, la faim est devenue une variable centrale dans le dispositif électoral. Dans un pays où les habitants reçoivent des bons d’alimentation en utilisant une carte d’identité spéciale, la distribution de nourriture est un moyen de contrôle. En face des bureaux de vote ont été installés, le jour de l’élection, des « points rouges ». Les électeurs devaient faire scanner leur carnet de la patria, sur lequel sont crédités des bons alimentaires, après avoir fourni la preuve qu’ils avaient voté. La menace implicite était que si l’électeur n’allait pas voter son carnet ne serait pas renouvelé. Pour la partie la plus pauvre de la population, une telle suppression peut s’avérer catastrophique. Si Maduro a fait relever le salaire minimum de 95% pour le porter à un 1 million de bolivars (soit l’équivalent d’une boîte de thon de 140 grammes), avec les bons les vénézuéliens peuvent atteindre 2,5 millions de bolivars par mois. Vote contre nourriture, telle est la face cachée du socialisme bolivarien.
La situation alimentaire et sanitaire du pays est dramatique. Le chef du service d’infectiologie de l’hôpital de l’Université centrale du Venezuela à Caracas a déclaré qu’il n’y avait plus de médicaments tandis que les épidémies se développent. Mais Mélenchon n’a que faire du malheur du peuple. Interrogé sur les difficultés que vivent les Vénézuéliens pour se faire soigner et, en particulier, les mères qui doivent aller accoucher au Brésil, il a répondu : « Oh mon dieu, comme vous me faites pleurer ! » Avant d'ajouter : « Et le massacre au Yémen, on en parle quand ? »
Tandis que le pays s’enfonce inexorablement dans la dictature et la famine et que les Vénézuéliens quittent en masse leur pays, Mélenchon, fidèle à son passé trotskiste, accuse l’impérialisme américain d’être le seul responsable de cette situation. Le gouvernement de Maduro n’y est pour rien. En le légitimant pleinement Mélenchon choisit ainsi clairement et publiquement entre un régime dictatorial et un régime de libertés.
Il faut au moins lui reconnaître qu’il ne biaise pas. Mais du coup, il faut que ceux qui entendent reconstruire la gauche autour de lui soient parfaitement conscients du choix ainsi opéré. Ils ne pourront pas dire plus tard qu’ils ne savaient pas.
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