2017: refonte du dialogue social et nouveau paysage syndical? edit
L’été 2017 sera-t-il considéré comme une rupture dans l’histoire syndicale des vingt ou trente dernières années ? Les évolutions récentes de FO pourraient le montrer si l’on se réfère à un passé assez proche. Dès le milieu des années 1990, FO est partie prenante des grands mouvements sociaux qui se sont succédés sans répit en 1995, 2003, 2006, 2010, 2016 pour s’opposer aux réformes sociales voulues par les pouvoirs publics. Mais alors, face à une CGT dont l’hégémonie durant ces mouvements était incontournable, FO jouait un rôle secondaire et ses propositions étaient généralement peu audibles auprès de l’opinion ou de nombreux salariés. Sur le plan des débats syndicaux, économiques et politiques, le constat est le même. Sauf exception, depuis plus de trente ans, ces débats renvoient aux clivages qui existent entre la CGT et la CFDT, l’apport des autres organisations – FO mais aussi la CGC, la CFTC ou l’UNSA – restant périphérique. Une nouvelle donne est apparue durant l’été 2017. Lors des échanges et réunions sur la réforme du Code du travail, FO a occupé une position centrale et majeure entre une CFDT et une CGT cantonnées à leurs rôles respectifs et habituels. Dans les faits, cette position particulière n’allait pas sans rappeler, certes dans un contexte tout autre, l’influence exercée par le syndicalisme contractuel qu’incarnait FO dans les années 1970 face à une CGT et une CFDT qui portaient, à l’époque, des revendications très politiques et contestataires.
L’écho récent recueilli par FO auprès des médias ou de l’opinion n’est pas seulement du à la nouveauté de la situation. La réforme du Code du travail implique des thèmes divers comme les accords majoritaires, la fusion des IRP (Institutions représentatives du personnel), les prudhommes et les licenciements, le télétravail, la négociation locale des primes, etc. Mais surtout, elle visait à redéfinir le rapport entre la loi, la négociation d’entreprise et la branche à propos de l’un des aspects capital du dialogue social à savoir la hiérarchie des normes sociales. C’est dans ce contexte que FO joua un rôle de premier plan pour élaborer un compromis original entre les partenaires sociaux et le gouvernement d’Edouard Philippe et Muriel Pénicaud.
Au départ, tout semblait pourtant opposer le pouvoir et l’organisation dirigée par Jean-Claude Mailly. Le but du premier était de renforcer un mouvement engagé depuis de longues années et dont l’un des derniers jalons était la loi El Khomri adoptée en 2016. En s’inspirant de la « République contractuelle » prônée par Emmanuel Macron, il s’agissait de donner plus d’autonomie aux partenaires sociaux et à la négociation collective face au droit, un droit appelé à devenir moins impératif et uniforme. Il s’agissait aussi de donner plus de poids aux accords d’entreprise – aux accords locaux – face aux normes nationales. Dès le printemps, ces objectifs définis par le pouvoir suscitaient de vives réserves voire une hostilité de la part de FO, et pour cause : celle-ci montre depuis toujours un attachement quasi-viscéral à la primauté de la loi sur la négociation collective et à celle de la négociation de branche sur les accords d’entreprise.
FO et les accords de branche
Aujourd’hui, les ordonnances issues de la concertation entre le pouvoir politique et les partenaires sociaux montrent un fait destiné à marquer les évolutions du dialogue social au sein des professions. Entre l’entreprise et le droit, la branche a beaucoup gagné en importance alors qu’elle avait été délaissée par la loi El Khomri. Le nombre de domaines où les accords d’entreprise ne pourront pas déroger aux accords de branche passe de six à onze, les nouveaux domaines concernant notamment la gestion et la qualité de l’emploi. Mais aussi, les contrats de travail à durée déterminée dont les conditions – nombre de renouvellements, durée, etc. – seront définies par les accords de branche et non plus par la loi comme c’était jusqu’alors le cas. Lorsque l’on sait que plus de 80% des embauches sont des CDD et que les ordonnances prévoient d’assouplir de façon importante l’usage et le recours des entreprises aux CDD, on mesure le poids des concessions faites aux branches, durant l’été.
Dans ce contexte, le compromis entre l’Etat et certains syndicats et surtout FO, apparaît clairement. Le pouvoir accepte de « lâcher du lest » sur l’autonomie accrue des accords d’entreprises mais dans le même temps il dessaisit le législateur de certaines de ses prérogatives au profit de la branche. L’idée de donner plus d’autonomie aux partenaires sociaux face à la loi est ainsi préservée et renforcée. De son côté, FO revient sur ses positions en faveur de la primauté (absolue) du droit sur les négociations collectives au profit d’une autonomie contractuelle et du pouvoir normatif des branches ce qui, par ailleurs, l’avantage indéniablement. En effet, son influence s’exerce surtout au sein des branches et moins dans les entreprises concernées par le Code du travail à cause d’une implantation locale beaucoup plus faible que celles de la CGT et de la CFDT. On comprend mieux dès lors les motifs qui ont conduit FO à ne pas s’associer à la CGT dans sa lutte contre la réforme.
En résumé, le nouveau Code du travail implique ainsi une transformation profonde du dialogue social et des relations professionnelles. Sur un plan plus immédiat, un constat et deux questions se font jour à propos du paysage syndical français. Le constat, c’est la situation actuelle de la CGT et son isolement. Le ralliement de Sud ou de la CGC sont loin de compenser même a minima, l’absence des troupes et des relais de FO dans les mobilisations collectives hostiles aux ordonnances. Ce constat est loin d’être anodin. N’assiste-t-on pas ici à la mise en cause de la stratégie du « syndicalisme rassemblé » que Louis Viannet et Bernard Thibaut avait mise en place à la fin des années 1990 en vue d’un objectif très clair : pallier (précisément) les risques de marginalisation de la centrale dus au déclin du PCF, un parti qui avait contribué à lui donner une réelle puissance idéologique et militante ? L’autre question concerne FO. Suite à ses évolutions récentes, le pôle réformiste est-il appelé à se renforcer considérablement, la défection éventuelle de la CGC étant dès lors largement compensée ? Bien sûr, il est encore trop tôt pour y répondre. Au niveau de certains territoires ou de certaines professions, des actions communes : CGT, FO voire CFDT sont en projet (fonctionnaires, routiers). Mais si par définition, les effets de ces initiatives sont limités, d’autres facteurs qui se jouent au niveau confédéral et donc politique peuvent entraîner des conséquences beaucoup plus importantes. Aujourd’hui, la succession de Jean-Claude Mailly et les débats qui traversent l’organisation de l’avenue du Maine suite aux événements de l’été, laissent ouvertes de multiples possibilités. En l’occurrence, FO est au « milieu gué ». Jusques à quand ? Et pour aller où ?
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