Les femmes sont-elles l’avenir de l’homme? edit

18 février 2022

L’enquête Louis-Harris pour l’Institut Montaigne[1] sur un échantillon représentatif de 8000 jeunes, complétés d’échantillons-miroirs de la génération des parents et des baby-boomers, livre un résultat paradoxal sur les femmes et les différences de genre.

En effet, les jeunes femmes pensent beaucoup plus souvent que les hommes que les différences de sexe sont des différences de genre, c’est-à-dire qu’elles sont avant tout de nature sociale. La question était posée ainsi dans l’enquête : « De laquelle de ces deux opinions vous sentez-vous le plus proche ? 1) les hommes et les femmes auront toujours des points de vue et des façons d’être différents du fait de leur sexe 2) toutes les différences entre hommes et femmes sont artificielles et uniquement produites par la société. »

Posée ainsi de façon dichotomique, la question force évidemment un peu la main des répondants. Sans doute une partie d’entre eux auraient aimé se situer à mi-chemin de ces deux assertions. Il ne faut donc certainement pas prendre de façon trop littérale le résultat, car il peut y avoir des nuances à l’intérieur du choix de chacune des réponses. Néanmoins, ayant ces précautions en tête, le résultat est assez parlant et divise les jeunes en deux groupes, l’un majoritaire (54%) qui penche pour la définition sociale du genre, l’autre minoritaire mais important (44%) qui penche pour la définition « naturaliste ». Mais surtout, il est frappant de voir les différences de réponses des hommes et des femmes, et plus encore l’évolution par sexe de ces choix d’une génération à l’autre (figure 1).

Figure 1. % d’accord avec l’idée « toutes les différences entre hommes et femmes sont artificielles et uniquement produites par la société ».

Les membres de la génération des parents, comme ceux de la génération des boomers, étaient nettement moins nombreux à choisir l’interprétation « genrée » des différences de sexe ; et les femmes l’étaient un peu moins que les hommes. Dans ces générations, elles étaient un peu plus « naturalistes » que les hommes. L’évolution dans la génération des 18-24 ans est spectaculaire mais ce sont surtout les femmes qui ont fait le chemin. Elles choisissent maintenant très largement (à 61%) la définition sociale des différences sexuées. Les garçons ont également évolué, mais nettement moins rapidement, ce qui fait que les différences à ce sujet entre hommes et femmes sont plus fortes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient dans les générations précédentes. C’est un premier paradoxe : les jeunes sont plus convaincus que leurs parents ou grands-parents que les différences entre hommes et femmes devraient s’effacer (puisqu’elles n’ont rien de naturel), mais cette conviction est moins partagée par les deux sexes qu’elle ne l’était autrefois. Mais ce n’est pas le seul sujet sur lequel les différences de sexe font de la résistance. En réalité, l’enquête montre que ces différences entre hommes et femmes sont un des clivages principaux qui divise la jeunesse.

Sur la plupart des questions sociétales et politiques explorées dans cette enquête, les femmes ont en effet plus évolué que les hommes comparativement aux générations précédentes[2]. Elles l’ont fait sur les questions de genre, sur l’écologie, sur l’ouverture de la société (l’idée que la société ne doit pas se fermer sur elle-même en taxant les importations, en arrêtant l’immigration, en sortant de l’UE etc.), sur la propension à protester via des manifestations, des pétitions ou l’utilisation des réseaux sociaux. Bref, par rapport à leurs devancières, les jeunes femmes sont devenues une force de changement de la société. Les jeunes hommes quant à eux se distinguent de ceux de la génération précédente (plus que ne le font les femmes) sur deux points : une plus grande tolérance pour la violence politique et un recul de l’attachement à la démocratie. Le clivage semble donc se creuser entre hommes et femmes.

Parmi les quatre groupes qui se dégagent de la typologie réalisée à partir de cette enquête, les femmes sont surreprésentées dans deux d’entre eux : les « révoltés » qui croient à la révolution, mais surtout le groupe le plus important numériquement (39%), ceux que nous avons appelé les « démocrates protestataires », des jeunes se sentant impliqués sur les questions sociétales, motivés pour protester afin de faire avancer leurs idées, mais attachés à la démocratie et répudiant la violence politique. Les hommes, quant à eux, sont surreprésentés parmi ceux que nous avons appelés les « désengagés », en retrait sur toutes les formes de participation à la vie sociale et politique, et parmi ceux que nous avons appelé les « intégrés transgressifs », un groupe assez paradoxal qui se caractérise effectivement par de nombreux signes d’intégration (en emploi, attachés à leur cadre de vie local, présents dans les associations), mais également par l’adhésion à une culture transgressive en tolérant nettement plus que d’autres les actes politiques violents et les comportements déviants.

D’une manière générale, les femmes condamnent plus souvent la violence (figure 2). C’est vrai pour la violence politique, et plus encore pour la violence privée et les incivilités (2e partie de la figure 2). Cette propension plus marquée des hommes à la violence n’est pas une découverte. Elle est bien connue, l’histoire, l’anthropologie et la psychologie en attestent. Dans une étude déjà ancienne sur les troubles à l’adolescence, l’épidémiologiste Marie Choquet remarquait que ces troubles se manifestaient chez les garçons par des comportements violents et chez les filles par des symptômes dépressifs[3]. S’agit-il d’une différence entre les sexes de nature sociale ou « naturaliste » ? La « douceur » féminine est-elle un cliché inculqué dès l’enfance aux petites-filles (tandis que les garçons jouent à la guerre), en les maintenant dans une position infériorisée dans la compétition sociale ? La grande majorité des jeunes femmes qui croient à la définition sociale du genre le pensent sans doute. Pour autant, elles n’ont pas perdu leur relative aversion pour la violence. On peut espérer néanmoins que, si cette différence sexuée d’attitude à l’égard de la violence est de nature sociale, la tendance ne soit pas en ce domaine à ce que le comportement des femmes se rapproche de celui des hommes, mais plutôt que la tendance soit inverse. Cependant, même s’il est difficile de démêler en ce domaine les effets d’âge des effets de génération, les résultats de notre enquête n’inclinent pas à l’optimisme : par rapport à leurs homologues des générations précédentes, jeunes hommes et jeunes femmes font preuve d’une plus grande tolérance à l’égard des comportements violents et cette tendance semble plus marquée encore chez les hommes que chez les femmes (figure 3).

Finalement, du point de vue de l’intégration et de la participation sociales, les femmes apparaissent aujourd’hui comme une force plus positive pour l’évolution de la société que ne le sont les hommes. Ces derniers ont plus tendance soit à se retirer du jeu démocratique, soit à le contester sous une forme transgressive et parfois violente. Les femmes, même si elles ne sont pas totalement imperméables à ces mêmes tendances, demeurent plus souvent des participantes du jeu démocratique. Mais elles le font surtout sous une forme contestataire et, malgré leur implication mentale, restent en retrait de la participation effective aux organisations sociales et politiques, comme si celles-ci ne leur convenaient pas. Elles demeurent une force largement inemployée. Faire en sorte que cette participation féminine, citoyenne et non violente, devienne véritablement effective sera un enjeu crucial pour les années à venir.

Figure 2. Les hommes les femmes et la violence (18-24 ans)
Source : enquête Louis-Harris Institut Montaigne 2021

Figure 3. Score moyen de tolérance à la violence politique

Lecture : ce score construit à partir de 11 questions sur la tolérance à l’égard de comportements politiques violents a été recalibré pour varier de 0 (tolérance nulle) à 10 (tolérance maximale)

 

[1] Institut Montaigne, Une jeunesse plurielle. Enquête auprès des 18-24 ans. Rapport, février 2022. Auteurs : Olivier Galland et Marc Lazar.

[2] Pour un développement plus complet sur cette question voir le rapport téléchargeable sur le site de l’Institut Montaigne, p. 121-125.

[3] Marie Choquet, Sylvie Ledoux, Les Adolescents. Enquête nationale, Paris, éditions de l’INSERM, 1994.