Réformer pour maîtriser les finances publiques et relancer l’UE edit
« Encore une fois, le déficit budgétaire sort des clous… » Dans un récent article, Charles Wyplosz dénonce l’incurie d’un gouvernement incapable de tenir son budget 2017 et ses engagements vis-à-vis de la Commission pour 2018 et au-delà. L’addiction à la dépense publique, l’incapacité à lever l’impôt nécessaire nourrissent ainsi une charge de la dette croissante, les déficits permanents et l’envolée du ratio dette/PIB, même dans un contexte de taux zéro. Ce constat marri pourrait être l’œuvre d’un faucon de l’équilibre budgétaire, d’un champion de la règle ; ce n’est pas le cas et c’est ce qui en fait tout l’intérêt, car Charles Wyplosz a souvent plaidé pour des politiques budgétaires plus expansives.
Dans son article, il développe une triple thèse et il faut lui reconnaître d’emblée une constance et une rigueur dans l’argumentation qui ne se sont jamais démenties depuis le début de la crise.
La première thèse est que le Pacte de stabilité et de croissance conçu et géré par l’UE ne marche pas et toutes les amodiations et ajouts (semestre européen, Two Pack, 6 Pack etc.) ne peuvent pas marcher pour des raisons économiques théoriques et pratiques et pour des raisons politiques fondamentales. Les raisons économiques tiennent à l’assignation classique des outils de politiques économique : à la politique monétaire la stabilité des prix, à la politique budgétaire la recherche d’un meilleur niveau d’activité et d’emploi. Or la politique monétaire ayant été fédéralisée, il faut laisser aux États l’outil budgétaire ne serait-ce que pour traiter les chocs asymétriques intervenant au niveau national. Charles Wyplosz constate que la France, pas plus que d’autres pays membres, ne s’est senti tenue par ses promesses, que la procédure de sanction n’a jamais été activée et que dès lors la règle inutile a vicié le débat économique sur l’intégration plus qu’elle ne l’a éclairé. De plus, aucune des conséquences néfastes annoncées du fait de ses manquements ne s’est matérialisée, aggravant ainsi les dysfonctionnements de l’édifice institutionnel de l’eurozone. Facteur aggravant, le rappel par l’UE des engagements pris dans le cadre des Traités de Maastricht, d’Amsterdam et du TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, également appelé Pacte budgétaire européen) ne pouvait qu’exaspérer des gouvernements et des parlements nationaux qui souffraient déjà d’une image d’impuissance et qui ne pouvaient que pester contre l’austérité importée.
La deuxième thèse est qu’à l’inverse, l’exercice budgétaire national doit être rigoureux, contrôlé et sanctionné au besoin. Pour cela il existe toute une série de modèles vertueux de hauts conseils de finances publiques indépendants, compétents, capables de livrer des évaluations et des recommandations et même de signaler les dérapages aux autorités compétentes, pour sanction. Or dans le cas de la France l’exercice a été raté : refus de la constitutionnalisation de la règle d’or, refus de l’indépendance du Haut Conseil des Finances Publiques, HCFP piloté par la Cour des Comptes, aux effectifs pléthoriques (9 membres) et à la compétence problématique… La Cour des Comptes est de fait réduite à un exercice rituel et formel qui n’embraye pas sur la réalité économique.
La troisième thèse est que le solde budgétaire n’est pas affaire de dogme, pas plus au niveau national qu’au sein de l’Union : il est affaire de circonstances, et la France ne doit pas accepter aujourd’hui plus qu’hier de se soumettre à un impératif de 3% de déficit ou de réduction annuelle et automatique du déficit structurel de 0,5%. Cette thèse a été épousée avec enthousiasme par les gouvernements successifs de François Hollande qui, comme le rappelle la Cour des Comptes, ont fait en moyenne progresser la dépense publique en volume de 0,9% par an alors même que l’austérité semblait régner, accru la dette publique à près de 100% du PIB alors que les frondeurs socialistes dénonçaient le démantèlement des services publics et de l’État social, et maintenu la France seule avec l’Espagne dans le cadre de la procédure pour déficit excessif instruite par la Commission européenne.
Si l’argumentation de Charles Wyplosz a le mérite de la constance et de la justesse dans le temps, on a du mal, en revanche, à comprendre les prescriptions de politique économique nationale et de reforme institutionnelle qui en découlent.
S’agissant des politiques d’austérité, le rapport de la Cour des Comptes montre combien la France a fait peu de cas des injonctions européennes ce qui condamne certes le Pacte de stabilité et de croissance mais fait justice de l’argument d’austérité importée… Mais comment fait-on pour gérer l’union si chacun n’en fait qu’à sa guise alors que la sanction peut atteindre l’ensemble de la zone euro ? À cette question Charles Wyplosz a souvent répondu que rien, dans la théorie et dans les études empiriques menées jusqu’ici, ne vient conforter la thèse allemande des retombées négatives pour l’eurozone des comportements contracycliques de pays membres. L’affirmation surprend pour au moins trois raisons. Nous ne disposons pas de la contre-factuelle puisqu’en pratique les pays membres de l’UE vivent avec la règle du Pacte de stabilité et de croissance et s’il y a transgression, elle est limitée et encadrée dans le temps. La deuxième raison est que si nous avons l’expérience de comportements déviants sur longue période ils ont été le cas de petits pays comme la Grèce ou le Portugal. Le non respect par la France de ses engagements a toujours été limité et contrôlé. La troisième, qui a été au cœur de la stratégie de François Hollande, est que si on peut déroger à une règle vitale pour l’Allemagne et qu’on a formellement acceptée, il ne s’en suit pas que l’Allemagne aurait accepté de vivre sans la règle et qu’elle resterait indifférente à une violation durable et publiquement assumée.
S’agissant du design institutionnel du HCFP et du refus de la règle d’or par Nicolas Sarkozy puis François Hollande, on a une illustration du refus du corps politique de se lier les mains et des limites de l’évaluation par la Cour des Comptes. D’où la question suivante : comment gère-t-on les institutions françaises pour que s’exerce la discipline nécessaire ? La vocation d’une autorité indépendante est d’affirmer son indépendance et de rechercher rapidement l’occasion d’un test de crédibilité ; comment concilier alors indépendance de l’autorité budgétaire et demande politique de discrétion décisionnelle ? Certes, les avis d’une commission resserrée d’économistes professionnels peuvent avoir plus de poids que l’avis de la Cour des Comptes. Mais en quoi cela règle-t-il les failles françaises ?
S’agissant enfin de la conduite de la politique économique de Macron après l’état des lieux établi par la Cour des Comptes, on croit comprendre que Charles Wyplosz est pour le gradualisme et contre un nouveau plan d’austérité. Mais notre performance en matière de politique contracyclique est médiocre. Nous avons critiqué avec Philippe Aghion et Gilbert Cette le biais politique nourri d’une vulgate keynesianisme qui alimente le toujours plus en matière de dépenses et de déficit. Charles Wyplosz se contente de déplorer les dérives anciennes sans proposer de solutions nouvelles.
Comment résoudre la double contradiction entre renationalisation des politiques budgétaires et engagements européens d’une part et entre dévolution à une autorité indépendante du cadrage de la politique budgétaire et de la demande de choix discrétionnaire par les politiques, d’autre part ?
Charles Wyplosz a raison : il faut rejeter la logique ultime de l’interventionnisme budgétaire européen qui est la prise en main directe par Bruxelles, parce qu’elle serait attentatoire à la souveraineté des parlements nationaux. Même si l’on admet que la conséquence logique d’un tel choix sera le retour d’une conception intransigeante de la clause de no bail out, et donc la régulation par le marché des conditions de financement des États, ce qui réintroduira à travers les spreads de taux une appréciation différenciée des politiques menées. L’Europe ne peut pas se désintéresser complètement des gestions nationales à cause du risque systémique pour l’Euro du dérapage d’un pays. En cas de difficulté d’un pays déviant par rapport à la norme budgétaire commune, le choix sera entre la sortie de l’euro, une intervention classique du FMI ou une intervention avec conditionnalité du Mécanisme européen de stabilité. Les difficultés actuelles du traitement de la dette grecque par l’UE et le FMI montrent que la solution n’est guère aisée à trouver. Libérer les gouvernements nationaux d’une tutelle européenne vécue comme déplacée dans un contexte récessif pour confier à une autorité budgétaire nationale, même parée de la compétence des économistes les plus reconnus, un pouvoir autrement plus directif du fait de la constitutionnalisation de la règle d’or n’est pas non plus une solution convaincante.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Emmanuel Macron et Edouard Philippe mettent leurs pas dans les traces de ceux de François Hollande, ce qui leur vaut une volée de bois vert de la part de Charles Wyplosz. À nouveau, au nom du respect de la règle sacro-sainte des 3% de déficit au sens de Maastricht, le gouvernement Philippe annonce quelques coupes dans les dépenses et surtout semble décider de différer les réformes fiscales qui devaient profiter aux entreprises et aux investisseurs mais aussi aux ménages modestes (report de la réforme du CICE, report de la flat tax sur les revenus du capital, étalement de la baisse de la taxe d’habitation, étalement de la baisse de l’IS…). Qu’y a-t-il à ce stade de répréhensible dans cette politique graduelle qui, de l’aveu même de Charles Wyplosz, peut correspondre à une stratégie de gestion dans le temps de la grande transformation annoncée (deux mandats) ?
Le gouvernement Macron-Philippe aurait tort de respecter la clause des 3% en 2017 et 2018 ? Mais c’est l’enjeu même de la crédibilité qui se joue. Croit-on un seul instant que si Emmanuel Macron décidait de s’en affranchir cela serait sans coût pour la France en Europe et pour ses tentatives de relancer l’Union économique et ouvrir la voie à une Europe de la Défense et de la Sécurité collective ? On peut certes s’étonner que le président de la République n’ait pas joué la carte Eurostat et plaidé pour une réforme technique du CICE sans incidence comptable sur le déficit. L’a-t-il fait sans succès ? Nul ne le sait. Mais le respect des 3% pendant deux ans permet à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif et donc de purger toutes les vilennies passées.
On sait par ailleurs qu’en 2019 et au-delà il sera difficile de redescendre en dessous de 3% alors que le programme fiscal commencera à coûter. Faudra-il alors casser la dynamique de croissance pour respecter l’orthodoxie maastrichienne ? Certainement pas, mais la France pourra de manière plus crédible proposer son trade off entre réformes qui coûtent à court terme mais qui améliorent le potentiel de croissance et économisent de la dépense à moyen et long terme. La Commission pourra alors juger du programme de réformes, de l’effet sur la croissance potentielle, des progrès réalisés dans la réduction du déficit structurel…
Cette dépense qui prépare l’avenir, c’est précisément l’objet du plan de 50 milliards d’euros dont Jean Pisani-Ferry a la charge. Charles Wyplosz raille ce plan au nom des défaillances répétées de « l’État stratège ». Il devrait pourtant se réjouir que l’idée d’un prix de la réforme, par lui défendue avec Jacques Delpla, soit reprise par Emmanuel Macron. On ne sait ce que sera ce plan sauf que sa vocation est de contribuer à élever la croissance potentielle, à payer pour la réforme et à mobiliser au maximum les capitaux privés pour verdir et numériser l’économie, dans le cadre d’une procédure qui reste à inventer.
En d’autres termes, la France n’a pas les moyens d’une controverse ouverte avec l’Allemagne, elle ne peut réclamer de nouveaux délais qui inmanquablement conduiraient à rouvrir le dossier des cinq dernières années, elle ne peut dénoncer unilatéralement le Pacte de stabilité et de croissance.
Pourquoi le trade off entre équilibre financier différé et promesse de réforme, stratégie qui a échoué tant de fois avec Nicolas Sarkozy et François Hollande, réussirait-il avec Emmanuel Macron ?
Trois raisons permettent d’être raisonnablement plus optimistes.
D’abord c’est le moment. La situation présente est caractérisée par le sentiment partagé d’une montée des menaces à l’Est et à l’Ouest, d’une panne de la construction européenne après une crise de 10 ans où l’UE a cherché à éviter le pire et par une conjonction de facteurs favorables qui tiennent à la conjoncture économique, à la défaite provisoire des populismes et à l’arrivée de dirigeants plus déterminés à jouer la carte européenne. Passées les élections allemandes, la France pourra reprendre l’initiative sur différents fronts ; les propositions abondent et il ne faudra pas gâcher cette opportunité. En s’engagent à respecter la norme des 3% sans prendre des mesures d’austérité Emmanuel Macron maintient ouverte l’option d’un renouveau européen.
Ensuite l’homme aux manettes, Emmanuel Macron, est convaincu de la nécessité de cette démarche là où François Hollande cherchait à repousser les échéances des ajustements budgétaires plus qu’à engager des réformes structurelles significatives.
Enfin la stratégie adoptée qui cède sur ce qui est le plus aisé à savoir atteindre l’objectif des 3% en 2017 et 2018 pour tenter un « reset » dans le couple franco-allemand avec le déblocage de l’Union bancaire, la percée dans l’Europe de la Défense ou la réforme des directives sur les travailleurs détachés, les investissements étrangers en Europe ou la commande publique – cette stratégie mérite d’être tentée.
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