Ordonnances travail: un grand pas dans la bonne direction edit

19 septembre 2017

Les ordonnances visant à réformer le droit du travail, donc le marché du travail, correspondent aux orientations qui avaient été évoquées durant la campagne présidentielle et dans les discussions des derniers mois.

La philosophie de cette réforme est fondée en premier sur la promotion du dialogue social via l’élargissement de l’espace décisionnel accordé aux partenaires sociaux par la voie des accords majoritaires. Ce n’est pas sans plaisir que nous y retrouvons sur de très nombreux points les analyses et propositions que nous avons portées dans de nombreux écrits. Parler de « casse du code du travail », comme certains le font, témoigne dans le meilleur des cas d’incompétence, ou d’une volonté de désinformation de l’opinion publique. En effet, les normes légales ne sont pas écartées ; elle deviennent simplement supplétives de celles conventionnelles. Les acteurs aux extrêmes de l’éventail politique, de gauche ou de droite, rompus à ces pratiques de désinformation, se rejoignent d’ailleurs dans leurs critiques.

Un bouleversement dans les rapports entre les normes

Le premier changement fondamental est relatif à ce qui est souvent nommé à tort « l’inversion de la hiérarchie des normes ». Est simplement organisée la faculté pour les partenaires sociaux, qui deviennent les principaux acteurs de la construction du droit applicable, d’élaborer des normes via des conventions et accords collectifs majoritaires, dont l’autonomie est de ce fait affirmée à l’égard de la loi, sauf pour ce qui concerne les principes. Dans le tissu conventionnel et dans la même logique est organisée la primauté de l’accord d’entreprise, sauf pour ce qui, au niveau de la branche, relève de l’ordre public professionnel et auquel on ne peut déroger mais aussi de ce à quoi la convention de branche interdit que l’accord d’entreprise puisse déroger en moins favorable[1]. Le vecteur du changement est donc la négociation collective, d’où l’importance de la validité des accords subordonnés à l’audience majoritaire de ceux qui le signent, c'est-à-dire leur capacité à représenter la majorité du personnel qui indirectement, de ce fait, donne son accord. Comme nous l’avons souvent exprimé, une telle responsabilisation des partenaires sociaux permet d’associer simultanément dans le changement une amélioration de la performance économique (garantie par la signature du chef d’entreprise) avec une meilleure protection des travailleurs (garantie par la signature des représentants des travailleurs, légitimés par les résultats des élections professionnelles).

L’articulation entre les deux niveaux de conventions, branche et entreprise, a donné lieu à de nombreux débats polémiques. Certains syndicats de salariés, peu présents au niveau des entreprises, valorisent le rôle de la branche, évoquant le risque d’une information incomplète ou biaisée des représentants syndicaux et des salariés et celui d’accords inspirés par des stratégies de « dumping social » si la négociation prospère prioritairement au niveau de l’entreprise. D’autres valorisent surtout le rôle des acteurs de terrain et donc le niveau entreprises avec la volonté de favoriser le dialogue social de l’entreprise et une meilleure prise en compte de l’intérêt de la collectivité de travail par l’accroissement de la démocratie sociale. Par ailleurs, des travaux indiquent que la négociation de branche, généralement conduite par des acteurs venant de grandes entreprises, peut aboutir à des normes bridant la concurrence et la création de nouvelles entreprises. Cet argument, non sans fondement, est excessif, ce dont atteste la réalité de la négociation collective. Il a cependant été mobilisé dans une véritable croisade contre les procédures d’extension et d’élargissement. La portée de ces régimes a opportunément été réduite par l’introduction dans la quatrième ordonnance de la consultation d’un groupe d’experts ayant en charge d’examiner l’impact du tissu conventionnel nouveau sur la libre concurrence. Certaines organisations patronales se sont illustrées par un positionnement aux contradictions opportunistes, valorisant le niveau entreprises tout en y refusant la promotion d’une présence syndicale, en particulier dans les PME. Or, seul l’accord collectif, parce qu’il est un contrat, a l’autorité pour rendre supplétive la norme de niveau supérieur sans affecter la fonction protectrice du droit du travail.

La première ordonnance peut laisser penser que les partisans de la primauté du niveau branche ont obtenu une victoire. En effet, la liste des domaines dans lesquels ce niveau prime systématiquement est longue. Et s’y ajoutent d’autres domaines dans lesquels les branches peuvent décider de brider les initiatives de la négociation d’entreprise. Toutefois, il est prévu que, pour être étendues, les conventions de branche doivent inclure des stipulations spécifiques aux entreprises de moins de 50 salariés. Ensuite, et surtout, l’ordonnance 4, la plus courte, précise que, de sa propre initiative ou à la demande d’un partenaire social représentatif dans la branche concernée, le ministre peut saisir un groupe d’experts pour apprécier les effets d’une éventuelle extension ou d’un élargissement. La concrétisation de cette articulation entre les niveaux branche et entreprise est donc à venir. Enfin, le ministre pourra ne pas étendre des conventions de branches sur la base des arguments de ce groupe d’experts…

Le succès de cette transformation profonde du droit du travail dépend, eu égard au rôle accru du tissu conventionnel, de la volonté des employeurs et des syndicats de développer une authentique politique contractuelle qui permet l’adaptation des normes à chaque contexte, ce qui est facteur de productivité mais qui réduit le pouvoir de direction au nom de l’intérêt de l’entreprise.

Réduire les incertitudes contentieuses et simplifier les IRP

L’autre objectif poursuivi, spécialement au nom de l’emploi, est de réduire les incertitudes dans le cadre des contentieux afin d’abaisser le volume et l’intensité des appréhensions pouvant brider l’emploi. Nous n’en évoquons ici que quelques-unes. Tout d’abord, le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un tel plafonnement, qui existe dans de très nombreux pays, ne s’appliquera pas en cas d’atteinte à des libertés fondamentales, donc de discrimination ou de harcèlement. Il faut associer à cette mesure la volonté de faire jouer un rôle décisif à la conciliation prud’homale qui n’est, pour la plupart des juges, que du formalisme. Ceci est d’autant plus important que le règlement d’un litige par les parties elles-mêmes les satisfait plus que celui résultant d’une décision d’un juge tiers. Ensuite, en cas de licenciement économique, le périmètre sur lequel seront appréciées les difficultés économiques de l’entreprise devient national. L’obligation de proposer, dans le plan de sauvegarde de l’emploi, des reclassements sur l’ensemble des sites de l’entreprise induit, si l’entreprise a une activité mondiale, que l’on propose des emplois en dehors de la France, ce qui est perçu comme insultant par nombre de salariés. Réduire le périmètre à la France est donc une bonne chose mais il a fallu écarter l’hypothèse de stratégie des groupes visant à paupériser l’activité nationale. Par ailleurs, le refus de l’application d’un accord sera en lui-même une cause réelle et sérieuse de licenciement sans motif économique. Ce changement correspond d’ailleurs à une préconisation que nous avions faite suite au manque de succès des Accords de Maintien de l’Emploi (AME) instaurés en 2013. Enfin, le délai de prescription pour une démarche contentieuse est réduit de deux à un an, ce qui rapproche la France de la situation d’autres pays.

Un dernier important domaine de réforme est celui de la fusion de trois institutions représentatives du personnel (IRP), les délégués du personnel (DP), le Comité d’entreprise (CE) et le Comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) dans une nouvelle institution, le Comité social et économique (CSE). Par accord collectif, on pourra aller plus loin en intégrant les délégués syndicaux et en confiant de ce fait à cette institution unique la qualité de Conseil d’entreprise lui permettant de négocier les accords collectif. Il eût été souhaitable de sortir alors l’employeur dont la présidence du comité devient anachronique. Deux éléments sont à souligner. D’une part, la multiplicité actuelle des IRP n’est en rien garante d’une meilleure protection des salariés, bien au contraire, et la fusion envisagée va dans le sens d’une recherche d’efficacité sans préjudice en termes de protection. Surtout, cela donne des capacités plus grandes à l’épanouissement du dialogue social en conférant plus de consistance à la collectivité de travail.

Prolonger les réformes et développer le dialogue social

Cette réforme va dans la bonne direction. Elle renforce la protection des travailleurs en favorisant l’expression du droit constitutionnel des travailleurs à la négociation de leurs conditions de travail par l’intermédiaire de leurs délégués. Mais elle ne suffira pas à remettre la France dans la voie du plein-emploi. À cet effet, d’autres réformes sont indispensables, concernant également le fonctionnement du marché du travail (réforme des Prud’hommes, de la formation professionnelle, de l’assurance chômage…), le marché des biens (réforme des professions réglementées…), la fiscalité (réforme de l’imposition du capital, incitations à l’investissement et à l’innovation…), l’Etat (réforme de l’enseignement…). Mais elle contribuera déjà à l’amélioration de la situation de l’économie française. Elle a été menée rapidement car ses effets sur le marché du travail prendront du temps à se concrétiser, et le président ne peut souhaiter devenir le Gerhardt Shroeder français, engageant tardivement des réformes au prix d’un échec électoral. Le recours aux ordonnances a, comme lors de ses précédentes mobilisations par des gouvernements de droite comme de gauche, montré son efficacité. La même efficacité devra être recherchée dans les autres domaines de réforme, d’autant que, contrairement à ce qui est souvent exprimé, cela n’altère en rien les pouvoirs du Parlement qui aura à ratifier les ordonnances pour qu’elles acquièrent valeur législative après que son intervention a été nécessaire pour autoriser le gouvernement à choisir cette voie, plus rapide mais surtout indispensable eu égard à la technicité requise au vu d’un tel support.

Pour autant, le principal syndicat réformiste en France s’est déclaré déçu d’une ambition insuffisante, concernant par exemple le dialogue social dans les PME mais aussi la présence de salariés dans les conseils d’administration. Cette réaction doit être entendue. Le succès de cette transformation de notre droit social passe par son acceptation par des organisations – patronales et représentatives de salariés – convaincues que l’immobilisme ne peut qu’être dévastateur, notamment en matière d’emplois. Et qu’il est suicidaire de donner encore plus de volume au droit légal. Il est encore temps de rechercher le consensus le plus large au sein des forces réformatrices, pour porter cette réforme dans l’opinion mais aussi ensuite dans sa mise en œuvre concrète sur le terrain économique et social.

 

[1]     Plus précisément, est ainsi organisée la supplétivité de la norme légale par rapport à la norme conventionnelle, et de l’accord de branche par rapport à l’accord d’entreprise.