Brexit, IDE et stratégie industrielle edit
Les variations sur le Brexit, hard ou soft, en cliff edge ou avec phase transitoire, n’éclairent guère sur l’avenir immédiat, d’autant qu’aux considérations techniques sur les modalités de la sortie s’ajoute une incertitude politique majeure sur le soutien conservateur au gouvernement May. Les échos qui parviennent de Bruxelles ajoutent à la confusion car les Britanniques semblent vouloir changer la règle du jeu de la négociation alors qu’ils n’ont guère d’atouts en main et que le compte à rebours est inexorable.
Il est rare qu’avec une issue aussi proche, des positions aussi contradictoires coexistent. Pour Charles Grant, les contours de l’accord final sont déjà sur la table et de surcroît bénéficient d’un soutien majoritaire à Westminster : accord sur une période de transition de trois ans, maintien de la libre circulation pendant la période transitoire, accord sur le rôle maintenu de la CJE, accord sur un chèque global de 60 milliards d’euros répartis entre versements au budget et somme forfaitaire sur le reste à liquider, accord sur l’absence de frontière physique en Irlande du Nord… Certains comme Anatole Kaletski en viennent même à envisager une période transitoire qui s’éternise et qui reviendrait de fait à une solution norvégienne où le Royaume-Uni (RU) se comporterait comme membre mais sans avoir son mot à dire sur la fabrication des normes. A l’inverse, pour Wolfgang Munchau, le No Exit est une illusion coupable qui prépare un Brexit dur car les problèmes de fond de l’accord commercial n’auront pas été traités avant la fin de la négociation. L’exit du Brexit est à ses yeux impossible compte tenu des règles communautaires, et une ré-adhésion au titre de l’Article 49 serait humiliante et coûteuse car le RU devrait renoncer aux opt-out et au chèque de rabais.
Le débat se poursuit donc dans une opacité maintenue, notamment du fait du gouvernement britannique qui se refuse à publier les études réalisées par le Trésor sur les effets sectoriels du Brexit. Nombre d’économistes s’essaient malgré tout à des scénarios prospectifs sur la dynamique des échanges et sur l’évolution de l’activité tant au RU que dans l’UE.
De la dérèglementation à l’afflux des IDE
Une étude de la Fabrique de l’industrie essaie de mesurer plus spécifiquement l’impact d’un éventuel ralentissement du flux des investissements étrangers (IDE) au RU sur son activité industrielle. Cette étude adopte une double perspective historique et comparative. Historique, en ce qu’elle établit le rôle central des IDE dans la transformation de la spécialisation britannique après l’avènement de Margaret Thatcher. Comparative, en ce qu’elle met en parallèle deux stratégies contrastées, la britannique et la française, pour en apprécier les résultats différenciés.
Déréglementation, libéralisation du marché du travail, privatisation, baisse des impôts et de la dépense publique, ouverture complète aux investisseurs étrangers, baisse des aides publiques, big bang de la place de Londres… ces décisions eurent un effet radical sur une industrie sclérosée, sur un Etat capturé et inefficace et un système de relations sociales paralysé. En quelques années la production industrielle allait connaître une forte contraction, et les hauteurs du capitalisme britannique passer sous contrôle étranger (Land Rover, British Steel, Jaguar…) tandis que l’industrie financière connaissait une croissance exponentielle.
Le résultat fut à la mesure des politiques menées. La désindustrialisation du Royaume-Uni fut plus rapide que celle de ses concurrents : entre 1970 et 2015 la part de l’industrie dans le PIB passa de 25% à 8,7% tandis qu’en France elle passa de 20 à 10%. La part de l’emploi manufacturier dans l’emploi total régressa de 15,5% à 8% pour une chute de 14,8 à 9,7% en France. La part de la finance dans l’économie britannique augmenta fortement : en 2016 elle contribuait à 6,5% du PIB contre 4% en France et 3,7% en Allemagne. Le RU confirma son rôle de destination préférée des IDE : 11,2% du PIB en 1980 et 51,3% en 2016 contre respectivement 3,9% et 34% pour l’Allemagne et 4,5% et 32,2% pour la France.
La politique inaugurée par Mrs Thatcher et l’afflux des IDE eurent un triple effet sur la spécialisation industrielle britannique. Dans un premier temps il se produisit une restructuration brutale avec des pertes d’activités, des fermetures de sites et un effondrement du solde marchand du commerce extérieur. Dans un deuxième temps, à la faveur des réinvestissements, des politiques de R&D et des partenariats européens, on assista à une spécialisation marquée dans l’aéronautique et la pharmacie. Enfin, plus près de nous, la réinvention d’une politique industrielle en appui aux investissements étrangers a fait redécoller l’automobile.
Les successeurs de Margaret Thatcher ont progressivement infléchi sa politique en redécouvrant l’industrie, notamment après la crise de 2007, en développant l’attractivité des territoires britanniques pour les investisseurs extérieurs et en prenant conscience du déficit de productivité et de la faiblesse des qualifications de la force de travail. Sans rien abandonner de leurs politiques de déréglementation, de libéralisation, de formation et de promotion des PME, ils vont ajouter un troisième volet dans l’organisation territoriale en faisant des autorités locales les architectes de politiques intégrées d’attractivité.
Les exemples de l’écosystème industriel des West Midlands et plus généralement la renaissance de l’industrie automobile britannique illustrent le succès d’une stratégie combinant ouverture aux IDE, mobilisation des territoires et accompagnement de l’État en matière de R&D, de financement des PME et de fiscalité (régime favorable aux brevets et baisse de l’IS).
En 2016 le RU semble avoir inversé la dynamique de la désindustrialisation, à la différence de la France. Alors que la France protégeait les champions nationaux, surtaxait le cycle productif, et resserrait l’étreinte réglementaire conduisant les industriels nationaux à chercher hors de France leur croissance, le RU faisait l’inverse avec succès.
En quelques années une industrie agonisante, l’automobile, a pu se réinventer, en favorisant l’implantation d’entreprises étrangères technologiquement avancées, en développant la R&D dans le cadre de partenariats avec les universités, en incitant à l’implantation locale d’équipementiers, en formant le personnel. Résultat : le Royaume-Uni a dépassé la France en matière de production locale ; cette production est montée en gamme, ce que n’a pas réussi l’industrie française ; elle est fortement exportatrice, et elle héberge sur son sol l’usine européenne la plus productive (Sunderland de Nissan).
Réinventer un modèle économique
Spécialisation dans la finance, activité industrielle duale avec un secteur haut de gamme limité et une industrie globalement en décrochage ; quelques exemples d’écosystèmes régionaux intégrés mais sur fond de déclin accéléré des vieilles régions industrielles ; un niveau global de productivité faible, une industrie automobile détenue par des investisseurs étrangers et tournée vers l’export ; un commerce extérieur marchand fortement déficitaire que l’excédent de services ne parvient pas à corriger : telles sont les données au moment où les Britanniques s’apprêtent à sauter dans le Brexit.
Sitôt le choix du Brexit fait, la question de l’avenir de l’industrie financière britannique s’est posée. La question du passeport européen a tout de suite été au cœur des scenarii de sortie. Depuis des annonces de redéploiement des moyens des grandes institutions financières mondiales entre Londres et une capitale européenne continentale se font quotidiennement. La question du partage des compétences, des métiers voire des modalités d’une division du travail factice (opérations back to back) nourrit l’actualité quotidienne.
Peu de temps après la question de la présence durable sur son sol des grandes firmes automobiles comme Renault-Nissan ou Peugeot-GM s’est posée. L’insertion des usines britanniques dans les chaînes de valeur européennes, les investissements stratégiques à faire dans le véhicule électrique ont posé d’emblée la question des surcoûts douaniers et réglementaires éventuels liés au Brexit. Mme May a pris l’engagement formel, quoique non public, de compenser d’éventuels surcoûts.
Quelques mois plus tard, ce sont les agriculteurs britanniques qui se plaignaient de la main d’œuvre saisonnière perdue qui leur fait craindre une perte de production de fruits et légumes. Depuis la chronique des difficultés de recrutement d’ingénieurs et de cadres compétents du fait des restrictions au séjour pour les Européens ne cesse de gonfler.
Le Royaume-Uni se trouve donc confronté à de redoutables problèmes. Le modèle IDE + déréglementation + dévolution ne peut plus fonctionner. Sauf à adopter un scénario norvégien bien improbable, le RU sortira du marché commun et de l’union douanière, et perdra de ce fait une grande partie de son attractivité.
La perte du passeport européen n’aura pas seulement des effets sur l’industrie financière mais plus généralement sur les IDE.
La question lancinante de la faible productivité et de la médiocre formation de la force de travail britannique est là pour durer. Seul le recours à la main d’œuvre étrangère a pu pallier la difficulté. En se fermant à la migration, le RU se tire une balle dans le pied.
Pour rebondir, le Royaume-Uni doit inventer un nouveau modèle économique, aussi audacieux que celui initié par Margaret Thatcher en 1979, ce qui ne se fait pas en quelques mois.
L’industrie financière devrait monter en gamme, être championne des Fintech. La nouvelle spécialisation industrielle doit s’appuyer sur les nouvelles technologies du vivant, des matériaux, du numérique… Le RU dispose certes d’un outil de financement des start-up performant, de pôles scientifiques majeurs comme celui de Cambridge, et Londres attire déjà les champions du numérique pour leurs applications avancées.
Mais dans tous ces domaines, la rivalité est très grande et le handicap du capital humain, majeur.
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