L’apprentissage de la Ve République edit
Les commentateurs ont clamé à l’unisson la défaite du président Macron et la catastrophe d’une absence de majorité absolue dans la nouvelle assemblée. Mais le résultat des élections est-il vraiment un coup de tonnerre? Non, et ceci pour deux raisons. La première est que le résultat n’a rien de surprenant au regard des législatives passées. La seconde raison est que, même si nous l’avions oublié, la Ve République est un régime parlementaire.
Nous nous étions certes habitués à ce que, depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en 2000, le président élu remporte une telle majorité. Ce fut effectivement le cas en 2002, 2007, 2012 et 2017. Plus largement, le scrutin majoritaire à deux tours avait été instauré pour donner au président une majorité, lui permettant ainsi de gouverner en pouvant compter sur le soutien systématique, ou presque, de l’Assemblée nationale.
L’échec d’Emmanuel Macron à retrouver sa majorité absolue introduit en effet une césure importante dans l’histoire de la Ve République puisque ce cas ne s’était produit qu’une seule fois, en 1988. Mais il ne manquait alors que 14 sièges au gouvernement de Michel Rocard, tandis qu’il en manquera 44 au gouvernement qui va être nommé. Tout réel qu’il soit, cet échec est cependant relatif.
Qui a gagné les élections?
Commençons par une évidence : les élections législatives n’ont pas inversé l’élection présidentielle. La coalition Ensemble pour la majorité présidentielle a remporté les élections. Elle n’est pas battue, puisqu’elle possède une large majorité relative de 245 sièges soit 42,4% de l’ensemble (tableau). Un tel résultat réjouirait n’importe quel parti dans les autres pays européens.
Certes, au regard de l’histoire de la Ve on peut considérer que l’absence de majorité absolue est un échec. Mais la nouveauté est d’abord dans la situation : c’est la toute première fois qu’un président réélu, et disposant avant sa réélection d’une majorité absolue au Parlement, affronte de nouvelles élections législatives.
Les législatives qui avaient suivi la réélection de François Mitterrand en 1988 étaient en effet marquées par un tout autre contexte : en 1988, l’Assemblée sortante était à droite. Depuis 1981 aucune majorité sortante n’a été reconduite, même de manière relative.
La seule exception serait en 2007, quand la droite avait conservé sa majorité absolue à l’Assemblée. Mais la présidentielle avait vu l’élection d’un nouveau président, Nicolas Sarkozy, et en outre celui-ci avait fait campagne sur la rupture.
La situation politique inédite, c’est donc celle dans laquelle se sont tenues les élections, avant leur résultat. Et si Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée, la coalition présidentielle formera bien le prochain gouvernement. Le président ne sera donc pas obligé d’appeler au téléphone Jean-Luc Mélenchon !
Tableau. Evolution des groupes ou coalitions de groupes à l’Assemblée nationale entre 2017 et 2022
Un renouveau institutionnel
Le pays est-il devenu soudain ingouvernable ? Là encore, la sidération mêlée de panique qui semble avoir frappé les commentateurs ne manque pas d’étonner. Car on peut à bon droit juger que la question la plus brûlante, depuis plusieurs années, est celle de la représentation. Et que ces élections rouvrent un jeu qui était dangereusement fermé. Nous avons suffisamment appelé, sur Telos, à l’introduction d’une part de proportionnelle pour saluer ce qui se joue aujourd’hui.
L’élection présidentielle avait été marquée par la formation d’une tripolarisation Macron-Le Pen-Mélenchon. Le premier tour des élections législatives avait traduit cette transformation dans les suffrages exprimés, tout en marquant une remontée de LR. Le second tour des législatives a reproduit au niveau des sièges cette évolution vers la tripolarisation, le Rassemblement national dépassant pour la première fois une droite modérée qui cependant a beaucoup mieux résisté que prévu. La décision de LR en matière de stratégie pour ce second quinquennat sera décisive pour le fonctionnement des institutions.
Les résultats de ces élections législatives nous rappellent que la Ve République est un régime parlementaire. Le président doit disposer d’une majorité pour gouverner. Si son parti n’a pas la majorité absolue, il doit la trouver. C’est ce que fit le gouvernement de Michel Rocard en 1988 et c’est ce que devra faire celui d’Elisabeth Borne. Est-ce la catastrophe annoncée par des commentateurs qui se sont habitués à la Ve présidentialiste ? Certes ces élections vont modifier profondément le fonctionnement de nos institutions. Est-ce un mal pour le pays ? Cela est loin d’être évident.
Nous avons en effet assisté depuis plusieurs années à une crise de plus en plus grave de la représentation. Effondrement de la participation aux élections législatives, malaise social qui s’est traduit pas le mouvement des Gilets jaunes, montée de la critique du fonctionnement des institutions, crise du parlementarisme, difficultés grandissantes d’un exercice vertical du pouvoir, difficultés à réaliser les réformes nécessaires, innovations pas toujours concluantes de démocratie participative. Ne vaudrait-il pas mieux que les oppositions s’expriment au Parlement plutôt que dans la rue et que des compromis puissent y être recherchés ? Ne faut-il pas réhabituer les représentants à travailler ensemble à réformer le pays ? Certes, la tâche sera ardue tant la tripolarisation politique s’articule sur des formations qui sont en complète opposition les unes avec les autres. Mais de toutes manières le temps de la Ve présidentialiste semble être passé. Il nous faut donc travailler autrement. Il sera plus difficile de faire des lois, mais au moins seront-elles moins nombreuses et plus sérieusement discutées, ce qui ne sera pas un mal.
Un apprentissage à poursuivre
Dans la logique de ces évolutions majeures, il faudra reprendre sérieusement le débat sur le changement du mode de scrutin législatif afin d’améliorer encore la représentation des diverses tendances. D’une certaine manière, la répartition des voix et des sièges à ces élections nous y invite. Le mode de scrutin actuel, qui a pour but de produire une bipolarisation, a montré son inadaptation à la configuration actuelle des forces politiques. Une proportionnelle, avec une prime majoritaire éventuellement, serait probablement la meilleure solution. Elle nous rapprocherait de nos partenaires européens qui dans la plupart des pays pratiquent ce mode de scrutin, et dont les gouvernements ne sont pas moins capables de gouverner.
On ajoutera ici une proposition simple à mettre en œuvre, et qui pourrait nous aider, collectivement, à poursuivre notre apprentissage. Pour ré-intéresser les citoyens aux élections législatives, ne faudrait-il pas également opérer la simultanéité du premier tour de l’élection présidentielle et des élections législatives ? Une telle modification aurait deux avantages : favoriser la participation électorale et supprimer l’aberration, évidente aujourd’hui, qui consiste à former le gouvernement à la veille et non pas au lendemain de ces élections, ce qui permettrait d’être en cohérence avec la re-parlementarisation du régime.
La crise du fonctionnement de la Ve République telle que le voulait son fondateur n’est peut-être pas la catastrophe que certains commentateurs perçoivent. Le texte de la Constitution permet une grande souplesse dans sa pratique. Il est temps de la mettre à nouveau à profit.
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