Le pari perdu d’Emmanuel Macron edit
Emmanuel Macron est arrivé sur la scène politique dans une situation où le Parti socialiste au pouvoir était engagé dans un processus d’autodestruction tandis la droite était gravement divisée et sans véritable leader. Le mécanisme de l’alternance gauche/droite qui fonctionnait depuis 1981 s’était grippé. Le projet politique développé par Macron dans son ouvrage Révolution et exposé dans sa campagne de 2017 était double : d’une part créer un espace électoral suffisamment large pour mettre fin à l’alternance gauche/droite (ni gauche ni droite) et d’autre part restaurer le pouvoir présidentiel (verticalité) dans une vision gaullienne. Les élections présidentielle et législatives de 2017 ont montré qu’il existait effectivement un électorat favorable au « ni gauche ni droite » pourvu qu’un leader neuf, de talent et déterminé incarne un tel projet. L’élection d’Emmanuel Macron et son obtention d’une majorité absolue à l’Assemblée ont prouvé que son calcul était exact. Les deux partis de gouvernement, déjà fort affaiblis, furent les victimes de ce réalignement. Pourtant, sept ans plus tard, ce projet s’est effondré. Au premier tour des législatives le Rassemblement national est arrivé en tête avec 33%, suivi de l’union de la gauche avec 28%, la majorité sortante arrivant en troisième position avec 21%. L’enjeu du second tour est simple : le Rassemblement national obtiendra-t-il ou non la majorité absolue à l’Assemblée. Comment expliquer un tel échec ?
Les raisons en sont nombreuses et il n’est pas possible de les examiner ici de manière détaillée. Je me limiterai à celle qui me semble la plus déterminante, son antiparlementarisme.
La relecture de son ouvrage Révolution et de son article paru dans le 1Hebdo du 8 juillet 2015, alors qu’il était encore ministre de François Hollande, fournit les éléments principaux de sa vision. Son imaginaire politique apparaît clairement monarchiste. Dans l’article cité, il écrit : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi. […] On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. » Se référant au Général, c’était donc désormais au nouveau président de remplir cet espace.
Pour y parvenir, il estimait qu’il lui fallait non pas intégrer la classe politique mais la combattre. Il écrit ainsi dans Révolution : « J’ai décidé de ne payer aucun tribut à un système politique qui ne m’a véritablement jamais reconnu pour l’un des siens. Si j’ai décidé de défier les règles de la vie politique, c’est que je ne les ai jamais acceptées. C’est bien mon ambition de m’adresser directement à mes concitoyens. La classe politique et médiatique forme un peuple de somnambules qui ne veut pas voir venir ce qui monte. »
Cette critique de la classe politique s’accompagnait logiquement chez lui d’une condamnation des partis politiques. « Notre République, écrit-il, se trouve aujourd’hui prise dans les rets des jeux d’appareil. Nos partis sont morts de ne plus s’être confrontés au réel, mais ils voudraient s’emparer de la principale élection pour perdurer. » Selon lui, ces partis étaient « responsables des dysfonctionnements de l’activité parlementaire ».
Sa critique du parlementarisme s’exprime très clairement dans la reprise à son compte de l’objectif traditionnel des antiparlementaires, par exemple quand il parle de lutter contre « le bavardage législatif ».
Pour mener à bien son projet, point n’est donc besoin de partis politiques, ni de coalitions parlementaires. C’est le président qui doit réunir autour de lui la majorité des Français. Sa référence à de Gaulle oublie cependant que si celui-ci détestait les partis, il a laissé les siens organiser un grand parti et son Premier ministre, Georges Pompidou, le développer et organiser des coalitions électorales et parlementaires.
Sa double victoire, présidentielle et législative, de 2017 a convaincu Emmanuel Macron de la justesse de sa vision. Il n’a jamais paru réellement intéressé à créer un grand parti ni à nouer des alliances partisanes. Après sa réélection, les élections législatives de 2022, malgré la perte de la majorité absolue aux législatives de 2022, ne l’ont pas poussé à changer de position même si, dans les derniers temps, il a tenté de nouer des liens avec le parti les Républicains.
Certes, ni le PS ni LR n’étaient intéressés au départ par un rapprochement avec la majorité. Cependant, sincèrement décidé à arrêter la montée de l’extrême-droite, c’était d’abord à lui à prendre des initiatives. Il aurait pu, aussi, chercher à comprendre les raisons de l’échec du général au référendum de 1969. Estimant que seule importait à ses yeux sa propre légitimité, de Gaulle organisa ce référendum alors qu’à la suite de la dissolution de l’Assemblée les élections législatives de l’année précédente lui avaient cependant donné une majorité absolue. Le non l’ayant emporté, il quitta volontairement le pouvoir.
En dissolvant l’Assemblée alors qu’il venait de perdre les élections européennes, Emmanuel Macron a envoyé ses députés au combat dans les pires conditions, sans préparation, sans alliances et avec un mode de scrutin majoritaire qui favorise désormais le Rassemblement national, montrant ainsi, une fois encore, qu’il entendait piloter seul son navire. Triste ironie de l’histoire, alors que son projet était de mettre fin au clivage gauche/droite, c’est ce clivage qui va organiser le second tour dimanche prochain. Et, quelle que soit la configuration du futur Parlement, que restera-t-il du pouvoir présidentiel qu'Emmanuel Macron entendait restaurer ?
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