Les Français et l’Europe cinq mois avant les élections edit
Les prochaines élections européennes vont être une nouvelle occasion de mesurer l’intérêt des Français pour l’Europe et d’identifier les clivages politiques qui les divisent sur l’enjeu européen. Aux élections de 2019, 50,3% des électeurs inscrits avaient pris part au vote. Cette fois-ci, l’intérêt des électeurs pour ces élections est de 47% d’après la récente enquête d’ELABE[1]. On peut donc l’hypothèse qu’environ la moitié des Français iront voter le 6 juin.
Quelle part l’enjeu européen aura-t-il dans leurs motivations de vote ? Le tableau 1 A montre que, parmi ceux qui ont l’intention de voter, seule une minorité d’environ un tiers veulent d’abord exprimer leur opinion à l’égard de l’Union européenne elle-même, soit positive (18%), soit négative (16%).
Tableau 1-A. En ce qui concerne votre vote pour les élections européennes quelle est la raison principale qui vous motive ? (%) (personnes ayant l’intention d’aller voter)
Comment s’établit, chez cette part des électeurs qui entendent d’abord exprimer leur opinion sur l’Union européenne, le rapport entre attachement et mécontentement selon leur proximité partisane ? Quels clivages politiques se forment-ils sur cet enjeu (tableau 1 B) ? Le principal clivage oppose les proches de LREM, de EELV, du PS et des Républicains à ceux du RN et de Reconquête. Les premiers n’expriment presque jamais leur mécontentement tandis que les seconds n’expriment presque jamais leur attachement. Nous retrouverons tout au long de l’enquête ce clivage majeur sur l’Europe. Les proches de LFI quant à eux ne choisissent presque jamais ces motivations de vote comme si l’Europe était pour eux un non-sujet.
Tableau 1 B. Motivations de vote aux élections européennes selon la proximité partisane (%)
Le clivage principal, qui oppose parmi chez les personnes les plus motivées pour ou contre l’Union européenne, les sympathisants des partis d’extrême-droite, le Rassemblement national et Reconquête, à ceux des autres partis, se retrouve dans les réponses de l’ensemble de l’échantillon à la question : « l’appartenance à l’Union européenne apporte-t-elle plus d’avantages que d’inconvénients, plus d’inconvénients que d’avantages ou autant d’avantages que d’inconvénients (tableau 2 A) ? »
Tableau 2 A. Attitudes à l’égard de l’UE selon la proximité partisane (%)
Notons d’abord que la moitié des électeurs estiment qu’avantages et inconvénients s’équilibrent. Seuls 30% estiment que les avantages l’emportent sur les inconvénients et 22% pensent l’inverse. Ainsi, parmi les 77% qui n’ont pas une vision négative de l’Union européenne, seule une minorité exprime une opinion clairement positive à son égard.
Parmi ceux ont une opinion tranchée, soit positive soit négative, de l’Union européenne on retrouve le clivage entre les sympathisants des partis d’extrême-droite et les autres. Toutefois, chez ces derniers, la vision positive est nettement plus fréquente chez les sympathisants socialistes, écologistes et surtout macronistes que chez ceux de LFI et des Républicains.
Un net refus de revenir en arrière sur la construction européenne
Si les Français ont des opinions très partagées sur les avantages et inconvénients de l’appartenance de la France à l’Union européenne, leurs critiques ou incertitudes ne signifient nullement qu’ils souhaitent revenir en arrière sur les acquis de la construction européenne. 71% d’entre eux veulent que la France reste dans l’euro, 64% dans l’Union européenne et 62% dans l’espace Schengen. Pour une nette majorité d’entre eux, la construction européenne est donc une réalité et un fait accompli. Plus encore, elle constitue à leurs yeux une part de leur identité (tableau 2B). 61%, en effet, se sentent européens.
Tableau 2 B. Attitudes à l’égard de l’Europe selon la proximité partisane (%)
Si l’on retrouve ici le clivage entre les sympathisants des partis d’extrême-droite et les autres, ces derniers sont cependant partagés. Certes, un tiers seulement des proches du Rassemblement national se sentent européens, mais ils sont 62% à vouloir que la France reste dans l’euro et près de la moitié à ce qu’elle demeure dans l’Union européenne. Alors que le groupe d’extrême-droite au Parlement européen, « Identité et Démocratie », a inscrit dans ses statuts que « l’État-nation est l’échelon le plus élevé possible auquel la démocratie peut réellement fonctionner » qu’il s’oppose « à tout nouveau transfert de pouvoir des nations », et qu’il affirme qu’il faut « réformer en profondeur l’Union européenne telle qu’elle existe aujourd’hui afin de renforcer les principes de subsidiarité », les sympathisants du Rassemblement national sont loin d’être favorables à un retour en arrière. On comprend ainsi la prudence de Marine Le Pen sur ces questions.
Ainsi, alors que va débuter la campagne pour les élections européennes, le clivage politique principal dans l’électorat sur l’enjeu européen n’est ni l’opposition gauche/droite, ni l’opposition du centre contre les extrêmes mais l’opposition entre l’extrême-droite et les autres partis. Dans cette configuration électorale, Emmanuel Macron et la tête de la liste socialiste, Raphaël Glucksmann, sont les mieux positionnés. Ils ont clairement désigné le Rassemblement national comme l’adversaire principal. En revanche, le leader du Parti socialiste, Olivier Faure et celui de LR, Éric Ciotti, proches respectivement de LFI et du RN, le sont moins. Comme ces deux partis, ils préfèreront probablement axer leurs campagnes sur la politique intérieure plutôt que sur les questions européennes. La question est donc de savoir si les partisans de la construction européenne parviendront à faire de l’enjeu européen le thème central du débat. Les élections européennes deviendront-elles enfin des élections sur l’Europe ? Souhaitons-le.
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[1] Enquête de l’Institut ELABE administrée du 10 au 12 janvier 2024. Échantillon de 1515 personnes.