La supplique du journal Le Monde à Jean-Luc Mélenchon edit
L’éditorial du Monde daté du 30 avril appelant Jean-Luc Mélenchon à renoncer au ni-ni et à donner à ses électeurs la consigne de voter pour Emmanuel Macron dimanche prochain laisse pantois. Certes, on peut regretter avec l’éditorialiste que Mélenchon ne veuille pas trancher clairement en faveur du vote Macron. Mais faut-il s’en étonner et considérer comme pertinents les arguments utilisés à l’appui de la supplique adressée au leader de la France insoumise pour tenter de le faire changer d’avis ? Ce n’est pas notre avis.
L’éditorialiste s’adresse au départ à Mélenchon comme au désormais leader légitime de la gauche française. Ayant fait « une campagne remarquable », il a atteint son objectif de « s’imposer, demain, comme l’architecte en chef de la reconstruction de la gauche ». Surtout, « il a su contester à la candidate du Front national son statut autoproclamé de « candidate du peuple » et ramener dans le giron de la gauche bon nombre d’électeurs que la colère poussait vers l’extrême droite ». Certes « l’on peut comprendre la frustration du candidat de La France insoumise au soir du premier tour », écrit-il, et l’on peut déjà mettre à son crédit qu’il « ira voter au second tour et ne donnera en aucun cas sa voix à l’extrême droite ». Malheureusement « il se refuse, au nom de l’unité de son mouvement, à appeler à voter pour Emmanuel Macron ». Position qui, « compte tenu de la responsabilité qui est désormais la sienne est périlleuse pour le pays et pour M. Mélenchon lui-même ».
L’éditorialiste conteste la position de Mélenchon pour trois raisons. D’abord pour une « affaire de principes ». « Il n’est pas recevable de mettre si peu que ce soit sur le même plan un adversaire politique et une ennemie irréductible, (…) un démocrate républicain d’un côté et, de l’autre, une candidate dont le projet remet en cause les principes mêmes de la République, à commencer par l’égalité et la fraternité ». Ensuite une « affaire d’efficacité ». « Après avoir endigué l’extrême droite au premier tour, pourquoi refuser de lui faire clairement barrage au second en votant pour son adversaire ? » Enfin une « affaire de cohérence ». En ne pesant pas de tout son poids sur la campagne d’entre-deux-tours, Jean-Luc Mélenchon laisse en déshérence l’espace politique qu’il s’est employé à occuper depuis des semaines. Il prend ainsi le risque de laisser Mme Le Pen s’installer sans vergogne comme la seule et unique candidate, et demain défenseuse, de l’alternative sociale dont il a fait le combat de La France insoumise. Ce faisant, il s’expose à dilapider le capital politique constitué pendant sa campagne ».
Cette argumentation pose problème de plusieurs points de vue. D’abord, l’éditorialiste semble partir de l’idée que le leader de La France insoumise est désormais le principal représentant de la gauche alors que ce dernier a clairement remis en cause le clivage gauche/droite et opté pour un populisme assumé. Il ne parle plus à la gauche mais au « peuple ». Par ce choix, il s’est rapproché du discours de Marine le Pen qui, elle, en retour, lui a emprunté son programme économique et social. Lorsque l’auteur estime irrecevable de mettre sur le même plan « un adversaire politique et un ennemi irréductible », est-il certain que Mélenchon perçoive une telle différence entre les deux candidats ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi alors ferait-il voter Macron ? Lorsqu’il estime également irrecevable de mettre sur le même plan un « démocrate républicain » et une candidate qui remet en cause « les principes mêmes de la République » on pourrait lui rétorquer que Mélenchon, depuis quelque temps déjà, a rejeté la formule du Front républicain. N’a-t-il pas affirmé dimanche que ce Front républicain consiste à « donner des brevets de pompier à des pyromanes », plaçant ainsi sur le même plan les partis républicains et le Front national ? S’il refuse de choisir, au nom de l’unité de son mouvement, cela ne signifie-t-il pas que ce mouvement ne partage pas, au moins pour partie, les valeurs au nom desquelles l’éditorialiste le somme de choisir, et que, par conséquent, l’espace reconquis n’est pas dans son intégralité un espace de gauche. Ce n’est donc pas au nom de sa « responsabilité » d’homme de gauche que l’on peut reprocher au leader de la France insoumise de ne pas choisir clairement le vote Macron.
Mais en admettant même qu’une grande partie de cet électorat puisse être classée à gauche, de quelle gauche Mélenchon est-il le représentant ? Rappelons d’abord que son objectif principal, largement atteint, était de détruire le seul grand parti de gauche, le Parti socialiste. Lorsque l’éditorialiste reconnaît à Mélenchon le mérite d’avoir endigué l’extrême-droite et de lui avoir disputé le monopole de l’alternative sociale au premier tour, au nom de quelles idées l’a-t-il fait ? Comme le rappelait récemment Alain Bergounioux dans ces colonnes, si Mélenchon représente la gauche, il s’agit d’une gauche qui est historiquement irréductiblement opposée à la social-démocratie dont « l’apport propre a été de comprendre et d’expliquer que la démocratie politique et l’économie de marché ont deux légitimités propres et qu’elles doivent trouver un équilibre pour le bien même des sociétés ». Il s’agit d’une gauche d’origine robespierriste qui entend construire une société vertueuse (son dernier livre a pour titre De la vertu), constructivisme dont on a pu mesurer les dangereuses apories historiques. Une gauche, aussi, d’inspiration marxiste qui se méfie à ce point de l’entreprise qu’elle ne cesse de vouloir « la surveiller, la contrôler, la ponctionner, voire la réquisitionner. L’ancien mirage d’une économie planifiée est, toujours, à l’arrière-plan – sans qu’à aucun moment, dans ses livres, pourtant nombreux, Jean-Luc Mélenchon, n’ait fait l’inventaire raisonné des échecs de l’URSS, de la Chine de Mao ou plus proche de nous, du Cuba de Castro ou du Venezuela de Chavez qui a conduit à un pays riche à être, aujourd’hui, exsangue… » (Bergounioux). Une gauche, enfin, qui assume et revendique le populisme. Il s’agit ici « de constituer un « bloc historique populaire », dépassant les notions de droite et de gauche, qui s’appuie sur les mobilisations sociales et culturelles (…) Il s’agit de conquérir les institutions pour les subvertir, en utilisant l’intervention populaire pour peser sur les élus et les révoquer si besoin est ». Notons la référence constante de Mélenchon au devoir d’insurrection contre la monarchie républicaine. Bref, une vision non pluraliste comme Bernard Manin et moi-même l’avons montré ici récemment.
On peut regretter enfin que l’éditorialiste ne donne aucune raison positive de voter en faveur d’Emmanuel Macron. Non pas que l’on veuille lui reprocher d’invoquer les valeurs humanistes de la gauche pour voter contre Marine Le Pen. Nous avons nous-mêmes affirmé que le vote contre ou vote utile avait une valeur civique aussi importante que le vote pour. Mais n’y a-t-il pas aussi, dans ce que représente Macron, des raisons de voter pour son projet, notamment pour ce qui concerne les libertés, l’Europe, l’approche humaniste de la question de l’immigration, la vision économique et la politique extérieure, notamment lorsqu’il s’agit de la Russie poutinienne ? Un projet fort différent sur la plupart de ces points de celui porté par Jean-Luc Mélenchon. Dès lors, comment s’étonner que ce dernier ne choisisse pas clairement entre Le Pen et Macron ? Et pourquoi donc lui prêter des idées qui ne sont pas les siennes pour l’amener à faire un choix qui n’est pas le sien ? Aussi, lorsque l’éditorialiste craint que Mélenchon, en refusant de choisir, risque de « dilapider le capital politique » constitué au premier, tour, encore faudrait-il mieux s’assurer d’abord que ce capital possède une réelle valeur politique ! Il craint que Mélenchon joue la politique du pire. Mais est-il bien sûr que ce dernier ne soit pas réellement tenté de la jouer ? Après tout, Mélenchon n’est pas le seul à refuser de choisir clairement. Le bon pape François a adopté la même position en déclarant : « des deux candidats politiques, je ne connais pas l'histoire. Je sais que l'un représente la droite forte, mais l'autre, je ne sais pas d'où il vient, alors je ne peux pas donner d'avis ». Mais si les voies du seigneur sont impénétrables, celles de Mélenchon, elles, ne le sont pas. Ainsi vient-il de déclarer : « À mon avis, la France va se débarrasser de Marine Le Pen à cette élection, et nous, dans un mois, nous allons tous ensemble nous débarrasser de la politique de M. Macron ». Aux autres de battre le Pen, à lui ensuite de battre Macron. A chacun de jouer sa partition. La supplique de l’éditorialiste du Monde n’y changera rien.
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