Vers un bipartisme à l’américaine? edit
La décomposition de notre système politique n’est pas achevée, alors que s’esquissent plusieurs formes de recomposition. Des indices montrent qu’une voie de sortie possible serait un bipartisme opposant un parti très à droite et un parti de centre gauche, comme aux Etats-Unis.
Ces indices sont hétérogènes. Le succès de Laurent Wauquiez, aussi intelligent qu’arrogant, à la tête des Républicains laisse prévoir une capacité à rassembler la droite et une partie de l’extrême-droite sur le plan électoral. Aucun redressement n’est en vue au PS où ne s’impose aucune personnalité, qui continue d’être fui par les militants comme les électeurs, comme le montrent les deux dernières élections législatives partielles.
L’équivalent du Parti Républicain américain serait LR (Les Républicains), qui sous une direction sans partage se durcirait à droite et marginaliserait progressivement Marine Le Pen, élargissant sa base électorale.
L’équivalent du Parti Démocrate serait LRM (La République En Marche), qui sous l’impulsion du Président de la République, continuerait de mordre sur le PS. L’entrée récente au gouvernement d’Olivier Dussopt montre qu’il existe une réserve de candidats au ralliement. Ce qui reste du PS soit rejoindrait « la France Insoumise » soit resterait dans la vieille maison qui hébergerait des maires et autres notables locaux bien enracinés dans les territoires. Il connaîtrait le sort de l’actuel PC.
Comme dans les deux grands partis américains, il s’agirait de rassemblements hétérogènes, qu’il s’agisse d’idéologie ou de propositions concrètes. Ils seraient divisés sur l’Europe, l’ouverture des frontières, le degré de protection sociale, la décentralisation, au moins autant que les partis de droite et de gauche le sont aujourd’hui. L’un insisterait plus sur la conservation, l’autre sur le mouvement. Mais ils se rassembleraient autour de leur candidat à l’élection présidentielle, dont les programmes se substitueraient aux programmes des partis.
Logiquement, les primaires ont toute leur place dans un tel système. Contrairement aux critiques qui leur sont faites, elles ont eu un rôle globalement positif à la dernière élection présidentielle. Elles ont permis, de façon directe ou indirecte, l’élimination des deux anciens présidents, dont une grande majorité d’électeurs ne voulait pas voir se renouveler l’affrontement et dont les bilans étaient jugés négatifs. Et on ne saurait imputer aux primaires la confusion dans la campagne résultant des comportements passés du candidat Fillon. Cela rappelé, les primaires à la française comportent un grave défaut, la possibilité offerte aux électeurs d’un camp de perturber le choix du candidat de l’autre camp en participant à la sélection de candidats, pour lesquels ils ne voteront jamais. Cela a probablement contribué à l’élimination de Manuel Valls au profit de Benoît Hamon. Ce défaut parait techniquement difficile à corriger. En 2022, il est plausible que le président sortant et le candidat « républicain » refusent de passer par l’épreuve des primaires, à la grande satisfaction de leurs militants. Cela s’est d’ailleurs produit aux Etats-Unis pour un second mandat.
Continuité
Un tel système ne représenterait pas une mutation par rapport à l’état actuel. La concentration de la vie politique autour de l’élection présidentielle et de ses candidats potentiels serait confirmée, de même que l’affaiblissement des idéologies et des partis soumis à des militants aux engagements durables. L’effacement du pouvoir législatif subsisterait, à moins qu’une forte dose de proportionnelle soit introduite dans la loi électorale et que les élections législatives ne suivent plus l’élection présidentielle.
Pour autant, les autres forces politiques ne disparaîtraient pas de la vie politique. Sur le plan institutionnel, elles constitueraient l’opposition ou l’apparentement à la majorité présidentielle. Il est parfaitement concevable qu’en 2022, Emmanuel Macron, conscient que son parti ne pourra obtenir une majorité absolue à l’Assemblée Nationale comme en 2017, fasse alliance avec, à droite un Modem élargi et à gauche avec petit parti d’inspiration sociale-démocrate, dont les membres viendraient d’un PS ayant choisi la voie « anticapitaliste » Elles seraient aussi présentes dans la vie publique – peut-être plus par le verbe, la manifestation, l’agitation et l’appui aux mouvements sociaux. En cas d’appuis forts dans la société civile, elles pourraient faire reculer la majorité au pouvoir, comme dans les débuts de la cinquième République.
Continueront d’émerger dans ces forces politiques, à l’extrême droite le Front National et à l’extrême gauche la France insoumise.
Cette dernière resterait Incapable de réunir des fractions nouvelles du PS et du PC autour de son chef, Jean-Luc Mélenchon, en raison de sa personnalité dominatrice et de l’irréalisme de son programme. Il continuerait de s’imposer comme l’agitateur talentueux de la vie politique, aux initiatives parfois spectaculaires. Dans des situations de crise, il pourrait obtenir des succès, par exemple dans les prochains mois s’il parvient à récupérer le mouvement étudiant, qui devrait être en effervescence sur les thèmes de la sélection et de la paupérisation de l’université et des étudiants, ou l’agitation qui va probablement se développer à propos de la réforme de la SNCF. Ces succès éventuels ne seraient pas capitalisés dans les urnes.
Du fait d’une capacité de mobilisation populaire plus faible, le Front National et Marine Le Pen seraient moins visibles, d’autant qu’une partie de ses soutiens pourrait être fascinée par les excès en tout genre et les aspects « trumpistes » du nouveau chef de la droite. La persistance des problèmes de sécurité et d’immigration laissera une place à Marine Le Pen, qu’elle devra néanmoins partager avec Laurent Wauquiez.
Conséquences
Un bipartisme confirmé aurait des conséquences diffuses sur notre vie politique. Ceux qui ne se sentiraient pas représentés par les deux grands partis et qui refuseraient la contestation brutale participeraient de moins en moins au jeu institutionnel : indifférence aux débats politiques, abstentions de plus en plus nombreuses comme aux Etats-Unis.
Cette évolution n’est pas nécessairement synonyme d’un recul de la démocratie, à condition que parallèlement notre vie politique soit plus ouverte et diversifiée. Cela implique une redistribution des pouvoirs au profit des collectivités locales comme dans l’entreprise ainsi que la mise en place de nouveaux modes de consultation et de participation, en se servant des nouveaux outils numériques. Le sujet est à la mode mais rien ne montre que l’actuel Président de la République soit sur cette voie. Son faible engagement sur la décentralisation et la réforme de l’Etat n’es pas un signe positif.
Ce bipartisme consoliderait l’évolution à droite de la société française. Le parti « démocrate » se situerait plus à droite que le PS, de même que le parti « républicain » mordant sur le FN serait plus à droite que la formation de Jacques Chirac et d’Alain Juppé. A terme, il pourrait en résulter une montée des conflits sociaux, faute de relais politiques.
Rien n’est joué. Des échecs politiques du président et l’affirmation de personnalités nouvelles pourraient engendrer l’apparition de forces politiques bousculant un échiquier encore fragile.
Le problème le plus grave, le plus complexe et le plus durable, susceptible de bousculer les équilibres politiques dans nos démocraties, dont la France, est celui des migrations. L’importance prise par l’AFD aux dernières élections allemandes en est la manifestation la plus récente.
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