Régionales: l’indifférence fait la différence edit
Le premier tour des élections régionales a été caractérisé par une participation d’une faiblesse sans précédent à des élections d’organisation nationale avec 33,3% de votants sur les inscrits, en recul de 16,8 points sur 2015 (tableau). À une cause de fond, le recul du sens du devoir, s’ajoutent trois causes plus conjoncturelles : assez faible mécontentement, calendrier électoral et épidémie. Le déclin du sens du devoir, phénomène lourd, générationnel, est directement lié au développement d’un individualisme narcissique[1] de masse depuis les années 1960, la grande majorité des individus étant de plus en plus réticents à agir hors de leurs préoccupations individuelles, en dehors d’engagements éphémères individuellement valorisants. Comme la popularité d’Emmanuel Macron est sensiblement supérieure à celle de ses deux prédécesseurs à l’Élysée au même moment de leur quinquennat, la mobilisation électorale de rejet se trouve limitée. La conjoncture politique dramatique de 2015, marquée par une exceptionnelle série d’attentats islamistes très meurtriers (Charlie Hebdo, Hyper Cacher, le Bataclan) n’a pas eu d’équivalent aujourd’hui et les citoyens avaient déjà eu l’occasion de s’exprimer lors des européennes de 2019 et des municipales de 2020. Le contexte épidémique a pu en dissuader de venir voter, mais sans doute beaucoup moins qu’en 2020. Cependant, si cet effondrement de la participation touche tous les milieux sociaux, il est très lié à l’âge avec moins de 20% de votants chez les moins de 35 ans contre 47% chez les plus de 65 ans[2]. La droite LR-UDI a un peu mieux mobilisé son noyau électoral grâce à son réseau d’élus locaux et en accusant le pouvoir et la gauche de laxisme sinon de complicité sur l’insécurité et l’islamisme.
Les résultats montrent un net succès des présidents sortants, de droite comme socialistes, un échec des listes gouvernementales et de la France insoumise, une déception pour le Rassemblement national et la confirmation de l’ancrage d’EELV lors des élections intermédiaires.
La droite LR-UDI-DVD, qui avait partout réalisé l’unité de candidature derrière ses sept présidents sortants ou des candidats bien implantés, a également bénéficié du réflexe des votants qui ont donné une prime à l’implantation territoriale des candidats. Elle arrive nettement en tête au niveau national, progressant de deux points sur 2015, mais ses évolutions régionales sont beaucoup plus contrastées. Elle progresse dans les sept régions métropolitaines où elle détenait la présidence, parfois spectaculairement (Hauts-de-France avec Xavier Bertrand 41,4%, +16,4 ; Auvergne-Rhône-Alpes avec Laurent Wauquiez 43,8%, +12,1), mais recule sensiblement sur 2015 dans les 5 autres régions de France métropolitaine continentale (Nouvelle-Aquitaine 12,5%, -14,7). À une meilleure mobilisation de son électorat, se sont ajoutées une moindre concurrence de listes DLF et la capacité de ses sortants à attirer une partie de l’électorat potentiel du RN. PACA, où elle a bénéficié du soutien – controversé – de LREM, est la seule région où l’ensemble de la droite (RN compris) progresse sur 2015.
Le RN, avec 19,2%, très déçu par des résultats bien inférieurs à ceux promis par les sondages, est en très net recul sur décembre 2015 où il obtenait 28,4%. Ce recul, général, n’aurait pourtant pas dû surprendre, car en 2015 les circonstances lui étaient alors extrêmement favorables, un mois après la tuerie du Bataclan et avec une impopularité record du pouvoir socialiste. De plus, il a reculé aux deux élections depuis 2017, les européennes et les municipales, par rapport aux élections précédentes de même type. Toutefois, ce résultat est pour lui de loin le plus élevé à ce type d’élection après celui de 2015. Il lui permet de se qualifier pour le second tour dans les 12 régions de France métropolitaine continentale, arrivant en tête en PACA (36,4%) et en seconde position dans 8 autres régions. Les seules autres listes de droite à obtenir des résultats significatifs sont la liste des patriotes de Florian Philippot à 7% dans le Grand-Est et celle du Mouvement pour la ruralité à 7,3% en Nouvelle-Aquitaine.
À gauche, le PS a lui aussi bénéficié de l’avantage que donne un réseau d’élus dans le cadre d’une faible participation électorale. Il arrive en tête dans les cinq régions dont il détient la présidence, y devançant nettement ses concurrents écologistes et insoumis, avec un maximum de 39,6% en Occitanie. De plus, il dépasse les 10% dans les quatre autres régions où il présentait des listes. Cependant, il y est partout devancé par EELV, y compris en Ile-de-France où la liste menée par Audrey Pulvar soutenue par la maire de Paris Anne Hidalgo n’arrive qu’en 5e position avec 11,1%. EELV confirme ses résultats des européennes de 2019, devançant le PS là où il n’avait pas la présidence sortante. Toutefois ses résultats restent limités, sinon décevants, aucune de ses listes n’atteint 20%, même pas les listes d’union avec le soutien du PS et du PC (14,6% dans le Grand-Est et 16,9% en PACA) et même de LFI (19% dans les Hauts-de-France). En Occitanie, EELV est à moins de 10% (8,8%) et est éliminée (4%) en Corse. De plus, la liste menée par son porte-parole Julien Bayou en Ile-de-France n’obtient que 12,9% contre 15,9% aux européennes. Les listes LFI n’atteignent nulle part les 10% sauf en Ile-de-France (10,2%) où Clémentine Autain bénéficiait également du soutien du PC. Aucune des trois listes menées par le PC avec le soutien de LFI n’atteint les 10%, de même que la liste menée par l’ancienne ministre Aurélie Filippetti dans le Grand-Est (8,6%). L’extrême gauche (LO) est partout en dessous de 4%. Globalement, si les résultats de la gauche à 36,2% marquent un redressement par rapport au désastre du premier tour de la présidentielle (27,6% en France métropolitaine), ils ne sont pas bons, marquant au mieux une stabilisation sur ceux, mauvais, de décembre 2015, et sont très en recul sur ceux des précédentes régionales (2004 et 2010) où la gauche était comme maintenant dans l’opposition nationale.
Les résultats très décevants des forces gouvernementales, 10,5%, confirment leur faible implantation locale déjà notée aux municipales de 2020. Comme alors, une bonne partie de leur électorat potentiel a voté pour les élus locaux sortants. Elles ne dépassent les 15% qu’en Centre-Val de Loire (16,7%) et en Bretagne (15,5%) et sont à moins de 10% en Auvergne-Rhône-Alpes (9,9%), dans les Hauts-de-France (9,1%), en Occitanie (8,8%) et en Corse (5,9%).
Le second tour
49 listes ont été présentes au second tour dans les 13 régions de France métropolitaine, 3,8 en moyenne soit une de plus qu’en 2015, principalement à cause du maintien des listes gouvernementales dans les 8 régions où elles étaient qualifiées. Les listes LR-UDI se sont représentées dans les 13 régions, les listes RN dans 12. La liste de gauche s’est retirée en PACA en faveur de Renaud Muselier[3] (LR) contre Thierry Mariani (RN). En Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes, les listes PS et LFI-PCF se sont rassemblées derrière EELV[4] ainsi que la liste PS-PCF en Pays de la Loire. Dans deux régions (Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire) les socialistes sortants arrivés en tête ont fusionné avec EELV, mais ils l’ont refusé dans les trois autres (Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie). En Corse, une quadrangulaire a opposé trois listes nationalistes et celle de LR.
Avec 34,4% de votants, la participation s’est faiblement redressée, une partie des électeurs des listes éliminées au premier tour s’abstenant et de nouveaux votants se mobilisant pour soutenir les listes arrivées en tête. Les résultats amplifient ceux du premier tour en faveur des présidents sortants qui l’emportent dans les 13 régions métropolitaines. En Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Hauts-de-France, Laurent Wauquiez (55,2%) et Xavier Bertrand (52,4%) gagnent facilement en triangulaire face à la gauche et au RN, ainsi que la socialiste Carole Delga (57,8%) en Occitanie face au RN et à LR. En PACA Roland Muselier (LR) emporte nettement (57,3%) son duel face au RN.
Les conséquences nationales
Marine Le Pen est fragilisée en vue de la présidentielle, gagnant seulement 252 sièges de conseillers régionaux et en perdant plus d’une centaine. Au sein de LR, la bataille est relancée pour la désignation du candidat, Laurent Wauquiez effectue un spectaculaire come-back et peut afficher un succès aussi grand que celui de Xavier Bertrand. À gauche rien n’est réglé, car si Mélenchon est affaibli, ni le PS ni les Verts ne s’imposent. EELV n’a gagné aucune région, étant nettement battu au second tour en Ile-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Pays de la Loire. Si le PS conserve ses cinq régions, il ne regagne rien de ses lourdes pertes de 2015 et sa candidate potentielle Anne Hidalgo est affaiblie par l’échec de la liste Pulvar au premier tour en Ile-de-France. Emmanuel Macron a échoué, comme aux municipales, à implanter LREM dans le paysage politique local et l’avenir des forces gouvernementales dépend plus que jamais de sa capacité personnelle à être réélu en 2022. Mais ces élections dont ce n’était pas l’enjeu n’en disent rien, surtout avec une si faible participation.
[1] C.F Gilles Lipovetsky, L’Ère du vide, Gallimard, 1983.
[2] Enquête IFOP du 20 juin 2021 pour TF1 et LCI.
[3] Qui a bénéficié du soutien de Nicolas Sarkozy.
[4] Manuel Valls, ancien Premier ministre, et Jean-Paul Huchon, ancien président socialiste de la région Ile-de-France, ont cependant appelé à voter pour Valérie Pécresse contre la liste EELV-PS-LFI, pas assez « républicaine » à leurs yeux.
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