Vaccin: une affaire de propriété intellectuelle? edit
Joe Biden suivi par Emmanuel Macron vient de réclamer à l’OMC une levée provisoire de la protection des brevets pour permettre la production massive de génériques des vaccins Covid. Il rejoint ainsi un mouvement initié par l’Inde et l’Afrique du Sud et qui gagne chaque jour en popularité. Curieusement cette annonce n’a eu aucun impact boursier sur les Big Pharma censées se gorger de profits, même si l’impact a été très négatif sur les startups BioNtech et Moderna.
L’argument des partisans de l’octroi de licences gratuites pour la fabrication massive de vaccins est triple. Aujourd’hui l’accès aux vaccins est essentiellement réservé aux pays riches (USA, UE, Japon, RU) ou aux grands pays émergents ayant développé leurs propres vaccins (Chine, Russie), or seule la multiplication des chaînes de production partout dans le monde et une fabrication massive de vaccins libres de droits pourraient permettre la couverture vaccinale recherchée. L’éthique, l’impératif sanitaire, et le retour à la croissance économique plaideraient donc pour la levée immédiate de la protection offerte par les brevets aux entreprises pharmaceutiques.
L’éthique, car nos sociétés ne peuvent tolérer que l’accès à un bien vital pour la préservation de la santé soit contraint par la capacité à payer et soumis aux exigences de profit de laboratoires pharmaceutiques.
L’impératif sanitaire, car il n’y a d’immunité collective que si la planète entière est vaccinée. La cohabitation de zones de vaccination intégrale et de zones aux populations faiblement vaccinées favorise la circulation du virus et la multiplication des variants. L’argument économique est encore plus massif : lorsqu’on compare les coûts modérés de la vaccination avec les pertes colossales d’activité économique dues aux confinements, la vaccination universelle se révèle être le meilleur investissement.
Un dernier argument s’applique plus particulièrement aux vaccins Covid : ceux-ci sont le résultat d’une collaboration public-privé en matière de recherche (labo d’Oxford ou de Boston), ils ont été développés parfois avec de l’argent public (cf. l’opération Warp Speed) et ils ont été mis en production parfois avec la logistique des États.
La proposition Biden, très populaire dans les opinions publiques et soutenue par près de 100 pays et une centaine de congressmen aux États-Unis, bute sur la résistance des entreprises pharmaceutiques qui opposent trois types d’arguments.
Le premier est classique : c’est la protection intellectuelle qui est le moteur de la recherche et de l’innovation. Supprimez cette incitation et vous mettez à mal la machine à innover et prenez le risque, pour un bénéfice immédiat, de compromettre durablement l’écosystème d’innovation, et au-delà la santé des habitants de notre planète. Sed contra, le financement public ayant été décisif, les États doivent avoir un droit de regard sur l’usage qui a été fait des aides apportées.
Le deuxième est d’opportunité : il est faux de prétendre que c’est la protection intellectuelle des vaccins qui limite aujourd’hui leur diffusion. Le problème tient à la difficulté de faire monter en puissance l’outil de production comme on l’observe actuellement en Europe. À quoi s’ajoute un argument complémentaire : la production d’un vaccin ARN messager suppose l’assemblage de toute une série de composants et d’ingrédients, parfois rares et nécessitant une technologie complexe ; une multiplication anarchique de sites perturberait cette mécanique d’horlogerie planétaire.
Dernier argument, le fonds Covax et la modulation tarifaire pratiquée par les entreprises pharmaceutiques sont la bonne réponse. Covax est ce fonds insuffisamment doté par les pays riches qui permet d’acheter des doses pour les pays pauvres. Quant à la tarification des doses, elle serait fonction de la capacité financière des pays : prix élevés pour les pays développés, prix moindres pour les pays intermédiaires, prix cassés pour les pays pauvres.
Comment trancher entre ces positions ?
Notons d’abord que la protection offerte par la propriété intellectuelle n’a jamais été absolue. Un brevet est défini par l’extension et la durée de la protection qu’il offre.
Par ailleurs l’accord TRIPS de l’OMC qui organise cette protection prévoit les cas d’urgence sanitaire où un pays peut lever la protection et fabriquer une molécule nécessaire à sa politique sanitaire.
Enfin, quand dans les années 1990 quand le SIDA faisait rage et que les premiers traitements étaient développés, l’Inde et l’Afrique du Sud déjà avaient pu génériquer les médicaments nécessaires et même les commercialiser au profit des pays les plus pauvres.
La protection de la propriété intellectuelle est tout sauf absolue et nul n’empêche l’Inde, par exemple, de proclamer un état d’urgence sanitaire qui lui permettrait de génériquer les vaccins Covid.
Si l’Inde ou le Brésil ou l’Afrique du Sud ne s’engagent pas dans le processus de levée de la protection intellectuelle, c’est pour de bonnes raisons. Affronter seules les pharma serait long, coûteux et risqué. À l’inverse, une levée consensuelle de la propriété intellectuelle orchestrée par l’OMC avec la bénédiction de l’OMS rendrait les choses plus faciles.
Si le débat est porté sur la place publique, c’est aussi pour mettre la pression sur les contributeurs éventuels de Covax. On peut réclamer le droit de produire, ce qui est long et difficile… et obtenir à court terme une accélération de l’achat et de la livraison de doses.
Mais l’enjeu majeur est ailleurs : réclamer la construction de lignes de production dans les pays émergents c’est en fait non seulement lever la propriété intellectuelle, mais surtout réclamer un transfert de technologies auquel les startups et les Big Pharma ne peuvent consentir.
Reste la question du moment de la proposition Biden. Pourquoi prend-il une initiative, certes populaire, mais qui a peu de chances de se matérialiser ?
La première raison est politique et morale : il ne déplait sans doute pas à Biden de s’installer sur ce terrain humaniste, multilatéral et qui ne lui coûte pas. Après les années Trump, la percée de la Chine et de la Russie dans la diplomatie sanitaire, le reset américain peut impressionner. La manœuvre est d’autant plus habile que les États-Unis pratiquent de fait le nationalisme vaccinal : ils n’exportent à peu près rien à partir de leur territoire alors que l’UE exporte massivement. Par ailleurs ils n’ont pas fait preuve d’une grande générosité avec le programme Covax. Enfin les oppositions de l’Allemagne, de la Suisse et d’autres pays éloignent le risque d’une adoption consensuelle par l’OMC de la levée de la protection des brevets.
La deuxième raison est industrielle et pratique. La levée des brevets sans les transferts de technologie est inopérante compte tenu de la complexité de la production des vaccins. Or Biden ne peut exproprier BioNtech, Moderna ou CureVac. S’il fallait en donner une preuve il suffirait de voir avec quelles précautions on construit des lignes de production en Europe, nos grandes firmes pharmaceutiques agissant comme sous-traitantes des Moderna et autres BioNtech. L’installation de lignes de production en Afrique du Sud ou au Brésil si elle devait voire le jour se ferait sur ces bases.
Que conclure ?
La mise au point rapide de vaccins Covid particulièrement efficaces a été un grand succès scientifique. Les écosytèmes d’innovation américain, allemand ou britannique ont été à leur meilleur : articulation recherche publique-recherche privée, aides publiques, financement privé de startups, mobilisation de chaînes de valeur mondiales… On comprend que nombre d’acteurs veuillent préserver ce système.
La prise de conscience mondiale a progressé : une pandémie mondiale nécessite une solution globale, le vaccin est un bien commun de l’Humanité. À partir de là plusieurs dispositifs peuvent être imaginés pour assurer la meilleure couverture vaccinale mondiale. Levée de la protection intellectuelle et production de génériques, achat par l’État d’un brevet développé par une firme pharmaceutique et mise à disposition gratuite pour les pays pauvres, extension du système Covax, régulation des prix etc.
Aujourd’hui ce n’est pas un problème de propriété intellectuelle qui limite la diffusion du vaccin mais un problème de production. Il ne sera pas réglé par un transfert de technologies car la vraie valeur des startups comme Moderna c’est leur technologie novatrice qui a un potentiel considérable pour les thérapies anti-cancers pour ne prendre qu’un exemple. Les États-Unis peuvent superviser l’implantation de lignes de production locale sous la direction des entreprises innovantes. Ainsi les startups ne renoncent pas à leur actif et les pays pauvres où la pandémie galope auront des capacité de production sur leur sol.
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