Résolution bancaire à l’italienne edit
Il y a deux lectures du sauvetage récent de banques italiennes et espagnoles en difficulté, même si les modalités pratiques en furent fort différentes.
Selon la première, l’Union bancaire (UB) aurait réussi un test décisif de viabilité, l’UB ayant réussi à mettre en œuvre ses propres règles (dans le cas espagnol) mais aussi à y déroger dans des cas spécifiques. À l’épreuve, la BCE, l’UE et les autorités politiques nationales auraient trouvé les arrangements nécessaires pour minimiser l’apport du contribuable, protéger le créancier de bonne foi et assurer la sécurité du système financier.
Selon l’autre lecture, l’UB aurait révélé ses insuffisances notoires puisque, conçue pour mettre à distance les banques et les États, protéger les contribuables et surtout encadrer dans des règles homogènes l’ensemble des banques européennes, elle se révèle, à l’épreuve, particulièrement perméable à l’influence des États et des contextes locaux.
Est-il besoin d’ajouter que nombre d’officiels allemands sont déchaînés contre des sauvetages qui ne peuvent qu’accroître l’aléa moral et qu’ils voient dans les sauvetages de banques faillies une justification supplémentaire de leur refus de parachever l’UB en réalisant le troisième pied du système, à savoir la mutualisation de la garantie des dépôts ?
Mais avant d’aller plus loin, rappelons en quelques mots les solutions trouvées à la défaillance de Banco Popular en Espagne et de deux banques vénitiennes en Italie
En Espagne
Le sauvetage de Banco Popular par Santander coche toutes les cases de la conformité aux règles de l’UB. Conformément aux règles de bail in (sauvetage des banques par le système financier et non par l’État) mises en œuvre depuis le 1er janvier 2016, les actionnaires ont perdu leur mise et les détenteurs de dettes subordonnées, comme Allianz ou Black Rock, ont perdu leurs créances.
Le rachat de Banco Popular par Santander s’est fait pour un euro symbolique. La garantie de la continuité de l’activité sans que les déposants soient affectés a été donnée par Santander. L’État espagnol n’a apporté aucune garantie pour les mauvais risques transférés à Santander ; l’État n’a donc pas eu à s’endetter, pas plus qu’il n’a eu à mobiliser l’argent du contribuable. Enfin l’opération a été financée par un appel au marché qui a plébiscité la stratégie de consolidation de Santander, un géant qui aligne désormais, grâce à cette opération, 17 millions de clients et contrôle 25% de part de marché sur la clientèle PME. L’Espagne qui avait traité à chaud sa crise bancaire avec l’aide du Mécanisme européen de stabilité (faillite de Bankia notamment) a pu faire la preuve de la viabilité de la Directive BRRD (Bank Recovery and Resolution Directive) et du caractère opérationnel du mécanisme unique de résolution.
En Italie
À l’inverse, la liquidation de Veneto Banca et de Banco Popolare di Vicenza à un coût potentiel de 17 milliards d’euros est le résultat d’un processus moins maîtrisé. Ces deux banques ont d’abord été considérées comme solvables en janvier 2016, après une série de stress tests. Elles ont ensuite été déclarées en quasi-faillite en juin 2016, après avoir échoué dans leurs tentatives de lever de nouveaux capitaux. Entre-temps l’encours de mauvais risques avait continué à grimper, nourri par une croissance atone, par la montée du risque politique (le référendum Renzi) et par une fragilité de l’ensemble du système bancaire. La solution trouvée le 25 juin 2017 consiste en une opération de bail out menée par l’État italien et qui comporte trois volets : création d’une bad bank qui reprend les mauvais risques des deux banques vénitiennes ; création d’une good bank qui reprend les actifs sains ; Intesa Sao Paolo reprend l’ensemble avec la garantie de l’État. Ainsi, après avoir instruit le dossier, la BCE a passé la main aux autorités italiennes, le bail out a été de fait autorisé, et la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne a approuvé une consolidation qui doit se traduire par des fermetures d’établissement et des licenciements.
Quels enseignements peut-on tirer de ces deux cas de résolution qui ont été les premiers tests grandeur nature de l’UB et notamment du mécanisme de résolution ?
Le premier enseignement est qu’il est illusoire de penser que l’on peut faire de la résolution bancaire sans argent public quand tout un système financier national est atteint. L’Italie a un système financier surdimensionné et en difficulté ; le taux de mauvais risques y atteint 16%. La quasi stagnation économique depuis 20 ans, l’absence d’action réformatrice notamment après la crise des subprime, la paralysie politique ont aggravé une situation déjà fragile. Si l’on ajoute que les PME du Nord, naguère dynamiques, ont souffert d’une grave perte de compétitivité, on comprend que les mauvais risques se soient envolés. Un contexte politique miné par le risque créé par le Mouvement 5 étoiles explique la procastination du pouvoir politique et la pusillanimité des autorités de régulation locales qui ont fermé les yeux sur les financements par obligations bancaires auprès d’un public non averti de petits épargnants. Dans ces conditions l’application des règles de bail in étaient inapplicables sans coût politique exorbitant car elles lésaient les petits épargnants, perturbaient le financement des PME et fragilisaient les autres banques. Formellement toutefois les apparences ont été respectées puisque la Monte Paschi di Sienna a bénéficié d’une Precautionary Recapitalisation et le sauvetage des banques vénitiennes a bénéficié d’une clause de transfert de compétence aux régulateurs locaux.
Le deuxième enseignement est qu’il est absurde d’invoquer l’alea moral quand c’est le petit épargnant ou la PME locale insolvable qui sont en cause. Nul subprime ou produit dérivé, nul produit structuré ou opération pour compte propre ne sont ici en cause. Il s’agit plus classiquement de vente d’obligations bancaires à des épargnants qui croient qu’il s’agit de produits garantis et sans risque. Il s’agit d’un défaut de vigilance du régulateur qui a laissé ces junior bonds atteindre la somme de 29 milliard d’euros. Il s’agit de la fragilisation dans le temps du collatéral immobilier apporté par les PME lors de leurs opérations de crédit. On comprend dans ces conditions que des autorités politiques faibles ne puissent appliquer dans toute leur brutalité les règles de bail in !
Le troisième enseignement tient à la nature même de l’Union bancaire, une institution en construction où le pouvoir de supervision est exercé par la BCE, où l’autorité de résolution ne dispose pas des moyens nécessaires pour démanteler une entreprise faillie et où la garantie des dépôts reste à construire. Dans ces conditions le partage des compétences entre le niveau européen et le niveau national n’est pas clair, la ressource financière nécessaire peut venir à manquer et la recherche d’un accord ad hoc entre autorités nationales et européennes peut ralentir et compliquer la recherche d’une solution.
Dans le cas italien la BCE ouvre le jeu en déclarant que les deux banques vénitiennes risquent de faire défaut (avertissements répétés depuis 2015 sur l’insuffisance de fonds propres et inaptitude de ces banques à proposer des solutions de recapitalisation viables). Cela déclenche l’intervention de l’autorité de résolution qui indique le caractère non systémique des banques. La balle passe alors dans le camp des régulateurs nationaux. Ceux-ci autorisent une opération de recapitalisation par l’État italien dans le cadre d’un scénario de reprise par Intesa San Paolo. La balle retourne à Bruxelles à la DGComp qui doit autoriser une aide d’État. L’UE autorise le versement d’argent public à Intesa San Paolo pour augmenter le capital et couvrir les pertes potentielles de la bad bank… non sans souligner la nécessité de restructurer les banques reprises, d’où plan social et fermeture d’agences.
Quelle eût été la solution canonique ? La solution conforme aurait conduit à mobiliser les moyens d’un système bancaire italien déjà affaibli pour couvrir les mauvais risques et garantir les dépôts des banques faillies… Une solution qui aurait dégradé la situation des autres banques et diffusé le mal, créant ainsi potentiellement un risque pour l’ensemble du système financier. Le gouvernement italien et l’UE ont donc eu raison de transgresser les règles confirmant au passage les failles du dispositif actuel.
Le quatrième enseignement est qu’on ne peut rester dans cet entre deux, dans cette demi UB. On risque, en effet, de manquer l’objectif premier de cette avancée institutionnelle de juin 2012 : briser le cercle infernal qui liait dette souveraine et dette privée et qui éloignait le risque de renflouement par les contribuables de banques en difficulté. On ne peut atteindre ce double objectif si l’Autorité de résolution européenne, sur avis de l’Autorité européenne de supervision, ne peut mobiliser des moyens européens. La solution est connue : il faut recourir aux moyens du Mécanisme européen de stabilité et permettre ainsi à l’Autorité de résolution de prendre vraiment la main. La garantie des dépôts avec sa base nationale, ses dispositifs de mutualisation et, ultimement, son financement par des moyens européens est le troisième volet de cette mise en cohérence entre objectifs proclamés, compétences transférées au niveau européen et besoins financiers pour les restructurations à venir.
Le dernier enseignement porte sur le moment. Le regain d’optimisme européen après les défaites populistes en Autriche, Pays-Bas et en France ; l’appétit de réforme qu’on sent ici ou là, si l’on en juge par la multiplication des propositions sur l’union économique, la défense, la commande publique, les travailleurs détachés ; le sentiment de plus en plus partagé qu’on sort d’une décennie perdue… tout incite à une reprise du chantier de la réforme. L’analyse développée ici nous conduit à privilégier l’achèvement prioritaire de l’Union bancaire et ce pour trois raisons. La première est que le meilleur moyen de consolider l’eurozone est d’achever l’Union bancaire. Casser le doom loop doit rester la priorité, or la fragilité des banques italiennes n’a pas disparu avec la recapitalisation de Monte Paschi di Sienna. La deuxième est qu’il suffit de mettre en œuvre l’intégralité des engagements déjà pris en juin 2012. Nul besoin de lancer un nouveau grand chantier entre les 19 ou les 27. La troisième est que l’obstacle allemand est peut être plus facile à lever dans ce domaine que dans les autres. On dispose en effet de tous les instruments nécessaires pour discipliner les pays qui ont des difficultés avec leur système bancaire : ils ont le choix entre la conditionnalité souple, acceptée par les Espagnols, ou une adaptation plus brutale pilotée par les marchés.
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