Le réflexe pavlovien de la taxe edit
Augmentons les taxes ! Créons un impôt spécifique, durable ou ponctuel ! Rétablissons l’ISF ! Cet appel circule et s’amplifie désormais de média en média. Il y a là une forte concurrence avec l’autre appel à la suppression de la dette publique par les banques centrales, qui veut faire croire qu’une logique de repas gratuit peut être indolore et sans conséquence. Il faudrait maintenant choisir entre ces ceux options, qui nous paraissent aussi peu fondées l’une que l’autre, même si elles se nourrissent de sentiments légitimes, la correction des inégalités d’un côté, le financement de la transition écologique de l’autre. Mais on n’évoquera ici que celle de la taxe, l’autre du repas gratuit ayant déjà reçu de nombreuses réponses.
La solution à la hausse de l’endettement public durant la crise COVID serait là : la taxe. Qu’importe que la France soit déjà championne toute catégories de la taxation avec le succès économique que l’on connait bien ; qu’importe les effets récessifs qu’aurait une taxe supplémentaire sur les comportements ; qu’importe la disproportion entre cette solution et le problème auquel elle veut répondre : l’appel est lancé et s’amplifie. Un problème ? Une taxe pour y répondre. Autrefois marqueur de la gauche, ce réflexe pavlovien s’est maintenant élargi à tout l’éventail politique, même s’il garde une résonnance particulière chez ceux qui se veulent progressistes. D’ailleurs, durant la crise, ceux qui n’ont pas pu ou voulu consommer du fait des confinements ou de la peur d’être infectés ont accumulé de l’épargne. Ils se seraient ainsi enrichis ! Au nom de la solidarité et de l’intérêt général, il faudrait donc les taxer sur cette épargne, et leur éventuelle mauvaise grâce à payer ne pourrait qu’être l’expression d’un égoïsme bien déplacé dans les circonstances actuelles. La belle affaire… Il nous paraît clairement que la baisse du ratio dette/PIB doit prendre d’autres voies. Essentiellement la croissance et, au sortir de la crise, l’élimination du déficit structurel. Chercher ailleurs la solution serait renforcer des difficultés françaises déjà structurellement fortes. Mais revenons aux faits.
Durant cette crise de la COVID-19, la dette de l’Etat et plus globalement des administrations publiques connaitra une hausse vertigineuse. Une telle évolution est observée dans tous les pays, en particulier les pays avancés dans lesquels le jeu des stabilisateurs automatiques est puissant. En France, d’environ 100 % du PIB fin 2019, avant la pandémie, la dette pourrait monter à 120 % du PIB en 2022, au sortir de cette crise, quand l’activité aura retrouvé son niveau d’avant crise. Cette hausse de l’endettement à deux causes directes. Tout d’abord les dépenses liées au déploiement de fortes et couteuses mesures de soutien, comme par exemple les dispositifs d’activité partielle ou le fond de solidarité, qui ont permis d’éviter l’effondrement de notre économie, des vagues de faillites d’entreprises et le licenciement de millions de salariés. Ensuite et surtout la baisse mécanique des recettes fiscales et sociales, induite par la baisse de l’activité. Il est responsable d’envisager les voies d’un désendettement relatif dans la période post-crise, car la charge de cette dette deviendrait sinon très lourde pour les finances publiques quand les taux d’intérêt s’orienteront à la hausse. Il était approprié de s’endetter pour amortir économiquement et socialement le choc de la crise, alors même que les taux d’intérêt sont très bas grâce à l’action des Banques centrales, il le sera tout autant de retrouver la maitrise de la dette au sortir de la crise. Il faut le rappeler : la meilleure manière de lutter contre un accroissement des inégalités, l’envolée de la précarité, et la montée de la pauvreté a été la politique du quoiqu’il en coûte et il n’est nul besoin d’envisager une taxation punitive pour résorber les effets financiers d’une politique de soutien aux revenus des ménages.
Des 36 pays de l’OCDE, la France est celui dans lequel le taux de taxation moyen (exprimé en pourcentages du PIB) est le plus élevé, et également l’un de ceux, sinon celui, dans lequel le taux de taxation marginal l’est le plus. C’est aussi le pays dans lequel le taux des dépenses publiques (exprimé aussi en pourcentages du PIB) est le plus élevé. On peut vouloir conforter cette première place sur le podium de l’étatisation, avec panache en augmentant encore les prélèvements. On peut aussi remarquer que tous les indicateurs économiques mobilisables montrent clairement que cette logique est loin d’avoir été un succès : avant la crise de la COVID, la France était l’un des rares pays avancés souffrant d’un chômage massif structurel, les autres étant le plus souvent au plein emploi. Elle se singularisait aussi par un déficit courant structurel (14 années consécutives, excusez le peu), et par des finances publiques dégradées (le dernier excédent fiscal remonte à 1974 et la dette publique est passée de 20 % du PIB en 1980 à 100 % en 2019). Des prélèvements élevés ont des effets distorsifs sur l’offre de travail, sur l’innovation, et sur le dynamisme des entreprises et donc l’emploi. Faut-il encore poursuivre une démonstration économique que notre pays fournit déjà depuis longtemps, avec une persévérance qui doit être soulignée, au monde entier ? Peut-être peut-on éviter cette nouvelle démonstration… D’ailleurs, les ordres de grandeurs sont le plus souvent ignorés dans ce débat. Les 20 points de PIB que représentent la dette COVID correspondent donc à 450 milliards€, soit sept fois le rendement de l’impôt sur le revenu de 2019. La disproportion est encore plus abyssale avec l’ISF que certains préconisent de restaurer pour le remboursement de la dette COVID : au mieux, en supposant une absence de tout comportement des assujettis potentiels, ce rétablissement rapporterait chaque année 2,5 milliards€ soit 0,5 % de la dette COVID. Et la France renforcerait sa spécificité fiscale : seuls deux autres pays européens, la Suisse et la Norvège, pratiquent un tel prélèvement sous des formes spécifiques.
La croissance doit être la voie privilégiée de désendettement. Pour cela, il faudra une demande et une offre dynamique. La dynamisation de la demande appelle la mobilisation sous forme de consommation du surcroit d’épargne accumulé durant la crise, et évalué pour la France à 100 à 130 milliards€ sur l’année 2020. Deux conditions doivent être réunies pour que cette mobilisation soit la plus forte. Tout d’abord, la fin des risques sanitaires, et donc le succès de la campagne de vaccination. Ensuite l’assurance qu’il n’y aura pas de hausse de la taxation, car cette menace transformerait l’épargne de non consommation pour raisons sanitaires en épargne de précaution fiscale. Les pouvoirs publics se sont mobilisés sur ces deux volets et il faut les en féliciter. La dynamisation de l’offre appelle quant à elle la mise en œuvre de réformes structurelles fortes, et par exemple de politiques industrielles et de l’innovation ambitieuses. L’alourdissement de la fiscalité serait contraire à cette ambition. Plus globalement, tout impôt COVID spécifiquement introduit en France réduirait l’attractivité de notre pays qu’il s’agit au contraire de renforcer.
Dans un second temps, l’inversion de la courbe de la dette publique nécessitera l’élimination du déficit primaire et un financement pérenne des dépenses budgétaires et sociales. Nous ne pratiquons pas le fétichisme de la réduction de la dette publique et nous savons que ce n’est pas la priorité du moment ne serait ce que parce que les taux d’intérêt sont bas, qu’ils sont inférieurs au rythme de croissance et qu’il y a un appétit pour la dette française. Mais il faut savoir se projeter et savoir d’où on vient.
A ceux qui y sont opposés et qui invoquent les risques d’un désengagement de l’Etat pouvant conduire à une hausse des inégalités, rappelons que les pays nordiques et scandinaves, parmi d’autres, dépensent et prélèvent moins, et exhibent pourtant des niveaux d’inégalités transversales et longitudinales bas et enviables. Une plus grande intervention publique doit passer par une efficacité renforcée et une dépense financée. La défiance est particulièrement basse dans les pays nordiques et scandinaves et les citoyens y ont plus souvent qu’ailleurs le sentiment d’en avoir pour leur argent concernant l’intervention publique. Une dépense publique maitrisée et efficace contribuerait à réduire le niveau de défiance très élevé en France, où chacun veut plus de dépenses à son profit et plus de prélèvements sur les autres. Et cela contribuerait à l’indispensable soutenabilité de la dette publique.
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