Italexit, la crise qui n'a pas eu lieu edit
Le scénario était écrit d’avance. Des banques en difficulté sommées par la BCE de se recapitaliser mais qui ne parviennent pas à lever des capitaux sur le marché à cause de leurs créances douteuses du poids de la réglementation qui déprime la rentabilité et d’une économie atone. Un pouvoir politique englué dans un rérérendum constitutionnel mal conçu et transformé en plébiscite contre Renzi. Une telle situation ne pouvait que produire le pire si le Premier ministre perdait son rérérendum et que l'instabilité politique s'installait à nouveau : effondrement des banques, divergence des spreads de taux souverains, panne de la réforme. Dans une version plus pessimiste encore la crise financière intervenant dans le vide politique accélérait la tenue d’élections dont Cinque Stelle tenait les clés favorisant ainsi une spéculation sur la sortie de l’Italie de l’Eurozone (Italexit).
Mais Renzi a perdu largement et la crise n'a pas eu lieu. Pire ou mieux, les actions bancaires se sont envolées et les spreads de taux ont à peine bougé ! Est-ce un effet du bon fonctionnement de l'Union bancaire, ou à l'inverse un retour aux vieilles pratiques du bail out, c'est-à-dire de la mise à contribution du contribuable en cas de défaillance bancaire ? Est-ce un effet de la résilience du système politique Italien ?
L'affaire de la recapitalisation de Monte Dei Paschi di Sienna (MDPS) est éclairante à de multiples titres, sur la situation financière italienne certes, mais aussi sur les liens entre régulation financière et régime des aides d’État, entre supervision européenne et résolution nationale, entre application des règles et choix politique discrétionnaire.
Au départ, la BCE fait le constat d'une insuffisance des fonds propres de MDPS et demande une recapitalisation. La banque porte près de 40 milliards de mauvais risques (42% de son encours de crédit) mais ne dispose que de 9 milliards de fonds propres. Elle doit donc se recapitaliser d’urgence malgré plusieurs recapitalisations passées qui se sont avérées insuffisantes.
MDPS, qui perd tous les jours des déposants, se tourne vers le gouvernement. Pour éviter la procédure de résolution prévue par la Directive BRRD (Bank Recovery and Resolution Directive) qui aurait conduit à la dilution massive des actionnaires et à la ruine des petits détenteurs de dette obligataire émise par la banque (8% des passifs doivent être sacrifiés avant toute injection de fonds publics), le gouvernement italien, avec l'aide de JPMorgan et Mediobanca, imagine un dispositif permettant de sortir et de titriser une partie des mauvaises créances (27,7 milliards) et de garantir une recapitalisation de 5 milliards d'euros par un syndicat de banques internationales. Cette solution très problématique au regard du droit européen car ultimement garantie par l’État Italien a été tentée malgré tout. Le Fonds Atlante créé à l’initiative de l’État et mettant à contribution les banques italiennes plus saines devait prendre 1/3 du portefeuille, la Caisse des Dépôts italienne devait prendre un 2e tiers, et le fonds GAGS garanti par l’État devait prendre le 3e tiers.
C’est ce plan qui a échoué en décembre. MDPS n'a pu se défaire de ses mauvaises créances ; elle n'a pas trouvé d'actionnaires pour se recapitaliser (la conversion de créances en actions n’a apporté que 2,5 milliards de capital) et ne peut accepter une procédure européenne de résolution car elle aboutirait aux sacrifices de petits épargnants gorgés d'obligations bancaires (près de 40 000).
Afin d'éviter que MDPS subisse une résolution menée selon la procédure du bail in, une « recapitalisation de précaution » a été lancée. Elle consiste en une conversion volontaire de créances en actions imposée aux investisseurs institutionnels, en une conversion en dettes senior des obligations détenues par les petits porteurs, une garantie de liquidité par l’État et une nationalisation partielle sur fonds publics. Le gouvernement Gentiloni a en effet décidé de créer un fonds de 20 milliards d’euros financé par de la dette publique pour venir en aide aux banques en difficulté et pour garantir les petits porteurs d’obligations bancaires.
La recapitalisation de MDPS est un triple révélateur.
La crise bancaire italienne, à présent manifeste avec le risque de faillite de la plus vieille banque mondiale, aujourd’hui 3e prêteur transalpin, est appelée à durer.
Les mécanismes de l’union bancaire ne marchent pas et le lien pervers entre dette souveraine et dette bancaire n’a pas été cassé. En cas de risque systémique, le recours à l’État semble toujours inévitable. Au grand dam des Allemands les banques restent protégés par le syndrome du too big to fail (TBTF), les contribuables ne sont pas à l’abri et l’application de la directive BRRD se heurte à des obstacles politiques (la protection des petits épargnants). Si la crise continue et si l’État Italien intervient sans risque pour sa dette c’est que la BCE fait son travail avec le Quantitative Easing et empêche la charge de la dette souveraine italienne de s’envoler.
Revenons sur ces différents points.
Les banques italiennes portent 390 milliards d'euros de créances douteuses très insuffisamment provisionnées. Cette situation vient de loin : atonie de la croissance depuis 20 ans, surbancarisation et mauvaise gestion aggravée par la baisse des taux et le refus jusqu’ici de toute consolidation significative, recapitalisations gaspillées. L’interpénétration d’intérêts économiques et politiques locaux, l’incapacité à liquider les mauvaises créances à cause de la vétusté et de la paralysie du système judiciaire et l’instabilité politique qui a interdit jusqu’ici toute réforme d’envergure expliquent la situation présente et son caractère durable.
C’est précisément parce que les autorités européennes étaient conscientes du péril pour la stabilité de l’euro de l’intrication entre banques nationales et dettes souveraines qu’ils avaient voulu rompre ce lien en créant l’Union bancaire et en transférant la supervision à la BCE. Le cas MDPS montre qu’on ne peut laisser au marché le soin de recapitaliser une banque systémique, pas plus qu’on ne peut la laisser ruiner des petits épargnants : l’intervention de l’État chassé par la porte (la Directive BRRD) revient par la fenêtre (au nom de la politique domestique).
La « recapitalisation de précaution » est prévue par les textes, elle ne viole donc pas les règles européennes, elle a de plus le mérite de contribuer à assurer la viabilité d’une banque majeure pour le bon fonctionnement du système. Mais le dispositif ne trompe pas grand monde : c’est bien le contribuable italien qui est appelé à la rescousse directement à travers la recapitalisation, indirectement à travers la conversion d’une dette junior en dette sénior. Du reste le fonds de 20 milliards est appelé à servir, tant la liste des banques à aider s’allonge (MDPS consommera à lui seul 4,6 milliards d’euros).
Enfin sans l’action de la BCE et de son programme de rachat massif de dettes souveraines, mais aussi de dettes d’entreprises, la crise bancaire aurait muté en crise obligataire majeure avec un renchérissement immédiat des conditions de financement pour le premier emprunteur européen. C’est donc la BCE et non l’Union bancaire qui agit comme pare-feu soulignant au mieux l’incomplétude de l’Union bancaire, au pire son premier échec. Comme il fallait s’y attendre, les Allemands ont protesté vigoureusement contre ce dévoiement de la règle commune dont l’application n’a démarré pourtant que le 1/1/2016.
Que conclure : de crise évitée en crise évitée le scénario est le même. La règle commune peut être transgressée et le sauvetage nécessaire organisé au bord du précipice mais les institutions inventées à la faveur de la crise, qu’il s’agisse de l’ESM ou de l’Union bancaire, sont toujours des constructions incomplètes qui ne permettent pas de faire face durablement à des crises anticipables. Quelle logique y a-t-il à créer l’Union bancaire et à vouloir ainsi rompre le lien pervers entre dettes souveraines et privées s’il n’existe pas de dispositif européen pour traiter un cas comme celui de MDPS ? Qui peut croire qu’on a réglé le problème en prohibant l’intervention publique et en abandonnant la résolution au régulateur européen et au marché ?
Certes l’intervention de l’État national en cas de risque de faillite bancaire recrée de l’aléa moral, mais comment l’éviter si le fonds de résolution n’a pas les moyens d’intervenir ? Au delà du cas de MDPS, comment éviter les interventions à répétition du Gouvernement Italien si l’édifice de l’UB n’est pas parachevé ?
Enfin cette crise révèle une fois de plus l’hétérogénéité des systèmes financiers européens et les pratiques peu orthodoxes de certaines banques. Le cas des détenteurs de dette bancaire junior trompés par leur propre banque sur le risque encouru en est un exemple. Le drame est qu’on ne peut pas plus faire abstraction de ces caractéristiques nationales, car la politique se venge, et les éliminer sans moyens mutualisés. Derrière la façade de la restauration la crise continuera à bas bruit avec la complicité active des institutions européennes.
Faut-il alors voir dans le remplacement rapide de Matteo Renzi et dans l’intervention tout aussi rapide du gouvernement Gentiloni l’explication de la crise évitée à court terme même si les faiblesses structurelles de l’Italie, politiques et économiques, continueront à peser ? L’appréciation positive des marchés tient en réalité à trois facteurs.
D’abord, un gouvernement Renzi sans Renzi est perçu comme le gage d’un dénouement rapide de la crise institutionnelle : la réforme constitutionnelle rejetée rend paradoxalement la réforme du mode de scrutin plus facile. Exit l’Italicum, retour au passé et aux stratégies d’alliances.
Ainsi les chances d’une victoire de Cinque Stelle aux prochaines élections reculent. La perspective d’une sortie de l’euro s’éloigne donc aussi.
Enfin le retour « à la normale » de l’Italie et la puissance de feu de la BCE dirigée par Mario Draghi éloignent la perspective de la crise aigue.
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