Export : pourquoi les Français perdent la main edit
Pour parler des performances commerciales de la France, fallait-il comparer avec l'Allemagne, comme nous venons de le faire dans un rapport du Conseil d’Analyse Economique ? Les deux pays, qui partagent la même monnaie, ne sont plus soumis à la contrainte extérieure qui prévalait avant l’introduction de l’euro. La France et l’Allemagne ne se sont vu appliquer ni les mêmes politiques (macro-économiques, marché du travail), ni les mêmes stratégies d’entreprises. Et surtout le résultat de ces choix en matière de croissance économique n’a finalement été en défaveur de la France que sur la toute fin de période. Il n’empêche, les performances exportatrices comparées sont un bon miroir des capacités et stratégies d'adaptations des deux pays aux conditions renouvelées de la concurrence mondiale. Par ailleurs, le caractère frontal de la concurrence que se livrent souvent les entreprises françaises et allemandes font que les parts de marché perdues par les unes sont souvent gagnées par les autres.
Le décrochage des parts de marché françaises par rapport à l'Allemagne est bien établi. Si l'on considère les parts de marché mondiales à l'exportation de biens et services, l’Allemagne fait mieux que la France depuis 2000. De 1995 à 2000 les deux pays font moins bien que le reste de l’OCDE, qui elle-même recule au profit des pays émergents. De 2000 à 2003 la France cesse de perdre des parts de marché par rapport à l'OCDE mais l'Allemagne fait mieux que l’OCDE. Depuis 2004 la France fait beaucoup moins bien que l'Allemagne mais aussi que le reste de l'OCDE. Au final la France a aujourd’hui abandonné 30% de sa part de marché de 1995 (soit deux fois plus que le reste de l’OCDE) alors que la perte de l’Allemagne se limite à 5%. La divergence entre les deux pays est encore plus nette à l'intérieur de l'Union européenne et pour les produits technologiques.
L’examen de données macroéconomiques mais surtout microéconomiques détaillées par produits, marchés de destination et firmes, obtenues auprès des Douanes pour les biens, et de la Banque de France pour les services, permet de poser un diagnostic assez riche sur les causes du « décrochage » français.
Tout d’abord, contrairement à une thèse répandue, les différences de structures géographique ou sectorielle des exportations entre la France et l’Allemagne jouent un rôle mineur. Même si l’Allemagne profite d’un positionnement géographique légèrement plus favorable, les deux pays disposent de spécialisations sectorielles plutôt avantageuses. En réalité, de 2000 à 2005, les exportateurs français ont surtout perdu des parts de marché là où ils étaient spécialisés : les positions ne sont pas tenues.
Ces reculs français s’expliquent en partie par l’incapacité récente à soutenir la concurrence en prix – singulièrement celle exercée par les exportateurs allemands. En dépit des différences de spécialisations entre l’Allemagne et la France, la concurrence allemande est en effet celle la plus souvent rencontrée par les exportateurs français. En moyenne un exportateur français a 8 « chances » sur 10 de rencontrer un concurrent allemand vendant le même produit sur le même marché.
Cette confrontation quasi systématique rend les performances des deux pays particulièrement sensibles aux conditions de compétitivité-prix relatives. Or les concurrents allemands ont réduit leurs coûts salariaux et plus délocalisé (généralement en Europe centrale et orientale) la fabrication de composants. L’écart de prix justifié par la différence de positionnement en gamme supérieur de l’Allemagne (correspondant à une prime d’environ 8% par rapport à la France en termes de prix de vente) n’a pas toujours pu être maintenu, ou l’a été au prix d’une compression des marges n’offrant qu’un répit limité.
Ces pertes de performance sont éclairées par les données individuelles de firmes. On observe ainsi dans le cas français : (i) un recul du nombre d’exportateurs ; (ii) un recul des champions à l’exportation ; (iii) recul non compensé par la croissance des exportateurs moyens ; (iv) une forte mortalité des entrants, qui s’aggrave en fin de période. Ces difficultés ne concernent pas que les biens : les performances sont souvent plus défavorables encore dans les services.
Ne nous trompons pas sur le sens de la causalité. On ne devient pas efficace en exportant. Mais on n’exporte que si l’on est efficace. Les exportateurs français emploient 3,6 fois plus de salariés que les non exportateurs, ils versent des salaires et réalisent des marges 16% plus élevés. Ces meilleures performances apparaissent à la grande exportation (hors d’Europe) et pour les exportateurs « multi-marchés ». L’exportation est donc une étape couronnant une stratégie de développement cohérente. Observer moins d’exportateurs est donc le révélateur d’une baisse du nombre d’entreprises efficaces en France.
Alors, moins d’entreprises françaises efficaces ? Ou moins d’entreprises efficaces en France ? La différence est de taille ! Si les champions français ont vu leurs performances à l’exportation se réduire sensiblement dans les années 2000, cela ne signifie pas pour autant que leur capacité à vendre sur les marchés étrangers recule. Les chiffres d’affaires (et les profits) sont de plus en plus tirés par l’implantation à l’étranger ou par l’exportation depuis d’autres localisations que la France. Les firmes allemandes ont à l’inverse fortement puisé dans la réserve de compétitivité procurée par la fourniture de biens intermédiaires et composants à l’étranger. Une grande partie des écarts de « performances » exportatrices entre les deux pays résulte de ces choix de stratégie d’internationalisation.
Ces choix sont en partie dictés par les conditions de compétitivité comparées des différents sites de production en concurrence, mais il est possible que la mauvaise qualité du dialogue social ou plus généralement le manque de confiance entre acteurs au sein des entreprises françaises ait conduit plus que dans d’autres pays à des choix de localisation en défaveur du territoire national. Parallèlement, des marchés des biens et services plus concurrentiels dans lesquels les PME en croissance peuvent plus facilement contester des positions acquises seraient propices au renouvellement de l’offre productive et, incidemment, au renouvellement des champions français à l’exportation. Concurrence et confiance : un beau programme de politique économique.
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