De l’utilité du «crime de guerre» dans le débat politique edit

26 octobre 2023

Mathilde Panot, dans son intervention lors du débat du 23 octobre à l’Assemblée nationale, a semblé renvoyer dos à dos le Hamas et Israël en parlant des « crimes de guerre commis par le Hamas et de ceux commis par le gouvernement Netanyahou ». Elle a martelé cet argument tout au long de son intervention. Dès le lendemain des événements du 7 octobre, les Insoumis avaient refusé de définir le Hamas comme une organisation terroriste et, au terme de raisonnements passablement alambiqués, l’avaient néanmoins accusé d’avoir commis des « crimes de guerre » (voir les déclarations de Manuel Bompard sur France info). L’argument de Jean-Luc Mélenchon selon lequel « si nous acceptions de caractériser comme terroriste une action de guerre, nous la soustrairions au droit international », est une argutie, car le fait que l’Union européenne et les États-Unis aient désigné le Hamas comme une organisation terroriste n’a pas empêché la Procureure de la CPI de considérer, en 2019, que le Hamas s’était rendu coupable de crimes de guerre en 2014.

Dans le Monde du 11 octobre, Elias Sanbar, un intellectuel palestinien, a priori « modéré » (cofondateur de la Revue d’études palestiniennes et ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO) livre un raisonnement du même ordre que celui des Insoumis consistant à mettre sur le même plan ce qu’il considère être des crimes de guerre israéliens (sans vraiment les définir ni les documenter) et les exactions que venait de commettre le Hamas et qu’il qualifie également de crimes de guerre. Et il conclut froidement : « les crimes de guerre sont consubstantiels à toute guerre ».

Il faut revenir au droit. Qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Les Nations Unies le définissent notamment comme « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités ». Le tout est évidemment d’apprécier le caractère ou non intentionnel de ces attaques. Dans le cas de celles menées par le Hamas le 7 octobre, cela ne fait aucun doute. Il est clair qu’elles s’inséraient dans un plan méthodique d’assassinats prémédités de civils. Dans le cas de la riposte israélienne, LFI prétendra certainement qu’elle vise délibérément à châtier la population de Gaza sans faire aucune distinction entre les civils et les combattants. Israël prétend le contraire en affirmant qu’il s’agit d’une riposte proportionnée contre les combattants et les installations militaires du Hamas, riposte qui cherche autant que possible à épargner les civils. Dans le fracas de la guerre en cours l’observateur impartial ne peut évidemment trancher définitivement. C’est l’histoire qui tranchera lorsque la poussière sera retombée. Mais l’essentiel n’est peut-être pas là.

En effet, si l’on poursuit la lecture des attendus de la définition du crime de guerre, on lit également ceci : « à l’inverse des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité, les crimes de guerre ont toujours lieu lors d'un conflit armé, international ou non ». Le crime de guerre enfreint bien les lois de la guerre, mais le groupe qui le commet le fait dans le cadre d’une lutte armée. Le Hamas est ainsi placé au rang d’une armée qui défend les intérêts d’un peuple. Il peut avoir commis des exactions, mais après tout cela peut être le fait de membres dévoyés, sans conduire à condamner « l’armée » en question dans son ensemble ou ses dirigeants politiques. Cela lui confère une certaine légitimité dont il ne pourrait pas bénéficier, s’il était simplement défini comme une organisation terroriste. On comprend bien la logique politique qui a conduit LFI à refuser à le définir ainsi.

Crime de guerre ou crime contre l’humanité?

Mais les crimes commis par le Hamas le 7 octobre rentrent-ils bien dans la catégorie des crimes de guerre ? Ne rentrent-ils pas plutôt dans celle des crimes contre l’humanité ? Voici la définition que donne de ces derniers l'article 7 (1) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale : « les crimes contre l'humanité ne doivent pas nécessairement être liés à un conflit armé et peuvent également se produire en temps de paix, comme le crime de génocide ». Ils comportent des actes tels que le meurtre et l’extermination, « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile ». Et le texte ajoute : « Sous l’angle contextuel, les crimes contre l'humanité impliquent soit une violence à grande échelle, eu égard au nombre de victimes ou à l'importance de la zone géographique (généralisée), soit une forme de violence méthodique (systématique). Sont exclus les actes de violence aléatoires, accidentels ou isolés. En outre, l'article 7, paragraphe 2 a), du Statut de Rome dispose que les crimes contre l'humanité doivent être commis en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque. Le plan ou la politique ne doit pas nécessairement être explicitement stipulé ou formellement adopté et peut, de ce fait, être déduit de l'ensemble des circonstances. »

L’attaque du Hamas du 7 octobre n’a-t-elle pas eu lieu en temps de paix, même si, nul ne l’ignore, le contexte est celui d’un conflit larvé, mais certainement pas d’une guerre ouverte entre deux armées au moment où a été déclenchée l’attaque ? On accuse plutôt aujourd’hui le gouvernement Netanyahou d’avoir conclu un pacte faustien avec le Hamas. N’a-t-elle pas consisté en une « attaque systématique » contre des populations civiles ? N’a-t-elle pas relevé d’une « violence méthodique » ? L’organisation en cause ne l’a-t-elle pas programmé minutieusement ? Il faudra laisser aux juristes le soin de trancher la question, mais bien des éléments semblent aller dans le sens d’un crime contre l’humanité.

En tout cas, on voit bien ce qu’il y a de spécieux à assimiler les crimes que le Hamas a commis le 7 octobre aux crimes de guerre éventuellement commis (s’ils sont avérés[1]) par l’armée israélienne dans sa riposte militaire.

Ce cas n’a évidemment rien à voir avec le massacre perpétré par le Hamas, délibéré, ciblé et de masse de populations civiles, des personnes désarmées tuées froidement parce qu’elles sont juives. Ces massacres ne sont pas les dégâts collatéraux d’une guerre, ils sont le résultat d’un plan méthodique d’assassinats prémédités. La mise en équivalent des « crimes de guerre » israéliens et de l’attaque du Hamas sur les populations civiles est donc totalement fallacieuse. Mais elle est politiquement utile. Car elle permet de dédouaner, au moins partiellement, le Hamas. Si le crime de guerre est « consubstantiel à la guerre » et que les meurtres commis par le Hamas sont de ce registre, ils s’apparentent effectivement à des dégâts collatéraux et évitent de disqualifier radicalement ceux qui les ont commis.

Bien plus ils confèrent au Hamas le prestige d’une « armée » victorieuse (même si elle emploie des moyens atroces au nom de la supposée défense du peuple palestinien). C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle aboutit notre intellectuel palestinien « modéré » puisqu’il écrit, dans le prolongement de son raisonnement, que le Hamas, à la suite de cette attaque, a «  marqué un énorme point » et « apparaît aujourd’hui comme le porte-étendard de la résistance. Que cela plaise ou non c’est la réalité », dit-il. Et il enfonce le clou en disant qu’on ne peut pas critiquer Mahmoud Abbas de ne pas avoir condamné l’attaque du Hamas. Il se félicite que Abbas ne soit pas un « traître » en refusant de faire cela.

Pour finir, on peut s’étonner, et s’attrister, de constater la faible indignation qu’ont suscitée en France les massacres de civils israéliens du 7 octobre. Il est bien légitime que l’opinion soit sensible au sort du peuple gazaoui, prisonnier du Hamas (encore que cet argument soit peu mis en avant), au bord d’une grave crise humanitaire et soumis aux bombardements israéliens. Mais pourquoi ce relatif silence au sujet de ces horribles meurtres ? L’opinion est pourtant massivement convaincue que les attaques du Hamas du 7 octobre constituent bien « un crime contre l’humanité » (89% d’accord, sondage Ifop des 11 et 12 octobre), mais cette conviction n’a pas débouché sur des manifestations, des pétitions, des tribunes collectives d’intellectuels ou d’artistes. LFI, et sans doute une partie de la gauche française – pour des raisons qu’il faudra analyser – a en tout cas entretenu une euphémisation du drame du 7 octobre qui conduit peu à peu à l’invisibiliser ou à le banaliser.

 

[1] Israël a-t-il commis des crimes de guerre par le passé ? Il y a des débats juridiques à ce sujet et certaines ONG l’en accusent. Mais ces éventuels crimes de guerre s’ils ont eu lieu, ont eu pour théâtre de véritables guerres (la guerre du Liban de 2006 par exemple) et d’affrontements armés ayant fait des victimes civiles parmi les Palestiniens.