Démocratie et République edit
En principe, nous sommes en démocratie, c’est-à-dire en débat permanent sur nos affaires communes, et en République, c’est-à-dire doté d’un gouvernement qui prend des décisions et les fait appliquer selon l’idée qu’il se fait de l’intérêt général. On évite ainsi que le débat permanent paralyse l’action publique et que le caractère républicain ne tombe dans une autorité sans limites. Quand la décision est prise, elle est administrée ; cependant le débat est toujours ouvert, il est toujours permis de dire et de publier que le choix était mauvais, qu’on n’a pas pris en compte tel ou tel élément, ou qu’il faut refaire la décision...
Les discours abondent sur le caractère antidémocratique que contiendrait l’article 49 dans son alinéa 3, alors qu’il répond pleinement à ces objectifs républicains, démocratiques et à la conciliation de ces deux tendances opposées et complémentaires, centripètes et centrifuges, d’unité et de diversité, de rassemblement et de dispersion. Il est satisfaisant et régulier que le gouvernement puisse avoir les moyens de faire fonctionner l’État. Le gouvernement dépend du Président élu et est responsable devant les députés, élus. Que son pouvoir passe quelquefois dans des procédures encadrées devant celui des députés ne saurait constituer un dommage en soi.
À rebours, trouver le 49,3 antidémocratique constitue un dérapage systémique qui crée un dommage fort à notre fonctionnement collectif, abime fortement la politique en en abimant les représentations mentales de base.
Les nouveaux médias poussent fortement à créditer un discours répété abondamment et qui fait beaucoup d’adeptes. Il a toujours été vrai que la répétition fait fonction de raisonnement, voire de preuve. Il ne date pas d’aujourd’hui que l’adhésion à une idée ou un courant d’idées passe aussi par l’appartenance au groupe qui porte cette idée. Plus on est nombreux, plus on est serrés, proches les uns des autres, plus le sentiment d’avoir vu juste, d’avoir raison grandit en intensité. Avec nos agoras du web, improprement appelées « réseaux sociaux », cette tendance a pris une force jamais égalée. Ainsi se bâtit, se tient et s’entretient cette accusation sur le 49,3.
On voit des élus tenir des discours de chefs de guerre, des harangues de fierté, ne parlant que du fait que le nombre est en train de donner la victoire, pour ceux qui voient une victoire dans le retrait de la loi réformant les retraites ; ce qu’ils présentent au moins implicitement comme une raison de rallier les indécis pour augmenter ce nombre.
Surtout, cette déclaration que le 49,3 est un déni de démocratie est elle-même un déni de démocratie, et de République.
Historiquement, les constituants de 1958 ont rédigé l’alinéa 3 de l’article 49 de la nouvelle Constitution dans le but d’établir un nouvel équilibre des forces entre le gouvernement et l’Assemblée au bénéfice du gouvernement, afin que les décisions républicaines puissent être prises. Le gouvernement engage sa responsabilité pour mener son action et les députés peuvent faire tomber ledit gouvernement. Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO en 1958, était favorable à cet article, qui valait contrôle du gouvernement par le parlement, à l’inverse de l’interprétation qui court actuellement, selon laquelle le parlement serait écrasé par le gouvernement.
En 2008, une réforme constitutionnelle a restreint l’usage de cet alinéa aux lois de finance ou de financement de la sécurité social, et à un projet ou proposition de loi par session parlementaire.
Les discours qui parlent de coup de force du gouvernement sont trompeurs : la force peut revenir, au final, à l’Assemblée. Le gouvernement prend un risque. A l’Assemblée de s’organiser pour renverser le gouvernement, ils ne sont pas démis de tout pouvoir, la France reste une démocratie.
D’autre part, la Constitution a été votée par le peuple avec 82% de oui et seulement 17% d’abstentions. À titre de comparaison, le député Louis Boyard a été élu par 20,37% des citoyens inscrits, avec 57,87% d’abstention. Sa faible légitimité devrait l’inciter à un peu de modestie dans l’emploi du mot « peuple ».
La dérive des arguments atteint une critique de la signification des institutions internes elles-mêmes. On ne peut empêcher que les opposants politiques fassent des présentations tendancieuses et seulement partiellement exactes des faits politiques, des projets, des propositions et de la parole des autres. Ce n’est pas le meilleur de la démocratie mais on ne peut rêver d’une rationalité sans faille, d’une courtoisie impeccable, on ne peut rêver d’une démocratie parfaite.
Mais là, les « arrangements » du débat argumentaire atteignent une falsification du sens de la règle du jeu. Ce n’est plus un combat avec des débordements de temps à autre sur le sujet en cause, le combat passe à la signification de la Constitution : une mauvaise compréhension de certaines de ses règles fait l’opinion générale et elle est enclenchée par des élus eux-mêmes. Cela lui donne l’apparence de la légalité.
Le fonctionnement ordinaire des institutions joue de facto un rôle instituant. On y apprend par la pratique courante de quoi sont faites les institutions. Si une interprétation « sauvage » de cet article gagne l’opinion publique par l’insistance d’élus à promouvoir cette interprétation biaisée, on part pour une incompréhension généralisée des relations politiques publiques, on blesse le caractère démocratique du débat et on lance le pays dans un aventurisme qui risque d’être douloureux.
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