Ce que le débat avec Macron nous dit des jeunes Français edit
Le 7 février Emmanuel Macron a débattu pendant quatre heures avec près de mille jeunes de 15 à 25 ans dans un gymnase d’Étang-sur-Arroux, en Saône-et-Loire. Sur la forme l’exercice a été réussi. Le président a engagé un dialogue direct avec les jeunes, et pour qui a souvenir du débat calamiteux de Jacques Chirac avec un panel de jeunes à l’occasion du référendum européen, le contraste est saisissant. Jacques Chirac était parvenu à ce terrible constat qu’il ne comprenait pas les jeunes qu’il avait en face de lui. La distance semblait immense et infranchissable entre le président et son auditoire. Rien ne paraissait pouvoir les rassembler. Rien de tel avec Emmanuel Macron : de l’empathie, parfois de l’émotion, toujours une écoute attentive et des réponses précises (bien que souvent trop longues !). Mais le plus intéressant n’est pas la performance du président (il nous a habitué à ce genre de show dans lequel il excelle). Le plus intéressant c’est ce que cet exercice révèle des jeunes Français. Il dit beaucoup de choses.
Écartons d’abord une limite possible. Nous n’avons évidemment pas, malgré le nombre de jeunes rassemblés, un échantillon représentatif de la jeunesse. On pourra toujours soupçonner par ailleurs, que certains jeunes aient été « choisis » ou désignés par des autorités diverses pour s’exprimer. Mais à l’écoute du débat et en voyant le nombre de mains qui se levaient chaque fois que le président repassait la parole à l’auditoire, on a pu constater qu’il y avait dans cette salle un grand désir de s’exprimer qui ne pouvait pas être téléguidé ou formaté.
C’est d’ailleurs un premier enseignement. Ces jeunes ont besoin de parler et d’être écoutés. Le sont-ils suffisamment aujourd’hui en France ? Un jeune garçon a livré un témoignage émouvant : victime de harcèlement depuis son plus jeune âge, il dit n’avoir jamais été entendu par les autorités scolaires. Ce n’est évidemment qu’un cas isolé mais la France se caractérise sans doute par une culture de la séniorité qui accorde peu de poids à la parole des jeunes. L’école française elle-même ne se distingue pas par sa culture participative. D’une manière plus générale, on a vu dans ce débat des jeunes avides d’informations sur les sujets les plus divers et souvent très pratiques. L’information est aujourd’hui une ressource centrale de la réussite (ne serait-ce que pour pouvoir s’orienter scolairement) et elle est inégalement distribuée. Notre pays a sûrement des progrès à faire dans ce domaine essentiel.
Un second enseignement est de voir à quel point ces jeunes « ordinaires » paraissent éloignés de beaucoup de ceux – dirigeants de mouvements lycéens ou étudiants par exemple – qui sont censés les représenter. Les jeunes qui se sont exprimés à Etang-sur-Arroux ne l’ont jamais fait de manière agressive, jamais de manière polémique, jamais de manière partisane. Ils ont exprimé leurs difficultés, leurs doutes, leurs incertitudes, parfois leurs convictions morales, mais jamais d’invectives ni de violence verbale. Ils n’étaient pas pour autant particulièrement impressionnés (à part quelques-uns) et se sont exprimés de manière très libre, parfois avec humour, parfois avec émotion, jamais avec colère (un sentiment si présent dans la société aujourd’hui). En les écoutant, on se dit que les jeunes n’ont peut-être pas les représentants qu’ils méritent, même si dans le domaine universitaire le paysage a bien évolué avec l’émergence de la FAGE, un syndicat plus pragmatique et moins étroitement politisé que l’UNEF. Les jeunes qui ont participé à ce débat ne sont pas hostiles par principe aux réformes (comme semblent l’être très souvent ces organisations). Simplement, ils ont des questions, des interrogations, parfois des doutes, ils veulent en comprendre les implications pratiques. Par exemple, sur la réforme du lycée, des questions ont été posées sur le choix des spécialités : seront-elles présentes dans tous les établissements ? Comment faire si un lycéen veut suivre une spécialité qui n’est pas représentée dans son lycée ?
Un troisième enseignement, qui fait du bien, est que ces jeunes ne sont ni blasés, ni cyniques. Certes ils sont peu intéressés par la politique, mais ils sont extrêmement sensibles à tout ce qui touche à l’humain. Une jeune fille, Estelle, a livré un témoignage très émouvant et extrêmement engagé sur les autistes, pour défendre leur cause et dénoncer leur stigmatisation. Et pour la première fois dans la salle un tonnerre d’applaudissements s’est déclenché à la suite de son plaidoyer. D’autres jeunes ont parlé de la dyslexie (un thème qui est revenu plusieurs fois) et des souffrances qu’elle occasionnait, du mépris et du rejet qui pouvait l’accompagner dans le cadre scolaire. Eux aussi ont été très applaudis. Ces jeunes sont pour une société inclusive, ils ne sont pas individualistes, ils veulent que les plus faibles soient soutenus. Écartons néanmoins toute naïveté. La jeunesse a plusieurs faces et est loin de montrer toujours un visage idyllique : le harcèlement dont il a été plusieurs fois question dans le débat est le plus souvent le fait d’autres jeunes qui victimisent leurs camarades. Néanmoins, le sentiment collectif, et c’est rassurant, est celui d’une sympathie instinctive avec les victimes et avec les plus faibles.
Enfin, ces jeunes sont des Français comme tous les Français avec des problèmes du quotidien qui sont à la fois plus aigus et moins aigus que ceux que connaît le reste de la population. Plus aigus, simplement parce que les jeunes débutent dans la vie et que la société française n’est sans doute pas particulièrement accueillante pour ces débutants. C’est l’éternelle question (évoquée dans le débat) de « l’expérience » qui est demandée aux jeunes demandeurs d’emploi qui ne peuvent l’acquérir qu’en débutant dans la vie professionnelle… sans expérience. La quadrature du cercle. C’est aussi la question, abordée plusieurs fois, de la mobilité et de son coût : comment faire pour se déplacer, alors qu’on a de faibles revenus, pas de voiture, pour aller suivre une formation ou postuler pour un emploi loin de chez soi ? C’est la question des tout petits revenus ou de l’absence de revenus de ceux qui débutent dans la vie et qui ne sont pas éligibles au RSA. Toutes ces questions pratiques sont essentielles pour les jeunes qui attendent des réponses pragmatiques qui ont peu à voir avec les empoignades du débat politique partisan. Cela n’explique-t-il pas un peu la désaffection des jeunes pour la politique ?
Moins aigus aussi, dans une certaine mesure, parce que les parents, la famille constituent une instance protectrice très forte. L’École également, souvent critiquée en France, est néanmoins derrière les jeunes et beaucoup d’entre eux se sentent protégés et soutenus par leur établissement, leurs enseignants. Plusieurs jeunes, dans le débat, ont ainsi rendu hommage à certaines de ces structures et à leur personnel. La famille et l’école sont des instances protectrices essentielles.
Alors bien sûr, on n’a vu dans ce débat qu’une petite partie de la jeunesse, et plutôt une jeunesse rurale. Les jeunes des zones urbaines périphériques ont bien d’autres difficultés et n’auraient peut-être pas été aussi amènes que ceux rassemblés à Etang-sur-Arroux.
Ces réserves étant faites, ce débat a eu le mérite, pour ceux qui l’ont vu, de mettre à bas certaines images caricaturales de la jeunesse. On peut simplement regretter que le fossé profond qui s’est creusé entre les jeunes et le monde politique contribue à les éloigner de la participation à la vie citoyenne. Pourtant le débat conduit à Étang-sur-Arroux montre qu’ils y auraient toute leur place.
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