Crise des médias: des publics en quête d’information edit
Depuis le début de l’année, la crise des médias redouble d’intensité en Europe et aux États-Unis. Dans ce pays, des titres prestigieux comme le Washington Post ou le Los Angeles Times ont été obligés de recourir à des licenciements massifs pour limiter leurs pertes financières. Les sites internet d’information ne sont pas épargnés. Buzzfeed a fermé et Vice a fortement réduit ses effectifs. La presse régionale est en voie de disparition dans une grande partie du pays.
La situation en France n’est guère meilleure. Tout se passe comme si un écart croissant se creusait entre des médias paralysés par une perte progressive de leurs ressources et donc de leurs moyens rédactionnels et des publics désorientés par une offre d’information qui correspond de moins en moins à leur demande.
Une vaste enquête sur les Français et l’information
Pour y voir plus clair, l’Arcom, l’autorité en charge de la régulation de l’audiovisuel en France, a commandé une vaste étude portant sur un échantillon de 3335 personnes et dont les conclusions éclairent utilement un paysage médiatique confus et sans repères.
Selon l’enquête 94% des Français déclarent s’intéresser à l’information – mais pas n’importe laquelle. La santé et le mode de vie et l’environnement et l’écologie recueillent 70% d’avis positifs mais la politique vient en avant dernière position avec seulement 47% qui se déclarent intéressés.
Globalement ils s’estiment plutôt bien informés mais avec, là aussi de sérieuses différences. Les nouvelles sportives sont plébiscitées avec 91% d’opinions favorables. Il n’en va pas de même pour la politique qui ne satisfait que 50% des personnes interrogées on constate la même déception pour les informations sur l’environnement.
Cette forte marque d’intérêt s’accompagne cependant d’un phénomène qu’on retrouve dans la plupart des pays européens : la lassitude face à des flots de nouvelles déversées sur les réseaux sociaux. 61% des Français déclarent éviter l’information parfois ou souvent.
L’enquête confirme que si 80% des Français regardent au moins une fois par semaine un journal télévisé, ils sont 53% et notamment les jeunes à s’informer par les réseaux sociaux et les plateformes de vidéo comme YouTube ou Tik Tok. En revanche, 34% seulement consultent un quotidien ou un magazine ce qui confirme le déclin irréversible du papier.
Ces données ne font que confirmer une évolution de grande ampleur en Europe et aux États-Unis, elles conduisent à se poser la question de la crédibilité des informations diffusées sur internet et des réactions du public. Sur ces points l’enquête apporte des précisions intéressantes.
Une appréciation ambiguë de la crédibilité des réseaux sociaux
Ce qui ressort de l’enquête c’est une relative indifférence par rapport à l’origine et à la qualité des nouvelles. 42% des sondés estiment qu’on peut très bien s’intéresser à une information sans savoir si elle est vraie ou fausse. Ce comportement explique l’ambiguïté de l’appréciation de ces réseaux. 92% des Français reconnaissent que les réseaux sociaux diffusent à la fois des informations vraies et fausses. Ils sont en majorité conscients que ces plateformes leur fournissent beaucoup d’informations inexactes (55%) et leur volent leur données personnelles (50%). Pourtant ils sont nombreux à estimer qu’elles fournissent des informations qu’on ne trouve pas ailleurs et à apprécier leur format, en bref, à juger qu’elles apportent mieux que les médias traditionnels une présentation conforme à leurs demandes.
Pour aller plus loin dans l’examen des réactions du public face aux thèses complotistes, l’enquête a proposé aux sondés huit affirmations dont six sont des propos notoirement complotistes. Le résultat est assez décevant : 60% des Français croient à au moins une fausse information. Il apparaît que les plus sensibles au complotisme sont ceux qui utilisent le plus les réseaux sociaux. Ceux qui résistent le mieux à ces thèses sont les diplômés de l’enseignement supérieur.
Dans ces conditions, la confiance dans les journalistes est limitée. Seuls 52% des personnes interrogées ont confiance dans cette profession.47% estiment qu’ils sont trop à la recherche de scoops et de sensationnalisme. Plus préoccupant encore, 59% pensent qu’une information de qualité peut être révélée par n’importe qui.
Cet ensemble de données trace un paysage de l’information qui ne surprend pas les observateurs mais qui donne la mesure des bouleversements de ces vingt dernières années et montre qu’il va falloir revoir complétement la manière dont les citoyens sont informés dans une société démocratique. Il est clair que les diverses options fournies par internet : moteurs de recherche, plateformes, réseaux sociaux, messageries remplacent dans une large mesure les médias traditionnels qui voient se clore une ère de suprématie de deux siècles. Seule la télévision résiste encore mais son mode de consommation de moins en moins linéaire et de plus en plus à la demande évolue aussi.
Les usagers ne sont pas dupes et conservent une vision critique de l’offre numérique qui envahit en permanence leurs smartphones alors que ceux-ci, surtout chez les jeunes, supplantent les autres supports, ordinateurs et tablettes. Ce qui est frappant néanmoins c’est que ce scepticisme n’a pas d’impact sur leur mode de consommation. On est bien conscient que les grands acteurs du Web exploitent sans scrupule les données et les préférences des consommateurs, leur fournissent ce qu’ils désirent au lieu d’essayer de les surprendre avec des nouvelles inattendues mais néanmoins utiles.
Surtout internet remet en cause la notion de vérité. L’enquête souligne que les sondés sont à la recherche d’informations fiables c’est-à-dire vérifiées, mais elle montre aussi qu’ils se résignent aisément aux approximations voire aux contrevérités d’inspiration complotiste. Grâce aux réseaux sociaux ils sont en permanence en contact avec des personnalités les plus diverses, influenceurs, pseudo-journalistes ou amis qui s’estiment aussi compétents que des professionnels pour diffuser et commenter l’information.
Les médias face au défi de la qualité et de l’indépendance
Pour surmonter ces contradictions et répondre à une demande de qualité qui est malgré tout une constante dans toutes les enquêtes d’opinion, les médias doivent réorganiser complétement leur offre. Leur priorité est de rétablir le contact et l’échange avec leur public. Dans ce but plusieurs médias américains ont multiplié les newsletters personnalisées en fonction de l’intérêt de leurs lecteurs. Ceux-ci sont d’ailleurs à la recherche de nouvelles sur des sujets qui concernent leur vie quotidienne et manifestent une certaine lassitude à l’égard de débats politiques confus et répétitifs.
Les usagers attendent enfin une information qui écarte les menaces qui pèsent sur sa fiabilité. D’après l’enquête de l’Arcom, ces menaces appartiennent à deux catégories : d’une part les différents pouvoirs, politiques, économiques ou financiers, et d’autre part les dérives de la technologie résultant de l’infiltration des réseaux sociaux par les acteurs de la désinformation et maintenant de l’essor de l’intelligence artificielle.
Cette riche enquête de l’Arcom ne répond pourtant pas à une question qui se posera forcément au cours des prochaines années : quel peut être le rôle de l’État face à une crise sans fin qui remet en cause un des fondements de la démocratie ? Doit-il intervenir et de quelle manière pour sauvegarder l’indépendance économique des sources d’information alors que celles-ci s’appuient sur des circuits appartenant à des géants du numérique basés hors d’Europe ? Il serait intéressant de consulter l’opinion sur ce sujet fondamental.
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