La grande déprime des étudiants edit
Il est certes difficile aujourd’hui d’avoir une vue d’ensemble de la situation sociale et psychologique des étudiants. Aucune étude récente de grande ampleur n’a été menée sur le sujet. Néanmoins beaucoup de signes inquiétants se manifestent à travers les témoignages des enseignants, des présidents d’université ou des étudiants eux-mêmes. Quelques cas de suicides ont défrayé la chronique.
En réalité, il n’est pas difficile d’imaginer les conséquences graves que peut avoir la crise sanitaire sur l’état psychologique et matériel de nombreux étudiants. En effet, les enquêtes de l’Observatoire de la vie étudiante, et notamment la dernière d’entre elles en 2016, mettaient déjà en lumière certaines fragilités de la vie étudiante. Ces fragilités étaient notamment perceptibles sur le plan psychologique et leur ampleur avait surpris les analystes de l’enquête. Le petit tableau ci-dessous en donne un recensement.
Des difficultés psychologiques inhérentes à la vie étudiante, renforcées par la crise sanitaire
L’image d’Epinal de la vie étudiante la présente comme quelque chose d’assez idyllique : on fait la fête, on sort avec ses amis, on découvre les relations amoureuses, on jouit d’une liberté nouvelle si l’on a quitté ses parents. Tout ça est vrai mais ne concerne pas tous les étudiants et a son revers. En vivant durant la semaine hors du foyer familial (cas de 68% des étudiants), ces jeunes découvrent certes la liberté, mais aussi les risques et parfois les affres de la solitude : 35% à 38% de ceux qui vivent seuls en location ou en résidence collective en font état. C’est une proportion importante qui vient démentir en partie l’image de l’insouciance étudiante.
Le passage du lycée à l’université est également un passage délicat pour beaucoup d’élèves. Même si le lycée français ne se caractérise pas par son excellence pédagogique, il est ressenti le plus souvent comme un lieu protecteur et rassurant, un lieu de proximité où l’on est connu et dont on connaît la plupart des acteurs, un lieu bien souvent également où l’on a connu ses meilleurs amis. L’arrivée à l’université met un terme à ce cercle de la proximité et fait plonger l’apprenti étudiant dans un univers de masse anonyme et souvent sans chaleur. Tout ça peut être profondément perturbant et l’université française ne se caractérise pas, c’est bien connu, par l’excellence du soutien psychologique qu’elle pourrait prodiguer aux étudiants en difficulté.
Néanmoins, malgré ces difficultés inhérentes à la vie universitaire, ce dont se plaignent d’abord aujourd’hui les étudiants c’est de ne plus pouvoir accéder aux locaux universitaires pour y suivre leurs cours en présentiel. On les comprend facilement : que peuvent ressentir ceux des étudiants qui, dans les circonstances normales d’études sont déjà nombreux à se sentir isolés (voir tableau précédent), lorsque, par exemple, ils se trouvent confinés dans leur petit logement ou leur chambre de résidence universitaire, sans plus rencontrer ni leurs professeurs, ni leurs camarades d’étude ?
Quant à ceux qui vivent chez leurs parents, ils ont certes la chance de pouvoir y bénéficier d’un soutien affectif, mais peuvent aussi souffrir d’une sensation d’étouffement et de frein à leur volonté d’autonomie qui est le besoin vital de l’adolescence et de la jeunesse.
Au total, l’ensemble de ces contraintes – le renforcement de l’isolement pour certains, le confinement dans le foyer familial pour d’autres, les restrictions mises à la sociabilité amicale pour tous – ne peut manquer d’avoir aggravé les tensions psychologiques dont peuvent souffrir les étudiants. Un récent sondage ODOXA sur les 15-30 ans[1] montre que 34% ont déjà consulté un médecin ou un psychologue pour des questions psychologiques (état dépressif, isolement, solitude, angoisses…) ou envisagé de le faire (+6 points par rapport à l’ensemble des Français).
Gardons néanmoins à l’esprit que tous les étudiants ne sont pas logés à la même enseigne face à ces risques : l’impact psychologique et pédagogique négatif de l’enseignement à distance est certainement beaucoup plus fort pour un étudiant de première année – un passage déjà vécu difficilement par certains étudiants dans des conditions normales d’étude – que pour un étudiant de master habitué à travailler seul sur son mémoire de recherche. Il l’est aussi beaucoup plus pour certaines catégories d’étudiants, notamment cette partie des bacheliers professionnels qui n’ont pas pu trouver une place en STS (malgré les améliorations progressives apportées par Parcoursup), qui se reportent, par défaut, sur des filières générales universitaires dans lesquelles ils rencontrent souvent de grandes difficultés. L’interruption d’une relation pédagogique directe, en face à face, avec les enseignants ne peut qu’aggraver fortement les problèmes psychologiques et pédagogiques qui affectent ces étudiants mal à leur aise dans la vie universitaire.
Les inquiétudes sur la réussite et le bénéfice de leurs études
Les étudiants ont également un grand sentiment d’injustice puisque les lycéens et les collégiens continuent de fréquenter leurs établissements, ainsi que les élèves des classes préparatoires et ceux de BTS. Par rapport à ces deux dernières catégories, l’étudiant d’université, déjà pénalisé pédagogiquement en temps normal par le fait de poursuivre ses études dans le cadre d’un enseignement de masse, l’est doublement aujourd’hui par l’interruption des cours en présentiel. Une grande partie d’entre eux est très mal à l’aise avec le suivi des cours en visioconférence. Dans le sondage ODOXA déjà cité, 70% des étudiants disent avoir rencontré des difficultés pour suivre les cours à distance. Ces difficultés peuvent être pédagogiques ou matérielles. Par conséquent, dans la même enquête, 80% des étudiants déclarent être inquiets des difficultés qu’ils vont rencontrer pour mener à bien leurs études ! Et 72% craignent que leur diplôme ait moins de valeur à l’issue de cette crise et de cet enseignement au rabais, sans compter évidemment les sombres perspectives qui se dessinent sur le marché de l’emploi au sortir de leurs études. Logiquement, 64% des étudiants se déclarent donc opposés à la fermeture actuelle des universités et 80% seraient favorables à ce que les cours puissent reprendre en présentiel.
Il est vrai que la communication gouvernementale sur le sujet n’a pas été très claire. A-t-on justifié le fait que les cours en présentiel se poursuivent dans l’enseignement secondaire, dans les classes prépa et les BTS et soient interrompus à l’université ? A ma connaissance, il n’y a pas vraiment eu d’arguments sanitaires avancés sur ce point. Certes le gouvernement est revenu en partie sur l’interdiction du présentiel à l’université, mais ne manière très limitée (l’ouverture se limite aux étudiants de première année qui pourront se retrouver en TD par demi-groupes).
Les problèmes matériels
À côté des problèmes de détresse psychologique et des perturbations du suivi normal de la scolarité, les problèmes matériels que peuvent rencontrer les étudiants du fait de la crise sanitaire ne sont peut-être pas du même niveau de gravité. En France aujourd’hui, les étudiants restent encore fortement aidés par leurs parents (la moitié de leur budget environ) et les aides gouvernementales ont jusqu’à présent contenu le déclin du pouvoir d’achat, d’autant que les familles dont les enfants suivent des études supérieures sont plus aisées que la moyenne. Néanmoins, 46% des étudiants en 2016 exerçaient une activité rémunérée durant l’année en complément des aides familiales. Or certains de ces jobs étudiants sont certainement impactés par la crise sanitaire ; c’est évident par exemple pour les emplois dans la restauration. D’après l’enquête de l’OVE 19% des étudiants travaillant durant l’année ont un emploi d’employé de commerce et de la restauration. Une partie de ces emplois a disparu avec la fermeture des bars et des restaurants, un vivier important de jobs pour les étudiants. Un autre type d’emploi pratiqué par les étudiants, le baby-sitting (17% des emplois occupés durant l’année par les étudiants) a certainement aussi vu son offre se réduire, puisque les sorties au spectacle ne sont plus possibles. Il est probable également que certaines activités rémunérées associées aux études elles-mêmes soient impactées par la fermeture des établissements d’enseignement.
Ceux des étudiants qui peuvent rencontrer des difficultés matérielles liées à ces interruptions d’activités dues à la crise sanitaire, sont également certainement ceux, pour une bonne part, qui vivent indépendamment de leurs parents. Le contrecoup psychologique occasionné par un isolement prolongé peut alors être redoublé par les difficultés matérielles du quotidien.
La situation actuelle est dangereuse pour cette génération et risque de l’affecter durablement, de compromettre les chances de réussite d’une partie de ses membres, les plus fragiles. Face à ce risque, les mesures gouvernementales (doublement des effectifs de psychologues des universités, soit 80 recrutements pour près de 3 millions d’étudiants) paraissent un peu dérisoires.
Il est vrai que la moitié des jeunes (sondage ODOXA) dit avoir transgressé au moins une fois une des règles sanitaires ; mais finalement on peut se demander si la mise à l’isolement de la jeunesse étudiante, privée de contacts sociaux du fait de la fermeture des universités, n’est pas un remède pire que le mal en incitant une partie d’entre eux à trouver ailleurs la sociabilité dont ils sont privés dans leur lieu d’enseignement.
Et si l’on considère (ce qui peut se concevoir) qu’il est absolument essentiel, pour elle-même et pour le pays, de préserver les chances de cette génération, peut-être faudrait-il revoir l’ordre des priorités de la vaccination et en faire bénéficier les étudiants avant d’autres classes d’âge. La COVID n’a pas qu’un impact sanitaire physiologique, elle a aussi, indirectement, un impact sur la santé psychique et cette classe d’âge en est directement affectée. On peut se prévaloir également de cet argument sanitaire, dans le domaine de la santé mentale, pour revoir les critères d’accès au vaccin.
[1] Sondage ODOXA des 18 et 19 janvier 2021 « Covid-19 : les jeunes ne voient pas le bout du tunnel
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