L’étrange pas de deux d’Emmanuel Macron sur l’éducation edit
Dans une interview au Point du 24 août dernier Emmanuel Macron assigne des missions à l’école centrées sur le retour de l’autorité qui semblent très éloignées du projet « d’école du futur » initié à Marseille qui mettait l’accent sur les innovations pédagogiques et l’autonomie des acteurs locaux. À quel point les deux orientations sont-elles compatibles ?
En septembre 2021 Emmanuel Macron ouvrait le chantier de « l’école du futur » tout en annonçant le plan « Marseille en grand ». Il s’agissait ni plus ni moins selon le Président d’engager une « révolution copernicienne » de l’école. Par bien des aspects l’expression ne paraissait pas usurpée, si l’on s’en tenait au moins aux intentions affichées. L’idée principale était de laisser plus d’initiative aux acteurs locaux de l’éducation pour adapter leurs pratiques à des contextes spécifiques et à la diversité des publics accueillis et imaginer les moyens de mieux répondre à leurs besoins. Des méthodes pédagogiques innovantes ont ainsi pu commencer à être mises en œuvre sur place par les équipes, soutenues en tant que de besoin par des conseillers pédagogiques. Le plan n’est pas dépourvu de moyens puisque 1,2 milliard d’euros dont 400 millions de l’Etat sont investis dans le projet.
Il s’agit fondamentalement dans ce plan de mieux prendre en compte les besoins scolaires des élèves et de leur bien-être. Cet objectif répond indéniablement à une nécessité en France car, comme je l’ai montré dans un article précédent dans ces colonnes, les travaux de l’OCDE montrent que les enseignants français ont dans l’ensemble beaucoup de mal (plus en tout cas que bon nombre de leurs homologues européens) à répondre efficacement aux besoins des élèves qui rencontrent le plus de difficultés, sans doute par manque de formation pédagogique, mais aussi à cause d’une conception de l’éducation très centralisée et uniformisée. Cette uniformité est souvent présentée – au nom de l’universalisme républicain – comme la condition de l’égalité alors qu’en réalité elle produit de l’inégalité en appliquant des standards trop rigides à des publics très divers socialement et culturellement.
Ainsi, au moins au niveau des intentions, le projet de « l’école du futur » paraît séduisant. Reste à savoir bien sûr ce qu’il en sera de la mise en œuvre et à quels résultats aboutira l’expérience. Il faudra juger sur pièces. Notons par ailleurs qu’il était habile de déployer ce projet sous une forme expérimentale et sur un terrain – la ville de Marseille – marqué par d’importantes difficultés sociales et économiques et donc demandeur d’une aide de l’Etat.
Le retour de l’autorité et la transmission des valeurs
Mais à l’aube de la rentrée scolaire de cet automne 2023, le discours du Président concernant l’éducation semble avoir pris un nouveau tour. En effet, dans son interview du Point du 24 août dernier, Emmanuel Macron semble adhérer à une vision beaucoup plus traditionnelle de l’éducation, en condamnant par exemple « un pédagogisme qui disait que l’école n’a plus à transmettre », en remettant à l’honneur « l’instruction civique », en prônant la lecture chaque semaine en classe d’un « grand texte fondamental sur nos valeurs ». Loin des expérimentations locales et de la liberté laissée aux acteurs de l’éducation, on en revient à une vision très régalienne de l’école investie d’une mission civilisatrice. Le maître-mot de l’interview est le terme « autorité » : il faut rétablir l’autorité des maîtres et l’autorité des savoirs.
Ces annonces du Président dans le Point soulèvent trois interrogations. Les intentions affichées répondent-elles à une nécessité ? Sont-elles applicables et réalistes ? Et enfin, sont-elles compatibles avec le projet de « l’école du futur » ?
Premier point, l’autorité des maîtres est-elle bafouée et doit-elle rétablie ? Il est indéniable que l’école française se caractérise par un climat d’indiscipline particulièrement élevé. Je le notais dans l’article précédemment cité, à partir des données de l’OCDE. Ce climat disciplinaire détérioré traduit-il un coupable relâchement de l’ambition de transmettre les savoirs sous l’effet de l’idéologie « pédagogiste » dont parle le Président qui se serait répandue parmi les enseignants ? On peut en douter. Dans les comparaisons internationales sur les systèmes d’enseignement et leur curriculum, l’école française ne se caractérise pas par son laxisme pédagogique, elle relève d’un modèle de « l’éducation académique » qui met l’accent au contraire sur le primat de la transmission disciplinaire, très éloigné du modèle nordique d’un enseignement à spectre large.
Il est plus probable que ces problèmes disciplinaires sont la manifestation, à l’intérieur des établissements scolaires, de dérèglements qui lui sont extérieurs. Le climat de défiance à l’égard des institutions qui prévaut dans certaines zones du territoire, la montée d’une culture déviante dans ces mêmes zones ne peut manquer d’impacter le comportement de certains élèves à l’intérieur même des établissements scolaires. Et il suffit de peu d’élèves perturbateurs pour détériorer le climat d’une classe.
Rien ne montre qu’il y ait en France, y compris parmi les jeunes, une contestation générale de l’autorité. Les enquêtes sur les valeurs réalisées dans notre pays montrent au contraire un renforcement de l’attachement à cette valeur d’autorité. Si les hommes politiques y font si souvent référence c’est d’ailleurs pour répondre à cette demande de l’opinion.
Par ailleurs, si tant est qu’elle se soit relâchée, comment rétablir l’autorité des maîtres ? L’injonction a tout d’une incantation un peu vaine. La chose à faire, en réalité, ce sur quoi insiste l’OCDE, est de mieux former les enseignants à la gestion des classes. Il y a sur ce point un gros déficit en France. Accessoirement, il faudrait revoir le système d’affectation des enseignants qui repose essentiellement sur l’ancienneté et conduit à affecter des enseignants jeunes et sans expérience dans les zones et les établissements les plus difficiles.
Un autre aspect des propos du Président concerne la mission de transmission des valeurs assignée à l’école. On peut douter de l’efficacité d’une mesure qui consisterait remettre au goût du jour une éducation civique à l’ancienne et la lecture de grands textes sur les valeurs comme il est évoqué dans l’interview du Point. Ces formes très abstraites et très académiques de transmission n’auront aucun effet sur les élèves perturbateurs ou défiants à l’égard du système scolaire. Elles n’intéresseront au mieux que ceux qui n’ont pas besoin d’être convaincus.
Il serait plus efficace de redonner vie à l’enseignement moral et civique (EMC), une mesure mise en place en 2012 par Vincent Peillon qui visait à insuffler une culture du débat parmi les élèves et les former à l’esprit critique. Les intentions étaient bonnes mais la mesure n’a été appliquée que très inégalement. Pour toucher les élèves et les intéresser il faut partir des situations concrètes qu’ils vivent et qui soulèvent en creux les questions de valeurs républicaines que l’on veut aborder. C’est un exercice sûrement plus difficile que de lire un grand texte sur les valeurs. Il demande que les professeurs y soient formés.
Finalement, pourquoi penser que le type d’expérimentation marseillaise – la plus grande autonomie accordée aux acteurs locaux de l’éducation – serait incompatible avec une mission de transmission des valeurs républicaines qui incomberait à l’école ? Cette mission de transmission des valeurs est certes nécessaire. Mais elle ne réussira pas si on la pense selon un modèle académique, abstrait et centralisé, bien dans la tradition du curriculum à la française, comme semble le suggérer l’interview du Président. Pourquoi, là aussi, ne pas faire confiance aux acteurs locaux pour innover sur le plan pédagogique, à partir d’un cadre conceptuel commun et partagé bien évidemment ?
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