Déficit d’offre ou de demande? Un débat souvent mal formulé edit
Considérée dans son ensemble, la zone euro souffre manifestement d’un déficit de demande intérieure. Le taux de chômage moyen y dépasse 10% et l’équilibre macroéconomique y est largement inférieur à son niveau potentiel soutenable sans déficit courant. En effet, après 10 années d’équilibre, le compte courant de la zone euro connait depuis 2012 un excédent de près de deux points de PIB en 2013 et trois points de PIB en 2014. Nul doute, à ce titre, que des politiques visant à dynamiser la demande intérieure de la zone euro y sont pertinentes pour réduire un chômage comportant une forte composante conjoncturelle.
Cependant, la zone euro se caractérise par une très forte diversité entre les pays qui la composent. Avec un excédent courant positif de 6 points de PIB ou plus depuis 2006, l’Allemagne est le grand pays de la Zone euro pour lequel de telles politiques de stimulation de la demande seraient particulièrement pertinentes. Après la longue période de modération salariale extrême que ce pays a connu, la dynamisation des salaires peut y être appropriée. L’instauration d’un salaire minimum depuis cette année y contribuera en partie. Mais la situation budgétaire très favorable, qui va se traduire par un solde public positif dès 2014, y autorise aussi une dynamisation de la demande publique.
Les trois autres grands pays de la zone euro ne sont pas dans la situation allemande. Jusqu’en 2012, ils pâtissaient tous trois d’un déficit courant structurel, qui n’est pas sans responsabilité dans la défiance des marchés qu’ont connues les émissions souveraines italiennes et espagnoles sur les dernières années. L’Italie et l’Espagne ont rétabli leur solde courant, désormais excédentaire, via une forte et douloureuse contraction de la demande interne et donc de leurs importations mais aussi, concernant l’Espagne, via une amélioration de la compétitivité coûts induite à la fois par une forte modération salariale mais aussi par une dynamisation de la productivité.
La France continue de pâtir d’un solde courant déficitaire. Ce déficit va mécaniquement se réduire en 2014 et 2015, du fait de l’allègement de la facture pétrolière mais aussi d’une croissance faible qui modère la progression des importations. Bien sûr, sans la modération de la demande intérieure espagnole et italienne, le solde courant français serait plus favorable. Mais en tirer comme conclusion que les politiques de modération de la demande dans ces deux pays sont grandement responsables du déficit français est cependant erroné. Ces pays avaient besoin d’un ajustement, et cet ajustement rapide ne pouvait se réaliser que via une modération de la demande intérieure ou par un ajustement compétitif (ralentissement ou baisse des couts de production). La première voie y a été principalement retenue, encore que l’Espagne a aussi, comme on l’a dit plus haut, également modéré ses couts de production. Mais la seconde voie aurait été tout aussi douloureuse pour la croissance et le commerce extérieur français. En toute hypothèse, ces pays devaient ajuster leur compte courant…
Dans la situation de déficit courant structurel que la France connait depuis maintenant dix ans, les indicateurs usuels d’écart de PIB, qui caractérisent l’écart entre le niveau effectif du PIB, lié à la demande, et le niveau potentiel du PIB, lié au dimensionnement des facteurs de production, sont en partie inappropriés, ou du moins doivent être mobilisés avec la plus grande prudence. En effet, de tels indicateurs suggèrent que la France pâtirait d’un déficit de demande, puisque le niveau effectif du PIB y est inférieur à son niveau potentiel. Mais dans le même temps, le déficit courant structurel de la France traduit le fait que la demande adressée aux producteurs résidents en France est supérieure à la demande compétitive de ces mêmes producteurs… En d’autres termes, la France connait un déficit d’offre compétitive… Et cette situation s’est structurellement aggravée sur les dernières années : les parts de marché à l’exportation de la France baissent continument sur les deux dernières décennies, cette baisse y étant plus forte que dans les autres grands pays de la zone euro, en particulier depuis 2008. Cette évolution est particulièrement alarmante quand on y ajoute que la situation financière des entreprises françaises est particulièrement dégradée, leur taux de marge retrouvant des niveaux qui n’étaient plus connus depuis le début des années 1980.
Les candidats à l’explication d’une telle situation sont nombreux : absence de politiques d’offre compétitive, politique industrielle inadaptée, forte progression du SMIC dont le rôle normatif a dynamisé les salaires, concurrence et flexibilité insuffisantes sur les marchés des biens et du travail… Cette analyse a été faite, récemment encore par Aghion, Cette et Cohen dans leur ouvrage « changer de modèle » (Odile Jacob, 2014). Les réponses à cette situation sont également connues : elles visent à augmenter l’offre compétitive. Par des réformes ambitieuses de l’éducation, de la fiscalité, des politiques industrielles, du marché des biens et du travail… La dévaluation fiscale fait aussi partie de la boite à outils appropriée pour améliorer la compétitivité. Mais comme ceux d’une dévaluation monétaire, ses effets favorables sur la compétitivité et le solde courant sont temporaires. Elle ne doit donc logiquement être mobilisée que pour anticiper les effets pérennes mais plus progressifs des réformes structurelles.
Pour autant, il est clair qu’une plus grande coordination des politiques européennes serait bienvenue et appropriée. Si elle est indéniable, la réussite de l’Allemagne n’est pas exemplaire : ses excédents courants signifient des déficits courants pour d’autres pays. La responsabilité européenne de l’Allemagne devrait y amener une dynamisation de la demande intérieure, par celle des salaires et de la demande publique. Les difficultés de la zone euro en seraient réduites. L’Allemagne a les moyens de cette orientation. Il lui manque encore la conscience des responsabilités qui sont les siennes, compte tenu de son poids économique et de ses grandes marges de manœuvre.
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