Italie: le mauvais diagnostic edit
Dans un article paru sur Telos, un éminent groupe d’économistes italiens, regroupés sous le nom de « The Group of Fiscal Money », avancent une proposition audacieuse : que le Trésor émette de la dette qui serait utilisable par les contribuables pour payer leurs impôts deux ans plus tard. Cet instrument financier pourrait circuler. C’est une manière détournée de créer de la monnaie et une tentative de contourner le Pacte de Stabilité, en gros du bricolage aux limites des normes de fonctionnement de l’union monétaire. C’est aussi la mauvaise solution parce qu’elle est basée sur un diagnostic erroné.
Cet arrangement a l’apparence de la complexité, de quoi décourager ceux qui veulent comprendre. L’idée est pourtant simple. Il s’agit pour le gouvernement italien de dire à ses contribuables : prêtez moi aujourd’hui l’argent que vous devrez me payer pour régler vos impôts dans deux ans. En outre, vous aurez entre vos mains ma reconnaissance de cet emprunt et vous pourrez librement l’échanger, si vous le souhaitez, contre des euros. Ce serait fait de manière indirecte à travers des instruments financiers, d’où l’apparente complexité, mais c’est de cela qu’il s’agit. La proposition permet d’atteindre un double objectif : augmenter la dette publique et créer une forme particulière de monnaie qui circulerait de main en main.
Dans un autre article de Telos, Eric Chaney avait mis en doute la conformité de cette proposition avec les règles qui régissent l’union monétaire. Comme toute idée aux marges des règles, il reviendrait aux juristes de déterminer de quel côté de la frontière elle se situe. Mais il y a l’esprit et la lettre. Dans l’esprit du Traité de Maastricht, elle est clairement exclue. D’abord parce qu’il s’agit bien d’une dette, quel que soit le nom que ses auteurs lui donnent, puisque le contribuable avance de l’argent qu’il devra utiliser plus tard. Entre temps, il accorde un crédit à l’État. De plus, si ces dettes sont appelées à circuler, elles joueront le rôle de monnaie, exactement comme les assignats en 1791 sous la révolution.
Au delà de la question légale, l’analyse économique qui sous-tend cette proposition est exactement à l’opposé de ce dont l’Italie a besoin. Les auteurs observent que l’Italie est ligotée par le Pacte de Stabilité et par le fait que la création monétaire n’est plus de son ressort. Implicitement, donc, ce sont ces contraintes qui font que la croissance moyenne sur vingt ans est quasi nulle. On peut commencer par observer que ces contraintes s’appliquent à tous les pays de la zone euro, dont beaucoup ont connu une belle croissance économique. Je suis un critique ardent du Pacte de Stabilité mais il faut admettre que la panne économique italienne n’est pas due à son appartenance à la zone euro, elle est entièrement « Made in Italy ». Ce glissement de responsabilité pourrait être comique s’il ne constituait pas la base de la réflexion économique des deux partis qui accèdent au pouvoir. Blâmer l’étranger pour ses malheurs n’est pas très original, mais ça marche, La responsabilité des économistes est d’expliquer sans relâche à l’opinion publique que ce diagnostic est faux. Caresser le nouveau gouvernement dans le sens du poil est tout simplement irresponsable.
Ils veulent voir dans la stagnation économique un manque de demande. On n’a jamais vu un tel phénomène durer vingt ans. Si le côté de l’offre fonctionne, au bout de quelques mois ou quelques années les salaires et les prix finissent par baisser. Des dizaines d’études et de rapports confirment que ce n’est pas la demande qui est en cause, mais bien l’offre. Ces rapports décrivent dans les moindres détails les raisons de la panne économique de l’Italie. Elles ne surprendront pas les Français, qui ont aussi connu une demi-panne depuis quelques décennies. Même si le Premier Ministre Renzi à mis en place une réforme, la marché du travail italien reste rigide. Le marché immobilier est fossilisé. La corruption est rampante, surtout dans la partie Sud du pays qui depuis un siècle n’arrive pas à combler son écart avec la partie Nord. Le système éducatif de base est usé, plaçant l’Italie à la 33ème place du classement PISA de l’OCDE. Le népotisme règne, avec comme conséquence le départ à l’étranger des jeunes italiens (ils sont légion dans les meilleurs départements d’économie du monde). Les tribunaux sont embouteillés, il faut souvent des années pour obtenir un jugement. Quant à l’administration, sa réputation d’inefficacité est célèbre. On peut continuer la liste indéfiniment mais le message est clair : l’Italie a besoin de réformes en profondeur, pas de plus de dette publique, qui est déjà gigantesque ; l’augmenter ne fera pas durablement repartir le pays.
L’autre aspect intéressant est la monnaie. Les auteurs notent que l’investissement productif est faible. La BCE n’est pas en cause, ce qu’ils admettent. Les taux d’intérêt sont bas, donc emprunter pour investir est peu coûteux. Un peu plus coûteux que dans les autres pays de la zone euro parce que la taille de la dette publique plane sur le système bancaire. Réduire la dette est le point de départ pour relancer l’investissement. Mais il y a plus grave. Les entreprises n’empruntent pas assez parce que les banques ne prêtent pas. Une partie importante du système bancaire est plombée par des créances douteuse – autrement dit les banques ont de bonnes raisons de penser qu’elles ne seront pas remboursées. La solution est bien connue, elle consiste à procéder à un coup de balai dans les portefeuilles des banques. Mais, depuis plus de dix ans, les autorités italiennes répugnent à imposer ce nettoyage pour des tas de mauvaises raisons, y compris le clientélisme qui règne dans ce marché.
La proposition du « Group for Fiscal Money » révèle le désespoir qui règne en Italie. La lourde impression que les réformes indispensables sont impossibles est décourageante. Nos collègues essaient d’y répondre en contournant la difficulté, mais ça ne peut pas être la solution, bien au contraire.
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