Les leçons des élections législatives en Autriche edit
Dimanche 15 octobre 2017, les électeurs autrichiens se sont rendus aux urnes afin d’élire pour cinq ans leurs 183 représentants au Conseil national, la chambre basse du Parlement autrichien.
Les résultats sont nets : l’Autriche a pris un virage à droite après une décennie sous la direction de chanceliers sociaux-démocrates. Arrivent en première place les conservateurs démocrates-chrétiens de l’ÖVP emmenés par Sébastian Kurz, avec plus de 31% des voix et 62 sièges ; le parti social-démocrate SPÖ se classe deuxième avec 27% des suffrages, obtenant 52 sièges ; enfin, le parti populiste de droite FPÖ progresse avec plus de 25 % des voix et 51 sièges, soit 11 de plus que dans le précédent Conseil national.
Une certaine prudence s’impose. Les résultats seront officiellement proclamés jeudi, après le dépouillement des votes par correspondance qui, nous nous en souvenons, avaient changé le visage de l’élection présidentielle de 2016. Ceci étant, les négociations en vue de la constitution d’une coalition gouvernementale commencent. C’est Sebastian Kurz, probable futur chancelier, qui les mène et il entend les ouvrir aussi aux populistes du FPÖ. Ces résultats livrent déjà trois enseignements essentiels. Mais soulèvent aussi trois séries de questions, pour l’Autriche, pour l’UE et pour la France.
Le retour des partis classiques
La politique intérieure autrichienne est riche en soubresauts. Elle est presque latine tant la culture du consensus, typique de l’Allemagne, est bousculée par des personnalités originales et même fracassantes tels le président Van der Bellen, le jeune Sebastian Kurz, ou encore, au début des années 2000, le leader d’extrême droite Jörg Haider.
Un nouveau tournant a été pris dimanche : les partis des finalistes du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017 ne sont pas les vainqueurs des législatives de 2018. Les Verts du président sont même absents du Conseil national ! Entre la présidentielle de 2016 et les législatives de 2017, la donne a encore considérablement changé.
Nous assistons au retour en force des deux partis traditionnels ÖVP (Noir) et SPÖ (Rouge), battus en brèche lors du premier tour de l’élection présidentielle du 24 avril 2016 avec 11% chacun et qui alternaient au pouvoir ou exerçaient le pouvoir ensemble depuis la fondation de la Deuxième République d’Autriche en 1945. Aujourd’hui, le Rouge et le Noir éclipsent le Vert et le Bleu (du FPÖ) et bénéficient des bons résultats économiques remportés par la Grande Coalition qu’ils forment au niveau national depuis 2013. Avec un PIB en croissance projeté à 2,4% en 2017 et un chômage en réduction depuis 2016, mesuré à 5,2% en juin 2017, c’est une des économies les plus robustes de l’Europe centrale et orientale. Le changement de culture politique annoncé par Sebastian Kurz ne doit pas faire illusion. Il n’aura lieu qu’à la marge. Bien sûr, le chancelier SPÖ Christian Kern sera remplacé par un nouveau leader politique. Évidemment, les scandales ayant impliqué des membres du SPÖ ont précipité les élections et pesé sur la campagne. Mais à Vienne, c’est business as usual.
Dans les négociations qui s’ouvrent en vue de la constitution d’une coalition gouvernementale, Sebastian Kurz est face à une alternative : soit s’allier avec le FPÖ comme en 2000, au risque d’inquiéter ses partenaires européens ; soit reproduire la Grande Coalition avec le SPÖ, au risque de renier sa volonté de renouvellement de la culture politique. Tout sera une question de rythme : plus les négociations avec le FPÖ tarderont, plus la société civile autrichienne et les opinions publiques européennes se mobiliseront pour encourager la formation d’une nouvelle Grande coalition avec le SPÖ.
Un pays pro-européen mais proche des souverainistes d’Europe orientale
Comme pour la dernière élection présidentielle, ces élections législatives anticipées ont des conséquences importantes sur la dynamique de l’UE. La tradition diplomatique et économique autrichienne est profondément favorable à la construction européenne, à l’UE et au libre-échange en Europe. La taille de l’économie autrichienne (349 milliards d’euros en 2016 pour 8,7 millions d’habitants) et son ouverture au commerce international (131 milliards d’euros en 2016, en croissance de 7,7% par rapport à 2015) font de l’intégration économique européenne un pilier de la prospérité du pays.
Toutefois, cette tradition européiste s’accompagne d’une proximité réelle avec certains États-membres du groupe de Visegrad. Cette structure de coordination diplomatique entre la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie constitue un pôle souverainiste dans l’Europe post-Brexit. L’Autriche de l’ÖVP et du FPÖ, l’Autriche des provinces et des traditions, sont sensibles à la promotion de l’identité chrétienne de l’Europe, à la défiance envers les migrants et à la défense des intérêts des « petits » États d’Europe orientale face au couple franco-allemand à Bruxelles. On l’a vu pendant la campagne : la place de l’immigration et de l’islam a été au centre du discours (et de la victoire) de l’ÖVP.
Toute la question est aujourd’hui de savoir si l’Autriche conduite par Sebastian Kurz continuera à faire entendre un discours chrétien-démocrate classique à Bruxelles ou si elle donnera au groupe de Višegrad la caution d’un État-membre, institutionnellement plus ancien et économiquement plus prospère.
Un bon bilan économique ne suffit pas contre le populisme
Des parallèles ont été fréquemment dressés entre Emmanuel Macron et Sebastian Kurz, le leader de l’ÖVP : jeunesse, promotion de l’entreprise, communication de rupture... De même, il y a un an, le candidat populiste à la présidentielle, Norbert Hofer, était lui aussi comparé à Marine Le Pen. La tentation est grande d’être sommaire dans le commentaire et de considérer le score du FPÖ à la lumière de l’échec du FN aux présidentielles françaises. Dans les deux cas, le « plafond de verre » bloquerait les partis populistes aux portes du pouvoir, même quand ils soignent leur communication et réalisent un aggiornamento souvent dénommé « dédiabolisation ».
Toutefois, au jeu des sept différences, les enseignements à tirer de l’élection autrichienne pour la vie politique française sont sensiblement différents.
Premièrement, le cas autrichien souligne à quel point il est insuffisant d’expliquer le vote populiste par les indicateurs macro-économiques : un taux de chômage bas et en réduction ne lamine pas mécaniquement le vote extrême. Pas plus qu’un taux de croissance positif et un PIB par tête très confortable (plus de 40 000€ en 2016) ne détournent les milieux populaires provinciaux des thématiques identitaires et nationalistes. En d’autres termes, pour faire reculer le Front National en France en 2022, un bon bilan économique et social ne suffira pas. Il convient de se saisir du combat des valeurs et des représentations collectives.
Deuxièmement, le cas autrichien ne témoigne qu’en apparence d’un renouvellement de la culture politique sous l’influence de jeunes leaders capables d’« ubériser » la politique en quelques mois. Malgré les apparences et l’état-civil, Sebastian Kurz est un notable bon teint de la démocratie-chrétienne autrichienne : ancien ministre des Affaires étrangères, il ne tranche que par la communication avec l’ÖVP. Loin d’enterrer son parti, il lui a rendu ses couleurs. L’ascension de Sebastian Kurz n’est pas un nouvel épisode du macronisme à l’échelle européenne.
Troisièmement, la capacité de la France à fédérer à l’est de l’Europe reste en question malgré la tournée du président de la République dans la région fin août. Les déclarations présidentielles à Varna en Bulgarie sur les travailleurs détachés témoignent de la difficulté pour la France à tenir un discours audible à l’Est. Le gouvernement PiS s’est, bien sûr, senti stigmatisé, mais c’est dans toute la région que la parole de la France peine à faire référence : notre pays est toujours perçu comme l’avocat des États-membres historiques de grande taille, face à des pays plus petits et plus tard venus dans l’UE. La capacité de rayonnement du message européiste macronien en est ainsi affaiblie.
Les élections autrichiennes de dimanche le soulignent à nouveau : une partie du destin de l’UE se joue à l’Est. La France doit prendre en compte les préoccupations de cette partie de l’Europe, sans reniements mais sans arrogance. En est-elle aujourd’hui capable ?
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