Le choc du coronavirus va transformer nos sociétés. Mais comment? edit
Le choc du coronavirus va induire des transformations radicales dans de multiples domaines. Ces transformations concerneront aussi bien l’organisation économique et sanitaire que les modes de vie et de nombreux aspects sociologiques. Beaucoup de ces transformations sont difficiles à anticiper. Prenons l’exemple de la globalisation : deux visions diamétralement opposées peuvent être défendues. Celle du repli et de la baisse de la globalisation, de nombreux pays et entreprises ayant pris conscience de leur fragilisation par la dispersion internationale des différents maillons des chaines de valeur. Ou au contraire celle d’une globalisation accrue si les pays et les entreprises réduisent cette fragilisation en diversifiant davantage la localisation de chaque maillon de leurs chaines de valeur. Il est impossible à ce stade de savoir laquelle de ces deux évolutions l’emportera.
L’orientation d’autres évolutions parait plus facile à anticiper, même si leur ampleur demeure incertaine. Donnons en quelques illustrations dans les domaines économiques et sociaux.
Sur le plan économique, le choc du coronavirus va être le moment de l’entrée de nombreux pays dans le monde du XXIe siècle, avec une dynamisation des énormes potentialités de la révolution technologique portée par le numérique. Un tel phénomène a déjà été observé dans le passé, par exemple lors des deux conflits mondiaux du XXe siècle et des brassages économiques et culturels qu’ils avaient induits, accélérant dans les pays européens les transformations associées à la Seconde Révolution industrielle : généralisation de l’usage de l’énergie électrique et du moteur à explosion, transformations des moyens de communication et innovations de l’industrie chimique...
Deux évolutions économiques structurelles se dessinent déjà. Tout d’abord, celle du recours aux innovations associées à la révolution technologique des TIC et du numérique. Le télétravail et sa généralisation quand elle est envisageable ainsi que la numérisation accrue des échanges entre les entreprises ont forcé l’apprentissage de ces technologies, de manière certes très inégale selon les pays. Cela appelle des transformations des modes de management, la gestion des ressources humaines n’étant pas la même dans un univers où le télétravail est l’apanage des seules professions les plus qualifiées et intellectuelles et dans celui où il se généralise à de très nombreuses professions. Un tel changement est source d’économies, par exemple en termes de transports et de bureaux, mais il implique des transformations radicales dans les relations hiérarchiques. L’autonomie du travailleur s’accroît et ses horaires de travail ne sont plus un élément majeur pour définir son activité dont le suivi appelle une autre approche liée à sa charge de travail. Ces évolutions permettent d’espérer un surcroît de productivité et de croissance, dont nous tirerons profit en termes de niveau de vie. Nous en aurons besoin pour financer les réponses aux défis qui caractérisent aussi le XXIe siècle, dont le vieillissement de la population, la soutenabilité environnementale et l’indispensable désendettement public, les dettes des Etats étant largement amplifiées dans le contexte actuel par les indispensables mesures économiques visant à réduire l’impact du choc CV sur l’activité et l’emploi. Mais les acteurs, en particulier les entreprises et les travailleurs, qui ne sauront pas s’adapter à ces changements rapides pourront connaître un déclassement et de grandes difficultés…
Sur le plan social et politique, les grands chocs sociaux, comme les guerres ou les épidémies, ont aussi pour effet de renforcer la cohésion sociale, le sentiment d’appartenance collective, ce que le sociologue français Emile Durkheim appelait l’intégration sociale. Dans ces moments d’exaltation collective, le taux de suicide diminue, sous l’effet du resserrement des liens qui unissent les individus à la société. L’individu s’oublie, la société reprend ses droits. C’est l’atmosphère d’unité nationale qu’a exaltée le Président dans ses allocutions et qui se manifeste, par exemple, par ce mouvement spontané d’une grande partie de la population applaudissant au balcon chaque soir les soignants qui se sont mis au service de la collectivité, au risque de leur propre santé. Bien sûr, la totalité de la population ne partage pas au même degré cette humeur de rassemblement. Mais cette crise peut être pour la société française, qui est loin d’être imprégnée de confiance et de culture civique, l’occasion de faire reculer la défiance, le corporatisme et les divisions stériles qui la minent depuis longtemps.
Deux écueils
Deux écueils doivent être écartés, celui du repli nationaliste et celui du retour de l’étatisme. La crise du CV s’est accompagnée d’un retour dans le débat public du thème des frontières. Même si les épidémiologistes nous disent que la fermeture des frontières est une mauvaise solution, en incitant des individus à les franchir clandestinement sans contrôle sanitaire, cette idée peut paraître à une partie de la population comme une solution pragmatique et efficace. La mondialisation est pointée du doigt alors que les épidémies ont accompagné toute l’histoire de l’humanité. Mais une certaine forme de mondialisation, celle qui s’exprime via les réseaux sociaux par de petits sketchs humoristiques, des chansons, des parodies, est stimulée par la crise et manifeste une formidable forme de résilience et de solidarité qui ne connaît pas la barrière des frontières. La mondialisation culturelle ne sera pas la victime de cette crise, elle en sortira au contraire renforcée et nos sociétés doivent s’y préparer.
L’étatisme est un autre écueil. L’État a pleinement et efficacement assuré dans cette crise ses fonctions régaliennes. Les libertés ont été réduites sous l’empire de la nécessité, elles retrouveront leur plein exercice une fois la crise passée. Certains plaideront sans doute en faveur d’un modèle autoritaire-dirigiste. Mais, jusqu’à présent, nos sociétés libérales ont réagi en faisant preuve à la fois d’efficacité, de dignité et de solidarité. La pire chose serait de chercher des coupables, la meilleure serait de rechercher les voies d’un consensus pour faire face à un monde transformé et plus incertain.
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