Refonder le travail social edit
Le travail social est assez méconnu et pas forcément bien apprécié. Méconnu, car il recouvre une galaxie de métiers et d’activités aux formations, pratiques et philosophies assez singulières. Pas forcément bien apprécié, car l’époque semble davantage prédisposée à la célébration des start-up et des entrepreneurs qu’à la valorisation des professions de l’intervention sociale. Et puis, il faut bien le dire, le milieu du travail social cultive un peu ses spécificités, avec parfois un certain hermétisme.
Nous devons faire mieux et réformer en profondeur le travail social. Des progrès sont possibles. Sous la présidence de François Hollande, dans le cadre du programme pluriannuel de lutte contre la pauvreté, des Etats généraux du travail social (EGTS) ont été programmés. Annoncés avec une certaine emphase ils ont eu du mal à s’organiser. Ils n’ont pas beaucoup mobilisé au-delà de leur propre sphère de travail et des experts de la profession (ou, pour être plus exact, des professions). Et bien que le travail social reste une question de société importante, aucune personnalité de première ampleur n’a souhaité s’emparer du sujet.
Ce manque d’intérêt – car c’est bien de cela dont il s’agit – est préjudiciable. Il tient peut-être aux liens assez systématiquement établis entre ce monde professionnel et les problèmes des personnes défavorisées. Rappelons que le travail social ne s’y résume pas. Tout individu, toute famille peuvent être concernés lors d’une difficulté conjugale, d’une tension familiale ou de difficultés avec une personne âgée dépendante, par exemple.
Un élément de cette méconnaissance tient à la difficulté à savoir de quoi on parle exactement. Il existe tellement de formations et de fonctions en relevant qu’il est bien difficile d’en dessiner le périmètre. Si l’on s’en tient au cœur du sujet, les principaux métiers sont ceux des assistants sociaux ou assistants de service social (plus connus sous le nom d’assistantes sociales). Ce sont aussi les éducateurs de prévention spécialisée, les conseillers en économie sociale et familiale, les aides médico-psychologiques. Si l’on parle parfois de 1,2 million de travailleurs sociaux, c’est parce que l’on y compte 500 000 personnes exerçant auprès de particuliers employeurs (assistantes maternelles, aides à domicile) et environ 300 000 prodiguant des soins dans des établissements pour personnes âgées. Pour le travail social « canonique » (assistants sociaux et éducateurs) ce sont environ 400 000 personnes, très majoritairement des femmes, qui exercent principalement dans le secteur public et parapublic : conseils généraux, mairies, associations subventionnées mais aussi écoles et quelques grandes entreprises.
Donner au travailleur social le rôle pivot du médecin référent
Alors comment refonder ce travail social (et ses quatorze diplômes) ? Même si l’idée de refondation n’est pas forcément appréciée du milieu, on peut avancer deux propositions générales. La première est de simplifier à la fois l’organisation du travail social et la vie des gens concernés (nous tous potentiellement). Elle s’inspire du positionnement du médecin traitant. Chacun devrait pouvoir savoir, voire choisir, qui peut être « son » travailleur social. Dans une relation contractuelle de « client à prestataire » – expression, qui fait toujours sursauter dans le monde du « social ». Il deviendrait ainsi le travailleur social traitant (TST) ou travailleur social référent (TSR). Le milieu professionnel est féru de sigles. Quel que soit l’employeur, le travailleur social aurait un portefeuille de cas, de clients, dont il aurait la responsabilité.
La désignation d’un intervenant généraliste empêcherait le découragement face à la multitude de contacts possibles avec des intervenants spécialisés. Cette idée, dont l’expérimentation à petite échelle a été lancée en 2017, sous le nom de « référent de parcours », aurait vocation à simplifier la vie administrative de tous – du SDF perdu dans la jungle bureaucratique à la personne, toutes classes sociales confondues, elle aussi perdue dans le dédale des prestations et services, qui cherche appuis et conseils pour l’un de ses parents en perte d’autonomie.
La deuxième proposition s’inspire du projet de Dossier médical personnalisé (le fameux DMP) qui a bien du mal à naître. Mais on doit pouvoir plus aisément créer un Dossier social personnalisé (DSP) ou Dossier social unique (DSU). Il contiendrait l’ensemble de nos informations qu’il ne serait plus nécessaire de devoir débiter lors de chaque contact avec un interlocuteur social (CAF, caisse de retraite, caisse complémentaire, Pôle emploi). Ce DSU est aussi indispensable que constituable, compte tenu de la puissance des systèmes d’information.
L’ensemble est techniquement et pratiquement réalisable, mais à deux conditions. La première est de se soucier avec sérieux du travail social, sans le laisser, ou plutôt, sans l’abandonner aux seules mains, idées et préoccupations des travailleurs sociaux. La deuxième condition est de se donner un objectif de simplification. Il ne sert à rien de répéter à l’envi qu’il faut coordonner les moyens et activités. Simplifions le travail social et profitons de la révolution numérique pour mieux partager données et informations.
Mais s’il est vrai que tout le monde est en général d’accord pour simplifier, en travail social comme en tout autre domaine, l’exercice est généralement compliqué. Alors que faire ? Ne serait-il pas temps que le politique s’en empare, ouvre un chantier, fixe un calendrier ?
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