L’allocation d’autonomie universelle est-elle un bon moyen de combattre la pauvreté étudiante? edit
À l’occasion de la rentrée universitaire, l’UNEF, comme elle le fait depuis plusieurs années, remet sur le tapis la proposition d’une allocation d’autonomie universelle pour les étudiants. Que penser de cette proposition ?
Les étudiants ont beaucoup souffert des conséquences de la crise sanitaire, psychologiquement avec l’interruption des cours en présentiel qui l’a accompagnée plusieurs mois et les risques d’isolement qui en ont résulté, mais aussi matériellement avec la disparition de jobs (dans la restauration, le baby-siting…) qui permettaient à une partie d’entre eux de compléter leurs revenus. Une enquête de l’Observatoire de la vie étudiants auprès de plus 6000 étudiants[1] sur la période de confinement montre que 36% d’entre eux ont dû interrompre leur activité rémunérée durant cette période avec une perte de revenu moyenne de 274€ par mois. Cet épisode a sans conteste fragilisé les étudiants et augmenté les risques de précarité d’une partie d’entre eux. L’enquête de l’OVE montre qu’un tiers des étudiants dit avoir rencontré des difficultés financières durant cette période et que la moitié d’entre deux (17% du total) les a trouvé plus importantes qu’habituellement.
Les étudiants sont-ils trop dépendants de leurs parents?
Même si la situation sanitaire a changé, le gouvernement a prévu des aides d’urgence applicables à la rentrée (revalorisation de 4% des bourses sur critères sociaux, aide exceptionnelle de 100€ pour les étudiants boursiers ou titulaires d’APL, prolongation des repas à 1€ pour les étudiants précaires), mesures que l’UNEF juge notoirement insuffisantes. En tout état de cause, l’allocation d’autonomie universelle est une mesure structurelle dont la pertinence doit être évaluée hors d’un contexte de difficultés conjoncturelles. L’allocation préconisée par l’UNEF serait d’un montant équivalent au seuil de pauvreté soit 1100€ par mois. On remarquera d’abord que ce montant est exactement celui de revenu moyen des étudiants décohabitants (ceux qui ont quitté leurs parents) d’après l’enquête 2020 de l’OVE auprès d’un échantillon de 60 000 étudiants. Bien sûr une part importante de ce revenu (41%) provient de l’aide familiale, directe ou indirecte (par le paiement du loyer par exemple) qui est précisément recensée dans l’enquête. C’est ce point que conteste l’UNEF en considérant que cette aide familiale maintient les étudiants dans un statut de minorité et de dépendance à l’égard des parents (interview d’Imane Ouelhadj, la nouvelle présidente de l’UNEF à France-info).
Cette dépendance est cependant tout à fait relative puisqu’elle n’empêche pas les étudiants d’être nombreux à vivre dans un logement différent de celui de leurs parents, grâce notamment aux aides au logement et aux revenus d’activité qui peuvent constituer un complément pour certains. Au total, d’après l’enquête OVE 2020, 67% des étudiants vivent dans un logement différent de celui de leur parents[2] et 59% touchent une aide au logement. C’est la particularité du modèle français de combiner aides familiales et aides publiques pour accompagner les étudiants vers l’autonomie. Il existe bien sûr d’autres modèles, au nord de l’Europe, fondés sur une autonomie financière précoce des étudiants via des aides universelles. Mais leur application au cas français, vu leur coût élevé et dans le contexte budgétaire actuel, paraît difficile. Au demeurant, il n’est pas sûr que les étudiants aidés par leurs parents vivent cette aide comme un assujétissement et une privation de liberté. En France aujourd’hui les relations entre générations à l’intérieur des familles sont plutôt bonnes et la plupart des parents ne considèrent pas l’aide qu’ils apportent à leurs enfants comme une contrainte pénible mais plutôt comme une obligation morale sans contrepartie. Les parents sont d’abord soucieux de la réussite de leurs enfants qu’ils voient comme le prolongement de leur propre vie et soucieux de leur bien-être, dans la mesure de leurs moyens évidemment.
Ajoutons que financer des étudiants en lieu et place des parents qui le font actuellement revient pour une part à subventionner des ménages aisés. Les étudiants originaires de familles de cadres supérieurs et de classes moyennes sont assez largement dominants dans la population étudiante : 57% sont issus de parents cadres supérieurs, professions intermédiaires ou travailleur indépendant, contre 31% issus de familles populaires, ouvriers ou employés (plus 2% d’agriculteurs et 10% de professions mal définies). Or logiquement les familles de cadres aident beaucoup plus leurs enfants étudiants que les familles d’ouvriers : le rapport des montants moyens va du simple au double, 507€ d’aide familiale mensuelle moyenne pour des parents cadres contre 252€ pour des parents ouvriers.
Ne serait-il pas plus juste et plus équitable de concentrer l’aide au bénéfice des étudiants les plus précaires plutôt que de disperser des sommes très importantes au total sur l’ensemble des étudiants ? Car, effectivement, une minorité d’étudiants vit dans des conditions très difficiles. Dans une étude à paraître réalisée à partir des données de l’enquête OVE 2020, j’ai pu évaluer à 11% la part des étudiants touchés par une réelle pauvreté, c’est-à-dire la part de ceux qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener une vie décente[3]. En France, on utilise plutôt le concept de pauvreté relative qui revient à évaluer la part de la population qui se situe dans le bas de la distribution des revenus (généralement en dessous de 60% du revenu médian). Mais ce concept qui est plus un concept d’inégalité que de pauvreté proprement dit n’est pas adapté pour mesurer la pauvreté étudiante car les étudiants n’étant pas par définition des actifs de plein exercice se situent inévitablement dans le bas de la distribution des revenus. Utiliser ce concept à leur sujet ne nous apprend donc pas grand-chose (sinon le fait que les étudiants ont des revenus plus faibles que les actifs ce qui est une évidence).
Qui sont les étudiants pauvres?
Dans l’article cité, je tente d’appliquer un concept de « pauvreté absolue » au cas étudiant. Il s’agit 1) d’évaluer le budget minimum (à partir d’un certain nombre d’hypothèses) nécessaire pour mener une vie décente (se loger, se nourrir, se déplacer, communiquer, se distraire) et 2) d’évaluer à partir des données de l’enquête OVE la part des étudiants qui disposent d’un revenu inférieur à ce minimum vital[4]. Ces calculs aboutissent à estimer le taux de pauvreté absolue des étudiants à environ 11%, ce qui n’est pas négligeable, même si ce résultat montre aussi que la pauvreté étudiante est loin d’être généralisée.
Parmi ces étudiants pauvres, deux catégories sont fortement surreprésentées : les étudiants étrangers (taux de pauvreté de 19%) et les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles et élèves d’écoles d’ingénieurs (taux de 17 à 18%). La situation des premiers s’explique facilement par la modicité de l’aide reçue des parents et par le fait que seule une très faible partie d’entre deux bénéficie d’une bourse. La situation des seconds est plus paradoxale car ils sont issus plutôt de milieux aisés : 42% ont des parents cadres supérieurs contre 27% pour l’ensemble des étudiants. Mais les revenus de ces étudiants sont modestes du fait qu’ils ne travaillent pas à cause de la lourdeur de leur emploi du temps. Ils reçoivent également un soutien parental qui n’est sans doute pas totalement comptabilisé dans les aides familiales monétaires qu’ils déclarent (ils retournent plus souvent chez leurs parents le week-end que les autres étudiants et déclarent aussi plus souvent profiter d’une aide en nature de la part de leurs parents). Ce cas est intéressant car il illustre l’ambiguïté que peut recouvrir la notion de pauvreté étudiante que soulignaient déjà Nicolas Herpin et Daniel Verger dans un article ancien mais toujours d’actualité[5]. Les étudiants, disaient-ils, sont des personnes qui acceptent pendant un temps des revenus faibles en prévision de revenus futurs plus élevés, les études étant un investissement en capital humain. Les élèves de CPGE sont particulièrement symptomatiques de cette situation. Ce cas est néanmoins particulier et assez différent des autres étudiants en situation de pauvreté. Si on exclut du calcul ces deux cas un peu atypiques – les étudiants étrangers et les élèves de CPGE ou d’écoles d’ingénieurs – pour considérer essentiellement les étudiants d’université et de STS, on aboutit à un taux de 8% d’étudiants pauvres. Pour ces derniers c’est le cumul de plusieurs facteurs qui conduit à ces situations de pauvreté : le fait de quitter précocement ses parents sans bénéficier de leur part d’une aide importante et sans bénéficier non plus d’aides publiques que ce soit sous formes d’aides au logement ou de bourses. Dans ces résultats on peut lire un aspect positif : les bourses sont un très net facteur protecteur de pauvreté. A contrario, le fait que, à type d’études et mode de vie équivalents, les non boursiers soient systématiquement plus souvent pauvres que les boursiers, montre que le système de bourses ne remplit qu’imparfaitement son office. Il protège bien ceux qui en bénéficient, mais il laisse de côté une partie des étudiants connaissant de grandes difficultés budgétaires. 72% des étudiants pauvres sont non boursiers.
Compenser les défaillances familiales
Un axe de réforme des aides étudiantes devrait donc être de mieux cerner le profil de ces étudiants pauvres ayant quitté leur famille, qui passent sous les radars des aides publiques tout en étant peu aidés par leurs parents. Un des résultats de l’étude est que la situation de pauvreté de ces étudiants décohabitants n’est pas liée statistiquement au milieu social des parents, ce qui explique sans doute qu’une grande partie d’entre eux ne soit pas éligible aux bourses sur critères sociaux. Privés de bourse, ils sont en même temps très peu aidés par leurs parents (pour des raisons que l’étude ne permet pas d’élucider totalement).
C’est sur ce point précis qu’on peut rejoindre un des arguments avancés par la présidente de l’UNEF : en attribuant les bourses sur la base des revenus des parents, on exclut de leur bénéfice des étudiants dont les familles ne sont pas éligibles et qui sont pourtant personnellement en situation de pauvreté. Il s’agit au fond d’un cas où le système français d’équilibre entre aides familiales et aides publiques dysfonctionne. Théoriquement, le système des bourses n’est pas prévu pour pallier les défaillances d’une aide que les parents, lorsque leurs revenus le permettent, sont tenus de fournir à leurs enfants « tant que ces derniers ne sont pas en mesure de subvenir à leurs propres besoins » (articles 203 et 371-2 du Code civil). Néanmoins ces cas existent manifestement et il faudrait pouvoir y répondre. La puissance publique devrait tenter de repérer ces situations de défaillance familiale et trouver le moyen d’y remédier. Ce serait une action plus réaliste, plus crédible et finalement plus juste qu’une allocation d’autonomie généralisée.
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[1] OVE infos, n° 42, septembre 2020, « La vie étudiante au temps de la pandémie de coviD-19 : incertitudes, transformations et fragilités »
[2] OVE, Repères 2020
[3] « Qui sont les étudiants vraiment pauvres ? » A paraître dans une prochaine publication de l’OVE sur les résultats de l’enquête « Conditions de vie 2020 ».
[4] Pratiquement cela a consisté à calculer les frais minima et les revenus pour 24 situations-types en combinant le lieu de résidence (Ile-de-France vs autres régions), la filière d’étude, le fait de cohabiter ou non avec ses parents et le fait d’être ou non boursier.
[5] Herpin Nicolas et Verger Daniel (1998), « Les étudiants, les autres jeunes, leur famille et la pauvreté », Economie et statistique n°308-310, octobre 1998. pp. 211-227.