Le retournement de LR: vers un renouveau du parlementarisme? edit
La perspective d’un accord entre la majorité et LR sur le régime des retraites constitue un événement dont on ne saurait sous-estimer l’importance pour le fonctionnement de notre système politique. Précédé par la main tendue par Macron à ce parti, cet accord poserait des limites à un présidentialisme qui était arrivé à bout de course. Ce changement de pied trouve son origine directe dans le résultat des élections législatives qui n’ont donné au président qu’une majorité relative et ont provoqué un dysfonctionnement du fonctionnement des institutions, le gouvernement ne pouvant alors gouverner que par une utilisation à répétition du 49.3. Il répond plus largement à une situation politique qui depuis longtemps se caractérise par l’impopularité des présidents de la République et leur manque d’une assise politique suffisamment large, quand bien même ils disposeraient d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Une fois de plus, notre Constitution montre sa capacité à s’adapter à des situations politiques très différentes. Comme quoi le bon sens n’est pas toujours absent chez nos politiques, ni la prise en considération de l’intérêt général.
Les deux auteurs de ce changement sont la Première ministre, Elisabeth Borne, et le nouveau dirigeant des Républicains, Eric Ciotti. La première a été nommée par un président qui avait pourtant axé sa première campagne présidentielle sur la condamnation des accords partisans et de la classe politique et sur son peu de considération pour le Parlement, défendant une vision gaullienne du fonctionnement de la Ve République. Mais Elisabeth Borne a su affirmer la nécessité d’un compromis.
Eric Ciotti quant à lui déclarait encore récemment que tout accord avec Macron était hors de question et qu’il se sentait plus proche du Rassemblement national que du macronisme. De fait, il a été élu à la direction de son parti, en décembre dernier, par sa partie la plus anti-macroniste.
Pour comprendre le choix fait par ces deux personnages avec l’accord du président, il faut d’abord se rappeler que le texte de la Constitution de 1958 établit un régime parlementaire. La révision de 1962 qui a institué l’élection du président au suffrage universel n’a rien changé à cela. Le président doit disposer pour gouverner d’une majorité parlementaire. S’il n’a pas de majorité absolue, comme nous le rappelle la situation actuelle, il lui faut en construire une à l’Assemblée sous peine de blocage ou de dysfonctionnement des institutions. Il faut donc revenir à une conception parlementaire du régime, c’est-à-dire à une prise en compte de la nécessité de passer des accords avec un ou plusieurs partis parlementaires qui n’ont pas soutenu le candidat élu à la présidence de la République. Certes, il ne s’agit pas, ou pas encore, d’une nouvelle majorité. Mais cet accord, s’il se confirme, ouvre une telle possibilité dans l’avenir.
On pourrait s’étonner que ce soit Eric Ciotti qui se dise « prêt à voter une réforme juste », vu son positionnement lors de la campagne pour la présidence de LR. Mais cette attitude est parfaitement logique du point de vue des intérêts de son parti. Il était surprenant, à l’inverse, que de nombreuses personnalités de LR aient encore récemment exclu tout rapprochement avec les macronistes. En effet, ce faisant, ils se privaient d’utiliser la principale ressource politique à leur disposition après la catastrophe présidentielle, un groupe relativement nombreux à l’Assemblée nationale. À partir du moment où le groupe LR à l’Assemblée refusait de faire tomber le gouvernement en votant les motions de censure des partis extrémistes, le parti ne disposait plus que d’une option, celle du rapprochement avec un président qui l’y invitait.
En saisissant cette option, LR retrouve un statut de parti de gouvernement. C’est précisément l’enjeu pointé par Eric Ciotti, qui a déclaré : « Il n'y a qu'une alternative crédible et raisonnable : demander aux actifs actuels et futurs de travailler un peu plus sur la durée de la vie de travail », estimant que soutenir la réforme est une « question de cohérence et de responsabilité » pour une « droite de gouvernement ».
L’accord reste à confirmer et la suite n’est pas écrite. Mais il faut mesurer l’importance de ce moment pour l’avenir de LR. Cette vocation assumée à participer au pouvoir contraste avec les atermoiements du Parti socialiste qui, lui, persiste à refuser de s’engager dans la voie du compromis avec le centre. Son prochain congrès va l’amener, quel que soit le vainqueur, à s’enfoncer plus encore dans l’impasse où il s’est engagé avec la formation de la Nupes. Aucun des trois candidats au poste de premier secrétaire ne veut admettre en effet que le PS est plus proche sur le fond de Macron que de Mélenchon. Ce faisant ce parti a renoncé à tenter de récupérer son statut de parti de gouvernement. Pour lui, Macron demeure l’affreux économiste libéral et le président des riches. Mais cette posture est une impasse stratégique : son groupe parlementaire ne lui sert à rien, hésitant, au coup par coup, à voter ou non les motions de censure de LFI sans disposer d’aucune autonomie dans le choix de ses alliances et donc d’aucune perspective de redressement.
Le PS reproche à Macron de virer à droite. Mais comment avoir une chance d’empêcher la victoire du RN aux prochaines élections sans constituer une majorité alternative à une éventuelle majorité de droite et d’extrême-droite, et comment constituer une telle majorité sans opérer un rapprochement entre le centre et la droite de gouvernement puisque le PS s’est mis de lui-même hors-jeu ?
On le voit, cette divergence de stratégies entre LR et le PS pourrait constituer un événement d’une grande portée pour l’avenir de notre système politique et plus largement de notre pays.
La mue de LR et l’action remarquable de la Première ministre, qui fait penser à ce que fut l’action de Pompidou Premier ministre du général de Gaulle, n’assurent pas pour autant la pérennité et moins encore un progrès dans le rapprochement entre le centre et la droite de gouvernement.
La question des alliances se reposera lors des prochaines élections. La meilleure manière de progresser dans cette direction est de donner au fonctionnement parlementaire plus d’autonomie pour que puissent se nouer des coalitions gouvernementales majoritaires. En toute logique, cela exigerait de rétablir le mode de scrutin proportionnel aux élections législatives, ce qui pourrait permettre à des partis qui n’ont pas soutenu le président élu au moment de la campagne présidentielle de former une coalition gouvernementale après les élections législatives au vu des résultats en sièges.
Une telle modification du mode de scrutin redonnerait quelque lustre et quelque intérêt aux élections législatives dont les Français se désintéressent de plus en plus, et davantage de pouvoir au Parlement, ce qui paraît nécessaire sauf à considérer que la seule manière de sortir de la crise de fonctionnement du système est de privilégier la démocratie directe.
C’est donc de l’union des parlementaristes que découlera l’éventuelle amélioration de ce fonctionnement. L’élément central de la culture parlementaire est de considérer que le compromis entre forces politiques différentes, voire opposées sur de nombreux sujets, est la meilleure manière de régler les conflits politiques. Passer un compromis ne conduit pas nécessairement à une alliance gouvernementale, mais il est déjà le premier pas pour redonner de l’intérêt et de l’utilité au fonctionnement parlementaire, un premier pas décisif.
Dans cette optique, au sein de LR c’est finalement Nicolas Sarkozy qui a eu raison contre Bruno Retailleau et le président du Sénat, Gérard Larcher, qui encourageaient récemment l’ancien président à quitter leur parti. Reste à Eric Ciotti à faire accepter cette réorientation à son parti et à lui donner dans l’avenir une consistance politique, c’est-à-dire à en faire une orientation stratégique ce qui est un pas supplémentaire très délicat, qu’il ne veut pas ou ne peut pas nécessairement franchir.
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