Perte d’autonomie: et le 5e risque revint par la fenêtre… edit
Les récents propos du président de la République lors de ses deux interviews télévisées des 12 et 15 avril, multipliant les remerciements aux retraités touchés par une hausse discutée et discutable de la CSG et évoquant la question du financement de la perte d’autonomie, ont montré que le « nouveau monde », qui voulait s’affranchir de la question senior, se retrouve rattrapé par le réel. Le financement pérenne et équitable de l’accompagnement de la perte d’autonomie ne s’inscrit pas dans une simple équation technocratique mais nécessite une vision bien articulée de la société de la longévité dans laquelle nous vivons désormais.
Depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs ont tenté de colmater les brèches ouvertes par le vieillissement, tout en ayant l’œil d’abord rivé sur les coûts. De manière plus ou moins consciente, l’enjeu était plus de restreindre la charge pour la collectivité, et donc le recours aux prestations, que de répondre aux besoins des personnes et aux nécessité de santé publique. Cette approche est souvent associée à des mises en œuvre inflationnistes de normes, pas toujours utiles, renchérissant l’accompagnement des plus fragiles et réduisant la capacité d’action et d’innovation des acteurs de terrain. Cette politique est passée totalement à côté de l’enjeu – pourtant essentiel – de la prévention de la perte d’autonomie et du soutien aux approches en faveur du bien vieillir.
La Prestation spécifique dépendance (PSD), entrée en vigueur le 30 avril 1997, en était la caricature puisque, outre des conditions d’accès drastiques, le fait de pouvoir demander aux héritiers son remboursement a conduit les personnes âgées à ne pas en faire la demande. Et à voir leur état empirer. L’histoire retiendra que la secrétaire d'État aux personnes âgées Paulette Guinchard-Kuntzler a pu convaincre de créer en 2001 l’Allocation prestation autonomie (APA) qui ne souffrait pas de recours sur succession et qui était modulé en fonction des revenus et de la situation de perte d’autonomie. La PSD n’a concerné que 135000 personnes, contre 670000 allocataires pour l’APA dès le début 2003. Avec une enveloppe budgétaire très au-dessus de ce qui avait été initialement prévu : 3,7 milliards d’euros au lieu de 2,5 milliards… Aujourd’hui, on compte plus de 1,26 millions d’allocataires pour un total de 5,7 milliards[1]. Si initialement le financement devait se répartir à 50/50 entre État et départements, ces derniers en assument les deux tiers, avec des ressources de moins en moins autonomes et de plus en plus faibles. Ce qui renforce, de fait, les inégalités territoriales. Notons que le Gouvernement Raffarin reformera dès 2003 les conditions d’obtention de l’APA pour la rendre plus difficile à obtenir et accroître la part de financement des personnes.
Un manque de vision
Mais le financement de la perte d’autonomie, qui ne touche, rappelons-le, qu’une part minoritaire des plus âgés, mais dont le nombre va aller croissant dans les années à venir, et les personnes en situation de handicap, ne se résume pas à cette allocation. Le problème tient dans la visibilité réduite des modes de financement et dans l’absence d’une réponse globale. Il provient aussi de la hausse de ce que l’on nomme, pas très joliment, le « reste à charge » que doivent financer les familles concernées. Le problème provient aussi du fait que le système s’appuie, sans vraiment le dire, sur l’implication au quotidien des 8,5 millions, au moins, d’aidants qui prennent soin d’un proche. C’est bien pourquoi la demande pour la création d’un financement pérenne du grand âge a pris de l’ampleur. Pourtant, aucune décision structurante n’ait été prise, à l’inverse de l’Allemagne, où le risque de perte d’autonomie est pris en compte par la collectivité. Certes, il importe de ne pas sous-estimer la création de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité Autonomie) qui est devenue une agence de moyens et d’actions en faveur du financement et de l’accompagnement de la perte d’autonomie des aînés et des personnes touchées par le handicap. Sa présidente, Marie-Anne Montchamp, ancienne secrétaire d’État sous les présidences Chirac et Sarkozy, fait de la CNSA un levier pour engager une vision plus citoyenne et portée sur l’innovation sociale face à la transition démographique et à la société de la longévité. Reste que de la part des autorités gouvernementales, on attend encore une vision partagée de ce que peut être une société solidaire de la longévité et de l’accompagnement des plus fragiles. On attend aussi que cette vision s’appuie ardemment sur la prévention et l’implication des seniors et de l’ensemble des personnes touchées par la maladie et la perte d’autonomie.
5e risque, assurance privée ou semaine de travail non payée?
Le financement pérenne du grand âge ne répond pas d’abord à une problématique technique, ou à une équation relevant de Bercy, mais à des choix de société, à une vision politique, à la capacité de traduire dans les faits la conscience d’une mutation majeure. Rappelons que le Rapport Laroque (du nom de celui qui, avec Ambroise Croizat, inventa la Sécurité sociale) date de 1962 et proposait déjà de prendre en compte le grand âge dans la protection sociale… Si des décisions ont été prises, dont la création de la CNSA et d’une journée dite de solidarité où le travail effectué est non payé pour financer l’accompagnement de la perte d’autonomie, force est de constater qu’aucune réponse structurante n’a été proposée.
Aujourd’hui, il semble que le « nouveau monde » reprenne une recette de l’ancien en évoquant la création d’une deuxième journée… À ce tarif-là, il faudrait supprimer au moins une semaine de congés pour arriver à un résultat utile ! Car, dans le meilleur des cas, une journée de plus (qui se conclut en large partie par, de fait, un impôt prélevé sur les entreprises) permettrait de trouver 2 milliards de plus par an ; alors que les besoins d’aujourd’hui, et plus encore de demain, sont plutôt de l’ordre de 15 à 20 milliards.
La création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pourrait venir renforcer les quatre grands risques déjà couverts : la maladie, le risque d’accident du travail, le financement des retraites et l’ensemble des prestations familiales. Très clairement, il s’agirait donc de lever de nouveaux impôts et cotisations sociales fléchées vers la perte d’autonomie, dans une approche collective et solidaire. Mais d’une certaine manière la CNSA, avec son budget de 25 milliards, joue en partie ce rôle. Avec une gouvernance différente et un système de levée d’impôts moins visible, marqué entre autre par une part des crédits d’assurance maladie financés par la CSG et des cotisations patronales maladie, le produit de la cotisation patronale de 0,3%, comme contrepartie du jour férié supprimé pour les salariés et une contribution spécifique (0,3% des pensions supérieures à 1200 €) des retraités.
À côté de la mise en œuvre de cette nouvelle branche de la solidarité sociale, une autre piste concerne l’assurance privée (pouvant être aussi portée par les mutuelles). Il s’agirait, de manière complémentaire aux financements collectifs, d’ouvrir à une assurance perte d’autonomie individuelle. Dans cette optique, une approche élargie au risque d’être aidant d’un proche peut avoir sa pertinence. Reste aussi à établir son caractère facultatif ou obligatoire (ce qui revient alors à lever un impôt supplémentaire…).
Il s’agit bien évidemment de choix politiques mais aussi de lucidité économique, la dualité weberienne entre éthique de conviction et éthique de responsabilité reprenant une fois de plus sa pertinence… Il s’agit aussi de penser les conditions de cette société de la longévité, de la place donnée à la prévention et du soutien aux plus fragiles tout en s’interrogeant sur les nouvelles ressources à mobiliser pour financer les dépenses non couvertes aujourd’hui. Dans cette optique, quelle place, et selon quelles formes de financement, pour le collectif, et pour l’individuel, c’est-à-dire pour des systèmes d’assurance obligatoire privée ? Dans cette optique, comment faire de la prévention la priorité et comment permettre à l’ensemble des acteurs d’être parties prenantes ?
Les réponses participent très directement du contrat social à la française, et nécessitent d’initier des approches cohérentes avec la situation économique du pays, le degré d’endettement et le rapport social à l’impôt. Elles exigent aussi de poser la question des priorités de la solidarité sociale et de faire émerger un consensus éclairé sur les formes de conditionnalité des politiques sociales et de soin.
[1] Chiffres clés 2017 de l’aide à l’autonomie, CNSA.
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