A-t-on le droit de parler de «menace russe»? edit

1 avril 2025

Les déclarations du président de la République le 5 mars invitant le pays à un sursaut de son effort de défense face à la « Russie qui est une menace pour la France et pour l’Europe » ont ouvert un débat. Sans surprise, la Russie a dénoncé « une attaque russophobe », Sergueï Lavrov y a vu « bien évidemment une menace contre la Russie », cependant que Vladimir Poutine déclarait : « Il y a encore des gens qui veulent revenir à l'époque napoléonienne en oubliant comment ça s'est terminé. »

En France, LFI, par la voix de Manuel Bompart a accusé le Président de susciter la peur pour réduire les avantages sociaux. Marine Le Pen a traité Emmanuel Macron de « va-t-en-guerre » et jugé la menace islamiste plus sérieuse que la menace russe, dont elle a reconnu avec réticence qu’elle existait, « comme il y a une menace américaine et une menace chinoise ». Jordan Bardella s’est dissocié de cette analyse, estimant qu’il y avait bien une « menace russe multidimensionnelle » mais qu’il fallait éviter d’entrer dans « une guerre larvée » avec la Russie, puissance nucléaire. 

Des responsables de la droite modérée ont également critiqué les positions du Président. François Fillon, David Lisnard, qui a parlé « d’hystérisation », Hervé Morin « d’agressivité ». La presse Bolloré a dénoncé une manœuvre visant à redresser un pouvoir intérieur compromis, le JDD dénonçant le 9 mars « La surenchère de la peur » dans une pleine page où figurait une photo d’Emmanuel Macron ; ce dernier a réagi en appelant le journal à « mieux respecter la véracité des faits ».

Pierre Lellouche a, dans une lettre ouverte[1] au président de la République, écrit : « alors que Trump renoue avec la Russie, vous la désignez comme notre adversaire, voire même comme notre ennemie, faisant vôtre le leitmotiv de Zelensky : «Après l’Ukraine, Poutine prendra l’Europe». Un postulat hautement discutable au regard des piètres performances de l’armée russe après trois années de guerre contre un adversaire cinq fois moins nombreux et bien plus pauvre… »

Cependant, l’opinion française se montrait largement favorable à l’accroissement des efforts de défense, et souscrivait majoritairement à l’existence d’une menace russe[2].

Ce débat, peut-on le trancher et dans quel sens ? Il nous paraît indéniable que la Russie est une menace pour la France et pour l’Europe, mais ce qui la rend aujourd’hui plus aigüe n’est pas tant le surcroît, évident, de son hostilité envers l‘Europe, mais le repli de l’alliance américaine : ce repli fait de l’Europe l’ennemi principal pour la Russie, tout en démultipliant ses capacités de nous nuire, dès lors que nous sommes privés du soutien assuré des Etats-Unis.  

Menace : les capacités

La menace dépend analytiquement de trois facteurs : les capacités, le sentiment d’hostilité et l’intention hostile.

Les premières capacités russes, qui laissent les Européens totalement distancés, sont nucléaires : environ 5000 têtes déployées, plusieurs milliers en réserve, de puissances et de portées très diverses. Facteur de stabilité pendant la guerre froide, le nucléaire est devenu un instrument d’agression, à l’abri duquel les Russes peuvent se permettre de se livrer à des actions hostiles sans craindre de subir de représailles majeures. Leurs capacités nucléaires amplifient ainsi leurs autres facteurs de nuisance, qu’elles leur permettent d’utiliser impunément.  

Face à l’arsenal nucléaire russe, la France et la Grande-Bretagne ont des armes « d’ultime recours » qui ne prémunissent pas l’Europe de cet effet amplificateur. Les forces de dissuasion des deux pays ne pourraient en effet protéger l’Europe qu’en cas de menace directe, menaçant leur survie-même ; elles laissent ouvertes de multiples scénarios d’intimidation nucléaire de la Russie.

Or les Russes ont développé une nouvelle doctrine nucléaire qui prévoit la possibilité d’emploi en premier. Ils n’ont cessé de mettre en avant leurs capacités nucléaires depuis 2022, s’en servant comme d’un moyen d’intimidation envers l’Ukraine et les pays qui la soutiennent, non sans résultats : la prudence et le gradualisme mis par l’administration Biden dans son soutien militaire à l’Ukraine en témoignent.

Pendant la guerre froide, on ne parlait pas à la légère du nucléaire, car l’on savait que la dissuasion exige une maîtrise des mots et que jouer avec la rhétorique nucléaire est intrinsèquement dangereux. On peut se retrouver pris au piège de ses menaces, et tenté de les mettre à exécution si elles échouent ; on risque de passer de l’intimidation verbale à la menace active, au bout de laquelle il y a la tentation de l’emploi.

Cette tentation, on ne peut exclure que les Russes l’aient éprouvée lors de la contre-offensive ukrainienne sur Kharkiv en août 2022, qui tournait pour eux à la débâcle. Il y a eu des mises en garde chinoises publiques, à ce moment-là, contre tout emploi de l’arme nucléaire dans le conflit et l’on a rapporté qu’il y aurait eu des menaces américaines de représailles classiques implacables visant à en dissuader les Russes.  

En tout état de cause, la référence incessante des Russes, depuis 2022, à l’escalade possible du conflit montre que la menace nucléaire fait partie de leur arsenal et qu’ils n’hésitent pas à y recourir, avec un certain effet. Cela peut se répéter ; dans ce cas, les Européens n’auraient pas, sur la Russie, une influence modératrice comparable à celle des Américains ou des Chinois, car ils n’ont ni les capacités militaires écrasantes des premiers, ni l’importance vitale des seconds pour la Russie.  

Sur le plan classique, la guerre d’Ukraine a eu deux effets en sens opposé sur les forces russes. Elles ont été affaiblies en raison des pertes énormes en hommes et en matériels qu’elles ont subies, et elles auront pendant longtemps à rester sur le qui-vive pour consolider leurs gains en Ukraine et se prémunir d’une éventuelle revanche ukrainienne. Elles ont progressé en qualité : trois ans de guerre ont accoutumé les hommes et les tactiques à un nouveau type de combat terrestre, où les drones et la guerre électronique jouent un rôle insoupçonné avant 2022, et dont les forces européennes n’ont aucune expérience. Les budgets de défense des pays européens sont plus élevés et leurs forces plus nombreuses que les forces russes ; mais celles-ci sont aujourd’hui déployables en plus grand nombre, plus cohérentes, plus endurantes, et plus expérimentées.

Enfin, restent les moyens de guerre asymétrique des Russes, valorisés et rendus essentiels dans leur doctrine : action informationnelle, intimidation et élimination des opposants, financement de réseaux d’influence et de renseignement à l’Ouest, sabotage et action subversive, où la Russie excelle depuis toujours. Elle dispose de capacités formidables dans ce domaine, dont elle use sans retenue : elle était convaincue d’avoir, dès avant la guerre, assassiné des opposants, financé des agents et des compagnons de route en Europe. On lui prête, depuis, d’avoir cherché à assassiner le patron du plus important groupe allemand d’armement, incendié une usine de munitions en Slovaquie, brouillé des signaux GPS, endommagé des câbles sous-marins dans la Baltique, et disséminé des colis incendiaires susceptibles de faire exploser des avions en vol.

Le sentiment d’hostilité

La Russie regarde-t-elle l’Europe et la France comme ennemies ? Ce sentiment peut-il l’entraîner à nous nuire activement et à employer la force contre nous ? La réponse à la première question est sans équivoque positive, l’emploi de la force, sans être probable, ne pouvant être exclu : depuis 2022, le discours russe à notre endroit est hostile, et plus agressif qu’il n’a jamais été aux pires moments de la guerre froide.

Il y a à cela deux raisons. La première est que la haine de l’Ukraine, qui n’a cessé de croître avec leurs échecs, embrasse pour les dirigeants russes tous ceux qui aident ce malheureux pays.  La seconde est que Vladimir Poutine a besoin de la menace occidentale pour justifier son bilan lamentable en Ukraine : il ne peut justifier le fait que ce pays « qui n’existe pas » lui a tenu tête, qu’en soutenant que, derrière elle, il affronte, en réalité, l’Occident coalisé. C’est ce qu’il ne cesse de répéter à son opinion depuis trois ans, les sondages montrant qu’une large majorité des Russes adhère à cette thèse et pense que l’OTAN est à l’origine de la guerre.

Poutine se dit donc en guerre contre nous et il est probable qu’il en est persuadé. Il importe assez peu de savoir s’il le croit de bonne foi, s’est laissé prendre à sa propre propagande ou s’il fait semblant de le croire. Il est tenu de le dire et de se conformer, plus ou moins, à ce qu’il dit.

Le retournement de la position américaine oblige la propagande russe à virer de bord ; elle s’efforce laborieusement de distinguer l’Europe, irrémédiablement hostile envers la Russie et gagnée par la décadence morale, le bellicisme et le wokisme, Europe de surcroît minuscule et ridicule, des États-Unis où subsiste, dit-elle, un réservoir de forces favorables aux valeurs traditionnelles et à la paix.

Tant que la guerre durera, Poutine aura besoin de présenter l’Ukraine comme une marionnette manipulée par les ennemis de la Russie : à défaut de l’Occident collectif, la défection des États-Unis lui laissera l’Europe pour jouer ce rôle. Elle va devenir l’ennemi principal de la Russie.

On dit de Poutine que c’est un pragmatique, qui ne se laisse pas dominer par ses sentiments Nul doute néanmoins que sa vindicte et son ressentiment, déjà notables, ont été excités par trois ans de guerre ; qu’il déteste l’Europe ; qu’il y voit un adversaire politique et idéologique, d’autant plus exaspérant qu’il ne s’attendait à la voir soutenir en bloc l’Ukraine comme elle l’a fait depuis 2002, ni à la voir persister dans son soutien alors que Trump lâchait l’Ukraine.

Il y a cependant une différence : Poutine respecte les États-Unis et les craint, à la différence des Européens, qu’il méprise. Il risque donc, face à l’Europe, de se montrer plus agressif qu’il ne l’a été vis-à-vis de l’Occident uni derrière les États-Unis. Or le mépris de l’adversaire est de mauvais conseil : il a fait déjà commettre à Poutine l’erreur monstrueuse d’envahir l’Ukraine en 2022 ; il peut, face à une Europe qu’il juge faible et décadente, se trouver encore davantage exposé à l’erreur de calcul et à l’aventurisme. Il n’en sera que plus dangereux.

L’intention hostile

La Russie de Vladimir Poutine a, vis-à-vis de l’Europe, les capacités militaires et le sentiment d’hostilité qui caractérisent une menace. A-t-elle l’intention de passer à l’acte ? Sur ce point, l’on est réduit aux conjectures, car la dangerosité de la Russie dépend pour aussi longtemps qu’il la dirigera, de la personnalité obscure et des comportements imprévisibles de son chef.

Vis-à-vis de l’Ukraine, il y avait un consensus des cercles dirigeants russes pour chercher à la ramener  dans l’orbite russe, à contrecarrer les forces à l’origine de la révolution orange de 2004 et de celle de Maïdan en 2014, où ils voyaient la main de l’Occident. Mais la décision d’envahir l’Ukraine en 2022 n’est due qu’à Poutine et à de rares affidés, les organes politiques et militaires russes croyant globalement, comme leurs homologues à l’Ouest, qu’il bluffait. Ils se sont ralliés uniment à la guerre, le pouvoir poutinien ne laissant survivre que les sycophantes.

Le facteur Poutine a été décisif dans cette évolution et le restera ; la menace russe sera chargée de ce fait d’un degré élevé d’incertitude. On peut néanmoins avancer quelques observations. Les premières et les plus faciles consistent à dissiper quelques fausses vérités d’évidence.

Passons sur l’argument, maintes fois entendu selon lequel l’on aurait intérêt à traiter avec Poutine car son successeur serait fatalement plus dangereux que lui ; argument aussi vieux que l’URSS et qui faisait déjà dire à Ramsay MacDonald en 1924 qu’il fallait « aider Staline contre les durs du Politburo. » 

Plus sérieux est celui est selon lequel la Russie de Poutine n’est pas une menace car elle n’en a pas ou plus les moyens : « incapables de prendre Kharkiv à 50 km de la frontière russe, les Russes ne vont pas chercher à envahir l’Europe », entend-on ; c’est l’argument de Pierre Lellouche. C’est évident d’une attaque globale à l’échelle continentale, mais inexact d’une prise de gage ou d’une action armée limitée qui nous mettrait devant le dilemme détestable de l’acquiescence ou de l’escalade. Les Russes en ont les moyens, qu’amplifie leur posture nucléaire (cf. supra).

Une autre façon de défaire cet argument est de se souvenir que c’était celui du Renseignement français qui, en 2022, voyant que les forces russes ne suffiraient pas à envahir l’Ukraine, en avait conclu que Poutine ne le ferait pas. C’était et cela reste une erreur de miser sur l’aptitude au calcul rationnel de Poutine. On a vu qu’il pouvait faire une évaluation grossièrement erronée du rapport des forces et prendre les décisions les plus aventurées. Cela le rend d’autant plus dangereux.

On peut espérer qu’il sera plus avisé la prochaine fois, mais il ne paraît pas d’un tempérament à apprendre de ses erreurs : l’on n’a pas assez observé que c’est au point le plus bas de ses fortunes militaires, en septembre 2022, qu’il a annexé les quatre oblasts de Kherson, Zaporidjia, Louhansk et Donetsk, en même temps qu’il mobilisait 300 000 hommes. C’est, au poker, ce qu’on appelle doubler sa mise. Poutine n’avait pas bluffé et, devant l’obstacle, il a choisi l’escalade.

Dans ces conditions, il est essentiel de savoir s’il borne par avance ses ambitions. On dit qu’il veut reconstituer le domaine impérial russe, refaire l’URSS. Il est peu vraisemblable qu’il ait un plan séquentiel comme Hitler en avait un, révélé aux chefs militaires allemands médusés en novembre 1937[3] avec sa série programmée d’agressions : Tchécoslovaquie, Pologne, France et Grande-Bretagne, URSS. (Si l’on veut trouver un point commun entre Poutine et Hitler le plus évident est que ce sont tous deux des autodidactes, c’est-à-dire des personnalités qui se forment des idées sommaires en nombre limité, qu’ils n’ont pas l’occasion de soumettre à l’analyse critique et dont ils ne dévient plus. Ainsi, Hitler s’était persuadé que les juifs avaient agressé l’Allemagne, Poutine que l’Ukraine n’existait pas, comme il l’a expliqué dans le long article publié sur le sujet en juillet 2021 et qui a servi de base théorique à son agression).

Dans la poursuite d’une influence dominante dans son « étranger proche », où l’Ukraine revêt une importance unique, la Russie a jusqu’en 2022 agi – et souvent réagi – au coup par coup, au gré des circonstances, principalement par l’action indirecte et non assumée.

Cependant, c’est à Poutine qu’on doit d’avoir franchi le Rubicon en février 2022 et choisi de conquérir l’Ukraine à force ouverte. Sans doute l’a-t-il fait parce qu’il pensait que le temps jouait en faveur des forces hostiles – l’Ouest, George Soros, le nationalisme ukrainien, Zelensky – qui conspiraient à la faire échapper aux Russes. Il reste qu’avec ce choix, il a modifié le consensus stratégique qui régnait jusqu’alors en Russie, et que ce consensus inclut aujourd’hui le recours à la force si nécessaire dans l’étranger proche. Poutine ne reviendra pas en arrière.  

Tant que l’influence prépondérante que la Russie revendique dans cet espace n’aura pas été consolidée, tant que Poutine la jugera menacée, il pourra recourir de nouveau à la force. Un recours non pas planifié de reconstitution séquentielle de l’empire par la conquête, mais plus probablement la poursuite d’une série de coups, au gré des occasions et de l’évolution du rapport des forces. C’est pourquoi il y aura au mieux une trêve précaire en Ukraine, et que les autres composantes de l’étranger proche qui échappent à son emprise, Moldavie, Géorgie, pays baltes, resteront menacés.

Au-delà, il y a un deuxième cercle de moindre importance où l’appétit de puissance des Russes se manifeste à notre détriment de façon ponctuelle : les Balkans, la Roumanie, la Serbie, l’Europe centrale. La Russie y joue de ses relais d’influence – les droites nationalistes anti-européennes, l’Orthodoxie, la solidarité slave, les affaires – pour y contrer nos intérêts, y envenimer des situations qui puissent affaiblir l’Europe et distraire notre attention de l’Ukraine. La menace y est indirecte et opportuniste, à la différence du premier cercle des intérêts russes où elle peut être considérée comme structurelle.

Enfin, il y a, vis-à-vis de l’Europe en général, l’ambition de la diviser, de l’affaiblir et d’empêcher qu’elle ne soit une force cohérente de nature à contrer les ambitions russes ; mais il ne s’agit plus ici de menace mais de capacités de nuisance, où entre néanmoins la possibilité d’actions hybrides comportant une part de violence.

Un découplage transatlantique qui rend la Russie plus dangereuse

Si la menace russe sur l’Europe est plus grave et plus actuelle, c’est d’abord en raison de Poutine, de ses ambitions, du désir de revanche que va lui laisser son échec ukrainien, mais aussi et surtout en raison du séisme politique que représente le deuxième mandat de Trump, marqué par un délitement rapide de la relation transatlantique et un rapprochement spectaculaire entre Washington et Moscou.

Le principal fait nouveau, qui aggrave la menace russe sur l’Europe n’est ainsi pas à rechercher en Russie mais aux États-Unis où s’est produite une évolution absolument inattendue : au désengagement, relatif et progressif, des États-Unis d’Europe, s’est superposée la remise en cause brutale par les États-Unis de leur soutien à l’Ukraine, leur alignement sur les analyses russes et une opposition ouverte et brutale à l’Europe en tant que telle. Ils ont ainsi jeté le doute sur leurs engagements d’alliance en général, et l’alliance atlantique en particulier.

On ne saurait minimiser la profondeur de ce doute et la gravité de ses conséquences : que vaut la parole des États-Unis ? aura-t-on une alliance à éclipse, active sous majorité démocrate, débranchée quand les Républicains sont au pouvoir ? Jusqu’où ira le rapprochement de Trump avec la Russie de Poutine ?

Dans une hypothèse modérée, celle d’une Amérique qui sera pour quatre ans complaisante envers Poutine, politiquement hostile envers l’Europe, et défiante envers l’alliance atlantique, la Russie deviendra ipso facto beaucoup plus dangereuse pour l’Europe. Les Russes n’auront plus, en effet, à intégrer dans leurs calculs le risque qu’en s’en prenant aux Européens ils pourraient aller à la confrontation avec les États-Unis ; à tout le moins, le risque pour eux se trouve-t-il considérablement réduit.

Cette situation nouvelle démultiplie la possibilité pour les Russes d’intimider, de menacer ou de contraindre les Européens. Il exacerbe le risque d’aventure de la part d’un Poutine que le retournement américain enchante et enhardit.

Encore s’agit-il d’une hypothèse prudente, celle d’une abstention américaine ; or, celle d’une entente russo-américaine contre les Européens a cessé d’être farfelue. Prenons l’exclusion du candidat pro-russe Georgescu de la compétition présidentielle roumaine, qui a donné lieu à de violentes émeutes le 11 mars : les États-Unis et la Russie sont aujourd’hui d’accord pour la considérer comme un déni de démocratie. Il ne serait pas à exclure, demain, qu’ils fassent conjointement pression sur la Roumanie pour qu’elle inverse cette décision. Et si les Russes devaient susciter des troubles en Roumanie, menacer d’y intervenir, qui sait si les Américains, à défaut de se joindre à eux, ne les approuveraient pas, ou n’adopteraient pas une neutralité bienveillante ?

Il y a bien une menace russe. La guerre d’Ukraine l’a montré avec éclat, et elle n’est pas finie. Même si elle l’était, laissant subsister une Ukraine diminuée mais indépendante de la Russie, le sentiment d’inachèvement et le désir de revanche de Poutine se combineraient pour continuer de rendre la Russie hostile et dangereuse pour l’Europe et pour la France.  Le soutien que Trump a choisi d’apporter à la Russie va laisser l’Europe plus faible et plus seule face à cette menace.

Les États-Unis peuvent l’ignorer, se désintéresser de l’Ukraine et embrasser les vues de Poutine, pour passer à autre chose ; les Européens ne le peuvent pas, tant du moins qu’un patient travail militaire et diplomatique n’aura pas permis de diminuer à la fois leur exposition à cette menace et ses manifestations les plus inacceptables. Mettre ces réalités simples, et vérifiables par chacun, sur le compte de l’hystérie et de l’agressivité, est non seulement erroné, mais outrageant ; on ne peut le laisser dire sans réagir.

[1] Le Figaro du 10 mars.

[2] « Le président peut compter sur le soutien de l’opinion », Le Figaro, 10 mars 2025 (Étude réalisée par Odoxa-Backbone).

[3] Le « protocole Hossbach » du nom du preneur de notes de la réunion.