Irréformable, la France? edit
Un marché du travail figé depuis des décennies, un système social ancré dans la vision gaulliste-communiste de 1945, une administration vaste et centralisée qui prend en main les ministres dès leur nomination, une Éducation Nationale qui va de réforme superficielle en réforme superficielle sans jamais se remettre en cause, et la liste est bien plus longue. Tout ceci a été analysé, disséqué, discuté. Mais changer quoi que soit de manière tangible est considéré comme impossible. Qu’est-ce qu’ils ont donc, ces Français, pour être collectivement incapables de s’adapter à ce que l’on a coutume d’appeler un-monde-qui-change ?
En réalité, ils s’adaptent, parfois superbement. Malgré tous ces handicaps, des milliers d’entreprises, petites et grandes, tutoient les meilleurs au niveau mondial. Leurs employés font preuve de la même inventivité et du même enthousiasme qu’ailleurs, ce que confirme la récente enquête de la CFDT « Parlons travail ». La société civile est vibrante, riche d’initiatives qui sont à mille lieues des discours misérabilistes et parfois haineux qui semblent saturer les médias et les réseaux sociaux. Mais le monde politique, lui, semble bloqué.
Dans le système électoral français, tout se joue au moment de l’élection présidentielle, et des législatives qui suivent. Donc, maintenant. La tradition veut que les candidats susceptibles de l’emporter pratiquent un subtil marketing politique. Ils distillent les petits mots qui sont destinés à s’assurer le soutien de centaines de catégories de citoyens identifiés par des conseillers professionnels aguerris. Surtout, ils évitent de fâcher qui que ce soit qui puisse voter pour eux. Comme on ne fait pas de réformes sérieuses sans fâcher beaucoup de monde, aucun président élu n’a de mandat démocratique pour conduire les réformes. La fable de la France irréformable continue.
Cette fois-ci, il semble se passer quelque chose de différent. La primaire de la droite a plébiscité Fillon, le candidat qui osait articuler un vrai programme de réforme, un programme cohérent et à peu près correctement chiffré. La primaire de la gauche a refusé d’élire Valls, un ancien Premier ministre qui avait rangé ses idées réformatrices au placard après avoir placé en haut de ses priorités la fidélité à un président carbonisé par ses hésitations entre ses non-promesses électorales et la découverte, pas forcément feinte, de ses responsabilités. L’émergence incroyable de Macron, un jeune homme qui refuse les classements gauche-droite traditionnels mais qui propose, lui aussi, un vrai programme de réformes, font penser que les Français ont un réel appétit pour les réformes. D’une certaine manière, le programme de Le Pen est audacieux, même s’il est délirant, et cette audace contribue – sans tout expliquer – à sa course en tête de la campagne. Si les sondages ne changent pas trop, c’est donc un candidat sérieusement réformateur qui sera le prochain président. C’est un changement historique.
Bien sûr, une question est de savoir lequel gagnera et une autre question porte sur la capacité du vainqueur à mettre en place son projet. La réponse à la deuxième sera apportée par les élections législatives. Pour ce qui concerne le choix entre Macron et Fillon, on retrouve en partie la traditionnelle césure gauche-droite, mais aussi des degrés différents d’ambition. Si l’on se cantonne à leurs programmes de réformes économiques, les stratégies sont similaires et ce sont les bonnes s’il s’agit de desserrer les freins à la croissance et de s’attaquer aux causes structurelles du chômage. Réduire le poids de l’État et le rendre plus performant, renverser les normes des négociations sur l’emploi et les salaires, alléger les charges salariales et la pression fiscale sur les entreprises, réduire les incitations négatives des allocations de chômage, mettre un terme à la gestion paritaire de l’Unedic, simplifier le maquis des aides sociales qui sert souvent à offrir des privilèges, petits et grands, à des groupes bien organisés, tout ou presque y est.
Dans le détail, le projet de Fillon est plus ambitieux : il reconnaît l’inévitabilité de faire évoluer l’âge du départ à la retraite, il entend enfin éliminer les 35 heures, même si c’est plus symbolique qu’effectif, et il envisage une réduction plus importante des effectifs de la fonction publique. Mais le programme de Fillon favorise clairement les personnes à revenus confortables. Baisser la pression fiscale sur les entreprises est une bonne idée pour renforcer leur compétitivité et, on peut l’espérer, pour créer des emplois. Mais financer cette mesure par une hausse de la TVA revient à faire porter l’effort relativement plus sur les bas revenus. Déplafonner les allocations familiales ne profitera qu’à ceux qui sont concernés et n’en ont pas besoin, donc encore une fois les revenus plutôt élevés. Supprimer l’ISF est un marqueur historique de la droite.
Le programme de Macron est plus prudent – entre autre, il veut éviter un bras de fer avec la Commission européenne sur le déficit budgétaire – mais aussi plus social. Les baisses de charge devraient être compensées par une hausse de la très rocardienne CSG, ce qui est moins anti-redistributif que d’augmenter la TVA. Il prévoit une élimination de la très détestée taxe d’habitation, en en excluant les revenus élevés, et des petits cadeaux au profit des handicapés, des personnes âgées et des porteurs de lunettes.
Si la direction est la bonne, il reste la question de la faisabilité, ce qui est surtout une question politique. Une théorie veut qu’il faille réformer vite et fort avant que les coalitions d’intérêts particuliers n’aient le temps d’organiser le sabotage. C’est également vrai sur le plan économique : les réformes ont tendance à se renforcer les unes les autres. Cependant, l’observation des grandes réformes économiques là où elles ont été conduites depuis une trentaine d’années, suggère qu’on ne peut faire qu’une grande réforme par mandat électoral. Si c’est le cas, Fillon et Macron n’y arriveront pas. Le pari de Fillon est qu’il y a une soif de réformes en France. Celui de Macron est qu’il faut avancer prudemment.
Au delà de ces différences de détail, il reste que la France est sur le point de devenir réformable. La réaction du vieux monde politique, généreusement relayée par les médias, tempère lourdement le sentiment d’espérance que l’on peut avoir à ce stade. Le risque reste que les petits débats habituels démontent les deux candidats réformateurs sérieux au profit de Le Pen, ou de l’un ou l’autre des doux rêveurs qui pourraient remonter des profondeurs dans lesquels les sondages les maintiennent.
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